Carte blanche

Et si le Covid était l’occasion de repenser les pratiques pédagogiques dans le secondaire ? (carte blanche)

Si le port du masque dans les écoles primaires a été abrogé, il reste d’application dans les écoles secondaires. Ce contexte particulier devrait être l’occasion, selon Anne-Bénédicte Bailleux, ancienne pofesseure de français dans le secondaire et co-fondatrice de l’école Eos, de réfléchir à un autre projet pédagogique pour les adolescents.

La crise du coronavirus a profondément bouleversé nos liens à autrui, nous contraignant à opter souvent pour des relations virtuelles ou masquées. Elle a aussi semé la méfiance entre nous. Vacciné, non-vacciné : qui a tort, qui a raison? D’un monde qui prônait des valeurs d’ouverture et de tolérance, nous avons peu à peu basculé vers un monde du clivage, où les hommes politiques les plus haut placés parviennent, à l’aide d’une ou deux formules lapidaires et contre tout sens civique, à faire se dresser les gens les uns contre les autres.

Dans ce tissu social aux couleurs sombres, les jeunes se débattent, contraints de subir les angoisses du monde extérieur, prisonniers des jugements des adultes et victimes de décisions politiques lourdes de conséquences. Si on peut se réjouir de voir lever l’obligation du port du masque pour les enfants de l’enseignement fondamental, il faut déplorer en revanche que rien ne change pour nos adolescents.

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Les écoles secondaires continueront donc de jouer les cerbères. Les élèves, à qui elle doit pourtant enseigner l’art d’être citoyen, doivent encore y vivre symboliquement bâillonnés. Même si toutes les écoles font ce qu’elles peuvent pour limiter la casse et accompagner les élèves dans cette période difficile, elles ne peuvent échapper à ce nouveau rôle qui leur a été assigné. Et dans ce maelström, leurs pratiques restent le plus souvent inchangées.

Pourtant, on est en droit de se demander s’il ne faudrait pas, étant donné les circonstances, envisager de sérieux réaménagements du temps scolaire et des pratiques pédagogiques dans nos écoles secondaires. Peut-on continuer à appliquer les mêmes méthodes face à des élèves cachés, privés d’air et de sourire? Ne voyons-nous pas que les circonstances ont un impact sur de nombreux jeunes et par conséquent aussi sur leurs résultats? Comment croire que la qualité de l’enseignement est préservée si un grand nombre d’élèves souffrent des mesures que le Gouvernement leur impose?

Ainsi, plutôt que de se demander comment limiter la casse tout en continuant à oeuvrer comme si de rien n’était, ne faudrait-il pas réfléchir à la façon dont l’école peut encore contribuer, en dépit des conditions extérieures, à préserver les droits des adolescents à grandir dans un climat serein, ouvert et protecteur qui puisse les mener vers la confiance, le civisme, l’amour de la vie et l’envie de s’engager dans la société? En ce sens, l’aventure du coronavirus pourrait représenter une formidable opportunité de remise en question des méthodes traditionnelles d’enseignement.

Si on voulait prêter l’oreille aux besoins de ces futurs citoyens, on s’apercevrait par exemple que, plus que jamais aujourd’hui, les jeunes ont besoin de créer : dessiner, chanter, écrire, jouer d’un instrument, sculpter, illustrer un cours de façon personnelle… L’acte créateur, outre le fait qu’il offre un exutoire aux émotions négatives, est surtout une pierre essentielle sur le chemin de la confiance et de la joie, deux qualités mises en péril par la crise du Covid.

Mais pas seulement. En effet, quand la pratique artistique déborde du cours d’art et s’invite au coeur des matières enseignées, elle devient aussi une occasion de se relier autrement aux apprentissages de type intellectuel. Le fait, par exemple, de créer de belles choses dans le cadre d’un cours de géométrie ou de français permet d’accéder à la mystérieuse beauté cachée derrière ces disciplines qu’on se surprend alors à aimer. Par les temps qui courent, la créativité pourrait rendre un peu d’âme à certains enseignements dont l’aridité se fait le triste écho de l’austérité ambiante.

Par ailleurs, plutôt que d’étouffer en classe sous la menace d’un virus, pourquoi ne pas profiter du Covid pour multiplier les rendez-vous avec la nature, en forêt, à la campagne, dans des exploitations agricoles ou forestières? Il est prouvé que le contact régulier avec la nature a une incidence sur leur développement cognitif, affectif et physique. C’est dans cette rencontre aussi que s’élaborent les premières expériences scientifiques ou poétiques et que peut se développer un amour authentique du vivant. Y a-t-il meilleures prémices à l’élaboration d’une conscience écologique?

Pour nos adolescents livrés à leurs masques et à leurs écrans, il faut aussi offrir le pouvoir vivifiant de l’action, éveiller en eux l’envie de s’engager dans le monde au service d’un projet qui dépasse leurs intérêts personnels. Agir rend plus confiant, plus intelligent, plus autonome. Rien de tel, pour devenir un citoyen responsable que de quitter sa zone de confort pour fréquenter le monde. Aucun powerpoint censé informer sur une réalité ne remplacera jamais l’action sur le terrain. C’est la meilleure école de citoyenneté qui soit.

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Quand le moment sera venu où cette génération d’élèves deviendra responsable du monde, elle devra développer des trésors d’inventivité et d’esprit pour relever les grands défis que nous lui léguerons. Le meilleur voeu que l’on puisse formuler n’est-il pas de voir participer à la cité des adultes qui auront reçu à l’école des forces pour grandir de façon harmonieuse et faire éclore leur potentiel? Car ce dont les jeunes ont besoin avant tout, c’est d’être entourés d’adultes qui ont conscience qu’on ne peut les réduire à une tête à laquelle il faudrait apprendre à penser. La capacité à penser par soi-même se conquiert d’autant mieux que le coeur et le corps sont conviés aux enseignements.

D’ici peu, on peut espérer que ce sera au tour des élèves du secondaire d’être libérés du masque mais faut-il pour autant remettre à plus tard la réflexion ébauchée ci-dessus ? Les contraintes exercées sur les élèves de l’enseignement secondaire depuis le début de la crise ont offert ici une belle opportunité pour réfléchir aux besoins de ces jeunes en pleine croissance. Mais en réalité, crise du covid ou pas, ces besoins sont les mêmes. Si la plante exige de la terre, de la lumière et de l’eau pour sa croissance ; enfants et adolescents, pour grandir de façon harmonieuse, n’ont pas seulement besoin d’apprendre à penser mais aussi à créer, à agir et à aimer. Pour que, devenus adultes, ils aient envie de s’engager et de mettre leur créativité au service du monde.

Anne-Bénédicte Bailleux, ancienne enseignante dans le secondaire, co-fondatrice de l’école Eos

Le titre est de la rédaction

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