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Faut-il assouplir les règles pour l’exportation d’armes ? « Notre industrie ne peut plus exercer pleinement son rôle de contributeur de sécurité »

Christophe Leroy
Christophe Leroy Journaliste au Vif

Le ministre wallon de l’Economie, Willy Borsus (MR), a récemment suggéré d’aligner les critères des licences d’exportation d’armes sur les autres pays européens, qu’il juge moins restrictifs. Pour Georges Heeren, senior business group leader chez Agoria/BDSI, l’industrie wallonne serait en effet pénalisée.

Dans quelle mesure la récente annonce de Willy Borsus au sujet des licences d’exportation d’armes répond-elle à un besoin de l’industrie de la défense et de l’armement?

Notre industrie ne peut pas vivre du marché interne: 95% de ce qu’elle produit est exporté hors de la Belgique. D’où la nécessité d’être compétitif. Une directive européenne prévoit un ensemble de règles, mais chaque pays, ou chaque Région dans le cas de la Belgique, décide de sa mise en application. Si un pays l’applique de manière moins sévère, cela nuit à la compétitivité, à la rentabilité et donc à l’existence de notre industrie. De ce fait, elle ne peut plus exercer pleinement son rôle sociétal de contributeur de sécurité, en participant à l’autonomie stratégique de l’Union européenne ou en appuyant les forces de l’ordre nationales et amies, dont l’Ukraine fait partie.

Plusieurs ONG ont dénoncé l’octroi de licences d’armes wallonnes que l’on retrouve in fine en Arabie saoudite, engagée dans le conflit au Yémen. Revoir les critères, n’est-ce pas soutenir davantage des Etats bafouant les droits humains?

Il ne faut pas uniquement se focaliser sur l’Arabie saoudite. Le pourcentage de ce qui a été exporté vers le Moyen-Orient a fortement chuté ces dernières années. Mais il existe plusieurs critères d’évaluation. Le droit humanitaire en est un, de même que la contribution à la sécurité locale et régionale, qui dépend du type de matériel, de l’utilisation et du destinataire final. Le gouvernement à qui on fournit le matériel doit préciser son usage dans un document écrit. Pour le réallouer à d’autres fins, il est censé demander l’autorisation au gouvernement qui lui a octroyé la licence. Il doit servir à la sécurité du pays ou de la région concernée. Si ce n’est pas le cas, ce n’est pas la faute de l’entreprise, mais du gouvernement qui n’a pas respecté sa déclaration. Et cela engendre un problème de politique internationale pour qui lui a octroyé la licence.

En quoi l’attribution actuelle des licences d’exportation d’armes pose-t-elle problème?

Il y a d’abord un enjeu politique. Car ne pas décider, c’est aussi une manière de prendre une décision. Il est déjà arrivé que certains dossiers restent dans le placard. Or, quand une entreprise a la possibilité de conclure un contrat, le client n’attendra pas six ou huit mois voire un an pour le signer. Cette situation n’est pas systématique: tout dépend de la constitution du gouvernement, du ministre responsable et de l’explicitation ou non de la politique dans un accord gouvernemental. Les modalités d’appel peuvent aussi rallonger le délai total des procédures. Je ne suis pas juriste, mais quand on voit que tout le monde peut faire appel d’une décision, on peut s’interroger sur l’intérêt des parties concernées. Enfin, l’administration et le gouvernement doivent accomplir leur travail en rendant un dossier cohérent et complet. Les critères actuels ne sont pas nécessairement trop restrictifs, mais ils ne sont pas toujours appliqués de la bonne manière, ni clairement établis.

Certains pointent un manque de transparence dans les rapports relatifs aux licences d’armes…

Nous devons garder à l’esprit le caractère sensible de la sécurité. N’importe quelle entreprise serait mécontente de devoir exposer tous les détails de ses contrats sur la place publique, dans le but d’afficher une transparence complète. D’une part, il faut que les règles en la matière soient les mêmes pour tout le monde, certainement à l’échelle de l’Union européenne. Ce n’est pas le cas pour le moment. D’autre part, il est certainement plus facile de revendiquer la transparence pour les pays comptant, par exemple, cinq fabricants d’un même produit sur leur territoire. A l’inverse, si la Région wallonne sortait des chiffres d’ensemble sur le montant des armes légères exportées vers d’autres pays, les concurrents sauraient qu’il ne peut s’agir que de la FN Herstal, et qu’on parle de tel prix par pièce.

Georges Heeren
Georges Heeren © National

Agoria dénonce les difficultés d’accès au financement pour l’industrie belge de la sécurité et de la défense. Pourquoi?

C’est un grand problème, depuis plusieurs années déjà. Chaque citoyen paie pour le soutien qu’on fournit à l’Ukraine. C’est notre contribution collective à cette crise. Mais les banques, elles, refusent de faire leur part. Le gouvernement demande aux entreprises d’augmenter leur capacité de production, puisque celle-ci ne suffit pas à assurer les besoins de nos forces armées ou de celles des pays amis. Or, des banques refusent carrément d’investir dans ce que j’appelle «l’effort de sécurité» de notre pays. Aujourd’hui, une entreprise qui fait plus de 5% de son chiffre d’affaires avec des systèmes de défense est automatiquement considérée comme non éthique, et donc non-ESG (NDLR: l’acronyme qualifiant les investissements jugés durables selon des critères environnementaux, sociaux et de gouvernance).

Quelles en sont les conséquences?

Nos entreprises souffrent, car elles doivent dépenser plus d’argent pour investir à la demande du client, notamment l’armée belge et les alliés de l’Otan. De ce fait, l’argent vient d’ailleurs, par des systèmes bancaires étrangers sur lesquels l’UE n’a aucun contrôle. Cela revient à externaliser le problème. Alors que le gouvernement, et donc le citoyen, investit dans la recherche et le développement pour contribuer à la sécurité de l’Europe, l’argent part vers des banques étrangères. Je connais aussi des entreprises belges qui, pour rester sous le seuil des 5%, ne participent pas à certains marchés publics de l’armée belge. Tout comme le Covid a mis en lumière la fragilité de notre système sanitaire, la guerre en Ukraine démontre celle de notre système de défense. L’industrie a un rôle sociétal à jouer en ce sens et les règles doivent tenir compte de cette nouvelle donne, après des années pendant lesquelles l’Europe s’est montrée trop optimiste.

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