Pierre Havaux

Flandre: « Même un ‘Employeur de l’année’ doit oser prendre des décisions difficiles »

Pierre Havaux Journaliste au Vif

La charrette est avancée. Y prennent place 24 travailleurs condamnés, jeudi 23 avril, au licenciement pour des raisons indépendantes de leur volonté. Le Covid-19 s’est chargé de dicter la sentence et Wouter Torfs n’a d’autre choix que de jouer au bourreau, la mort dans l’âme.

Il y va de la survie de l’empire familial du roi de la chaussure flamande, de sa chaîne de 80 magasins, de ses 650 collaborateurs. L’annonce a secoué. Au très populaire Laatste Nieuws qui consacrait une pleine page à sa version des faits, le patron de 62 ans a souligné, gros soupir à l’appui, combien cette décision lui était pénible :  » C’est terrible, horrible même, je n’en ai pas dormi durant des nuits.  » Mais rester insensible face à des compteurs qui s’affolent aurait relevé de la non- assistance à entreprise en danger, une faute grave en matière de management.

Wouter Torfs assume donc cette tache sur un brillant palmarès :  » Même un « Employeur de l’année » doit oser prendre des décisions difficiles. Je ne suis pas le premier à licencier des gens durant cette crise, vous savez.  » Mais sans doute le premier à user d’un procédé qui fait bondir sur le banc syndical. Car actionner le couperet maintenant sur 24 travailleurs en chômage temporaire reviendrait à abuser de la crise sanitaire aux frais de l’Etat. Suivez le guide : en exigeant qu’ils prestent leur préavis, Wouter Torfs refilerait la facture des indemnités à l’ONSS jusqu’au 30 juin, date butoir fixée par le gouvernement pour mettre un terme au mécanisme de chômage temporaire lié au coronavirus.  » C’est étonnant « , a noté un spécialiste en droit du travail. Etonnant mais légal, relève le cabinet de la ministre fédérale de l’Emploi Nathalie Muylle (CD&V), laquelle annonce néanmoins son intention d’en toucher un mot au gouvernement. Il serait sage d’éviter que des employeurs n’usent de la situation pour licencier à moindres frais.

 » C’est un scandale, à un moment où les pouvoirs publics fournissent déjà tant d’efforts « , s’est fâché tout rouge le syndicat socialiste. Scandale encore que de s’arranger pour éviter la loi Renault, activée à partir de 30 licenciements.  » Que ces travailleurs confinés à la maison ne puissent compter sur le soutien des collègues est incompréhensible.  » Scandale toujours après un premier  » incident  » survenu lors de la première phase du lockdown en mars, lorsque le patron de la chaussure avait cherché à compenser la fermeture obligatoire le samedi par deux ouvertures en soirée la semaine.  » Le personnel est mis en danger pour augmenter le chiffre d’affaires, c’est inacceptable « , avait déjà tonné la FGTB flamande et Wouter Torfs avait dû plier.

Le CEO s’est à son tour indigné que l’on puisse s’indigner.  » Accusations diffamatoires « , comment ose-t-on le traiter d’incivique alors que son entreprise paie des millions en impôt de société à l’ONSS et organise la logistique dans son propre pays ?  » Qui peut en dire autant ?  » interpelle le patron qui a confié vivre douloureusement son confinement en famille, comme tout le monde. A souligné payer, comme tout le monde, un tribut à la crise en diminuant de moitié son salaire depuis qu’il n’est plus qu’un patron à mi-temps. A exprimé sa hâte de retrouver ses collaborateurs tant ils lui manquent. Il faut savoir (faire) souffrir pour ensuite rebondir.

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