Guido Fonteyn et Jean-Claude Van Cauwenberghe © Franky Verdickt

« Essayez un peu de mener une politique socialiste modérée en Wallonie « 

Han Renard

A l’occasion des Fêtes de Wallonie, l’ancien ministre-président wallon Jean-Claude Van Cauwenberghe et Guido Fonteyn, auteur de l’ouvrage en trois volumes intitulé « Vlaanderen, Brussel, Wallonië: een ménage à trois » donnent leur avis sur la Wallonie d’hier, d’aujourd’hui et demain.

Les deux hommes se connaissent depuis longtemps, et se complètent. Fonteyn a consacré toute sa carrière de journaliste à l’observation de la Wallonie. Van Cauwenberghe a oeuvré toute sa vie professionnelle au redressement économique de la Wallonie et de son Charleroi. « Un travail de Sisyphe frustrant », soupire-t-il. « Chaque fois qu’on pense qu’on s’en tire, on nous rejette vers le bas. »

Pourtant, le ministre-président wallon Paul Magnette (PS) estime que la fermeture annoncée de Caterpillar n’est pas un problème wallon. A-t-il raison ?

JEAN-CLAUDE VAN CAUWENBERGHE: Bien entendu. La Flandre aussi a vécu la fermeture de grosses entreprises. La fermeture de Caterpillar est la conséquence d’une stratégie d’une multinationale qui pense uniquement aux actionnaires et condamne l’entreprise de Gosselies à mort depuis un bureau américain. Pour nous, c’est inacceptable. En 2013, 1400 emplois ont été perdus. Les employés qui sont restés se sont montrés flexibles et ont accepté une réduction de salaire. Ces gens se sentent trahis. Personnellement, cela me touche aussi. Il y a cinquante ans, mon père a fait venir Caterpillar à Gosselies quand il était vice-président de l’entreprise d’investissement locale. Pendant les quinze ans où j’étais bourgmestre de Charleroi, j’ai essayé de dorloter cette firme un maximum. La compagne de mon fils travaille aussi pour Caterpillar et va perdre son boulot. À Charleroi, il n’y a presque pas de famille qui ne connaît personne qui travaille chez Caterpillar ou un de ses sous-traitants. C’est un coup fatal pour Charleroi. Comment allons-nous compenser cette perte de plus de 6000 emplois ?

GUIDO FONTEYN: Ce ne sont, en tout cas, pas les gouvernements, ni le wallon, ni le fédéral, qui sont capables d’y répondre. Le capitalisme international est beaucoup plus fort que la classe politique. La délocalisation de notre industrie vient seulement de commencer, et la Flandre aussi en sentira les conséquences. Nous devrons débattre de la responsabilité du capitalisme, car cette notion abstraite cache un groupe assez petit d’individus à qui on ne demande jamais de comptes.

VAN CAUWENBERGHE: Dans le cas de Caterpillar, les actionnaires sont d’importants fonds de pension. Mais ce que tu dis est vrai, Guido. Le capitalisme déplace ses pions sans se préoccuper des effets sociaux. Pour mon parti, c’est difficile. Politiquement, la Wallonie est principalement de gauche, et a tendance à se radicaliser rapidement. Dans ce contexte, il n’est pas facile de mener une politique socialiste modérée. Les syndicats m’ont souvent critiqué parce que je disais qu’il était inacceptable de prendre des dirigeants d’entreprise en otage.

Aujourd’hui, la population de Charleroi reproche au PS d’avoir été trop indulgent pour les grandes multinationales à coup de toutes sortes de mesures de soutien publiques sans garantie du maintien de l’emploi.

VAN CAUWENBERGHE: Oui. Et c’est problématique. Les situations comme celles-ci donnent partiellement raison au PTB/PVDA qui en fait son beurre. La population se demande, à juste titre, si les mesures de soutien telles que la déduction d’intérêts notionnels ont du sens, quand on voit à quel point les grandes entreprises sont cyniques. Cela ne laisse pas le PS indifférent, mais nous réalisons aussi que nous avons besoin de ces multinationales et que nous ne pouvons pas les effrayer au point de tourner le dos à la Wallonie.

