Bob Cavanagh a décidé : il ne prendra pas la nationalité belge. © Loïs Denis

Ex-Britanniques et nouveaux Belges

Loïs Denis
Loïs Denis Journaliste

L’heure du Brexit a sonné. En Belgique, la communauté britannique avance dans un épais brouillard. Doit-elle s’inquiéter de ce divorce ? Entre questions identitaires et avenir flou, des milliers de British ont franchi le pas de la naturalisation.

Etre ou ne pas être Belge ? Telle est la question que se posent de nombreux Britanniques. Un pour qui la réponse coule de source, c’est Bob Cavanagh : il n’adoptera pas la nationalité belge. Conçu au Kenya (selon ses propres mots) et né à Londres, il est passé par la Libye, Chypre, la Colombie, le Pérou, le pays de Galles, avant d’atterrir dans notre royaume il y a dix-sept ans. Bob, professeur de mathématiques, 56 ans, fait partie de ces nomades qui se définissent comme des citoyens du monde.  » J’ai plus de racines ici qu’en Angleterre mais je sais bien que je ne suis pas Belge. Je ne suis pas 100 % Britannique non plus « , résume-t-il. Débarqué en 2003 dans une école européenne, il se marie huit ans plus tard avec Marie-Rose. Le couple belgo-anglais ne semble pas préoccupé par l’arrivée du Brexit.  » On n’y voit pas d’impact négatif. Avec ou sans accord, les personnes qui vivent depuis un certain temps en Belgique et qui y travaillent ne devraient normalement pas en subir les conséquences « , estime Marie-Rose. Qu’il y ait ou non des avantages à devenir un citoyen du plat pays, Bob n’entamera pas les démarches pour être naturalisé. Le prof de maths est à l’image de son métier : pragmatique.  » Je n’aime pas faire les choses seulement pour me faciliter la vie. Je ne veux pas utiliser le Brexit pour avoir la nationalité.  »

Mais alors que Bob aborde sereinement la scission avec l’Union européenne, d’autres se préparent au pire.

Pour Jezz Thomas, la naturalisation de toute la famille coulait de source.
Pour Jezz Thomas, la naturalisation de toute la famille coulait de source.© photos : loïs denis

Le boom des naturalisations

Depuis le verdict du peuple britannique, qui a voté majoritairement Leave au référendum du 23 juin 2016, les groupes d’expatriés s’affolent. L’ambassade britannique tente de les informer au mieux. Elle se veut autant apaisante qu’évasive : aucun bouleversement ne devrait se produire, du moins cette année. Même si le Royaume-Uni n’est plus membre de l’Union, l’ensemble du droit européen (ou presque) continuera de s’appliquer durant une période de transition qui prendra fin le 31 décembre 2020. En cas d’accord des deux parties, cette période pourrait être prolongée une fois, pour une durée d’un an ou deux, soit jusqu’au 31 décembre 2022 au plus tard.  » L’accord de retrait (NDLR : mis en oeuvre le 1er février) garantira vos droits et vous permettra de rester dans le pays de l’Union européenne où vous vivez après le Brexit. Vous aurez globalement les mêmes droits à travailler, étudier et accéder aux services et avantages publics que vous le faites actuellement « , rassure l’ambassade sur son site. Mais que se passera-t-il après cette période transitoire ? Seules les dispositions d’un deal ou d’un no deal mettront fin au suspense. En attendant, le mystère reste entier. Alors, certains Britanniques prennent les devants, histoire de ne pas se faire happer par une mauvaise surprise. Et quoi de mieux pour protéger ses arrières que d’obtenir la double nationalité ?

Depuis le verdict du peuple britannique, les groupes d’expatriés s’affolent.

Jezz Thomas, 51 ans, est installé à Bruxelles depuis 2002. Ecossais de souche, informaticien, il passait plus de temps aux quatre coins du Royaume-Uni qu’avec sa famille. Alors il saisit la première opportunité professionnelle qui lui permet de  » profiter plus des gosses « . Direction la capitale belge, avec sa femme et ses deux petites filles. Cinq ans plus tard, Oscar viendra agrandir la famille. Il sera le seul Belge de la famille… jusqu’à l’annonce du Brexit. La décision est rapidement prise : tous les membres de la tribu Thomas seront naturalisés. La première préoccupation de Jezz, c’est le travail :  » Si je n’avais pas pris la nationalité belge, je pense que mon statut d’indépendant poserait un gros souci. « 

Autre point d’interrogation : les études universitaires.  » Le gouvernement flamand et celui de la Fédération Wallonie-Bruxelles ont indiqué que tous les parcours étudiants engagés au moment du départ du Royaume-Uni seront préservés aux mêmes conditions, en tous les cas jusqu’à la fin de l’année académique 2020-2021, même en l’absence d’accord « , explique Benjamin Bodson, chercheur en droit européen à l’UCLouvain. Mais qu’adviendra-t-il de ceux qui voudront entamer leur cursus à partir de 2021 ? Les étudiants issus d’un pays européen peuvent se rendre dans l’université d’une autre nation membre à moindre frais. Deux scénarios sont probables : soit le Royaume-Uni et l’Europe accepteront de maintenir les mêmes tarifs, soit les prix des inscriptions scolaires s’envoleront.  » Si mon fils étudie en Angleterre et que rien n’est mis en place, les frais passeront de 9 000 à environ 20 000 livres par an « , affirme Jezz.

Son inquiétude concerne aussi ses parents restés outre-Manche. Officiellement Belge depuis mai 2017, il n’a plus à se soucier de sa carte européenne d’assurance maladie, qui lui permet de profiter des soins de santé basiques dans les autres pays de l’Union européenne. Mais qu’en sera-t-il pour ses parents exclusivement Britanniques ?  » Ils ont un âge avancé et il n’est pas envisageable qu’ils voyagent sans assurance maladie. Ils auront potentiellement de gros frais pour venir nous voir.  » Toutes ces incertitudes ont poussé bon nombre de Britanniques à opter pour la nationalité belge. Trois conditions doivent être remplies pour l’obtenir : résider sur le territoire depuis au moins cinq ans, prouver son intégration économique et sociale et, selon les cas, parler une des trois langues nationales. Depuis l’annonce du Brexit, l’administration fait face à une vague de demandes : entre juin 2016 et octobre 2019, selon Statbel, l’office national de statistique, 4 260 Britanniques ont acquis la nationalité belge. C’est 3,5 fois plus que pour l’ensemble des dix années précédant le référendum.

Judith Connett, professeure d'anglais : intégrée au point qu'en France, son accent belge ne passe pas inaperçu.
Judith Connett, professeure d’anglais : intégrée au point qu’en France, son accent belge ne passe pas inaperçu.© photos : loïs denis

« Vivre l’esprit tranquille »

D’un point de vue pratique, la nationalité belge confère aux Britanniques les mêmes droits qu’à n’importe quel citoyen belge, tels que le droit de vote complet (élections communale, régionale et fédérale) et l’accès à la sécurité sociale.  » J’ai commencé les démarches assez tôt après le référendum parce que je n’ai aucune confiance dans le gouvernement anglais pour garantir mes droits. Cette décision est avant tout une précaution pour vivre l’esprit tranquille. Je sais que je n’aurai pas de problèmes à travailler ou à prendre ma retraite. Ces droits sont maintenant garantis par un Etat belge dans lequel j’ai confiance. Ça peut sembler bizarre d’un point de vue belge de faire confiance au gouvernement « , s’amuse Jezz.

Mais ce geste n’est pas purement intéressé, la Belgique est sa maison. A 6 ans, il arrive pour la première fois à Bruxelles où il suit presque toute sa scolarité. Adolescent, il souhaite déjà entamer une procédure pour obtenir la nationalité belge mais il retourne en Angleterre à ses 17 ans.  » J’ai quitté la Belgique un an trop tôt.  » Partie remise. Heather, la fille de Jezz, n’a que 4 ans quand elle débarque chez nous. Dix-huit années plus tard, elle est diplômée en gestion durable et a, elle aussi, passé le cap de la naturalisation. Pas de bouleversement dans son quotidien mais un équilibre identitaire.  » Avant, je me présentais comme Anglaise ayant grandi en Belgique. Maintenant je suis les deux. Je ne dois plus trop me poser de questions sur la manière dont je me perçois « , confie-t-elle.

Dans le Brabant wallon, Judith Connett, 56 ans, a décroché la nationalité belge en juillet 2017. Pour cette Anglaise, le Brexit a été aussi l’élément déclencheur. Mais après vingt années en Belgique, le changement de passeport allait de soi. Judith se sent intégrée, tellement intégrée qu’en France, son accent… belge ne passe pas inaperçu.  » Mon cercle d’amis est belge, j’étais déléguée au club de foot de mes enfants. Je fais partie de la vie belge. C’est mon pays adoptif « , signale-t-elle. Professeure d’anglais, elle craint néanmoins pour la suite de sa carrière, même si elle devrait être épargnée.

 » Après le Brexit, les Britanniques deviendront des ressortissants d’un Etat tiers à l’Union. Dans l’accord futur, il y aura certainement des facilités d’accès au territoire de l’Union pour ces ressortissants et vice versa. Ceux qui vivent déjà ici, ou qui arriveront en 2020, et qui ont obtenu ou sont sur le point d’obtenir un droit de résidence en Belgique, seront toujours protégés après le 31 décembre dans la limite du droit acquis, souligne Benjamin Bodson. Il n’y a pas de risque pour un citoyen britannique de devoir faire ses bagages au 1er janvier 2021. Mais si on apprend – ce qui est improbable selon les dernières déclarations – que le Royaume-Uni demande à des ressortissants belges de quitter son territoire, la Belgique pourrait également durcir sa position à l’égard des Britanniques.  » Pour ceux qui entreront sur le territoire belge en 2021, le SPF Intérieur affirme qu’ils seront exemptés de visa. En revanche, pour pouvoir résider en Belgique, des démarches particulières devront être entreprises.

La difficulté d’obtenir des informations claires et concrètes ont poussé certains Britanniques à se faire naturaliser. Avant le Brexit, ils n’avaient aucune raison de s’inquiéter. Mais l’inconnu et l’éventualité que leur monde s’écroule ont changé la donne. Parce que depuis des années, voire des dizaines d’années, dans les faits, leur monde, c’est la Belgique.

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