FONTEYN: Cette préférence pour la gauche n’est pas génétique, mais vient du fait que la Wallonie a connu l’industrialisation à grande échelle bien avant la Flandre. Peu à peu, cette industrialisation a produit une série de lois sociales qui protégeaient les employés, ainsi qu’un parti socialiste bien organisé. Cependant, la fermeture de Caterpillar n’a rien à voir avec les Wallons ou les Flamands. Ce qui se passe aujourd’hui à Charleroi a eu lieu auparavant au Limbourg.

VAN CAUWENBERGHE: Trois éléments ont fait la prospérité de la Wallonie: le charbon, l’acier et le verre. Un aspect important de la sociologie wallonne c’est que pratiquement tout le monde a travaillé dans les usines. Du coup, la Wallonie compte trop peu de petits entrepreneurs et d’indépendants. Quand la crise a commencé dans les grands secteurs industriels, le choc a été énorme. Contrairement aux Flamands, qui ont connu une pauvreté terrible au dix-neuvième siècle, les Wallons n’avaient pas l’habitude des déboires économiques. Il y a eu une immigration flamande massive vers la Wallonie, qui a permis qu’un dénommé Van Cauwenberghe devienne ministre-président de Wallonie et bourgmestre de Charleroi.

À quel point les partis politiques, et le PS en particulier, sont-ils responsables du redressement pénible de la Wallonie?

FONTEYN: J’exagère à peine quand je dis qu’ils ne sont nullement responsables. Les partis politiques ne sont pas responsables du déclin économique et du redressement lent de la Wallonie. Les gouvernements locaux ont très peu d’emprise là-dessus. En Flandre, il est de bon ton de dire que tout est de la faute du PS, mais c’est beaucoup trop facile. Les politiques flamands non plus n’ont pas pu empêcher le déclin du Limbourg.

Quel est l’état du régionalisme wallon aujourd’hui? Que représente encore ce courant ?

VAN CAUWENBERGHE: Il gagne de nouveau du terrain dans notre parti. Mais en tant que régionaliste radical je mets le PS en garde : méfiez-vous des libéraux. Ils sont en train de nous rattraper sur un thème qui a toujours été le nôtre. Quelqu’un comme le parlementaire wallon Jean-Luc Crucke (MR) plaide également pour une Belgique à quatre régions.

La Wallonie a-t-elle encore peur de la N-VA?

FONTEYN: Les Wallons ont peu de raisons d’avoir peur, grâce à l’attitude bizarre de la N-VA, qui ne gouverne pas si mal le pays et de toute façon d’une manière qui n’a rien à voir avec son programme.

VAN CAUWENBERGHE: J’entends également des choses plutôt positives sur certains ministres de la N-VA. Ce qui nous dérange, c’est que les francophones sont très minoritaires dans le gouvernement fédéral. Comment le MR a-t-il pu entrer dans ce gouvernement dominé par des Flamands?

FONTEYN: Charles Michel est tout de même premier ministre.

VAN CAUWENBERGHE: Il est malin, ce Michel. La façon dont il s’est précipité à Namur lors de la crise de Caterpillar… C’était une manière de faire porter le chapeau au gouvernement wallon. S’il avait invité Paul Magnette à Bruxelles, il aurait été responsable.

La Wallonie n’a-t-elle vraiment rien à craindre de la N-VA ? Une Flandre indépendante demeure tout de même le point principal du programme du parti ?

FONTEYN: Je ne crois pas que la N-VA retourne aux élections en 2019 en exigeant une Flandre indépendante. Le parti s’est mis à aimer le pouvoir. Entre-temps, elle gère la Belgique en bon père de famille.

VAN CAUWENBERGHE: Le 5 octobre, une association m’a demandé de modérer une conférence sur le thème : que souhaite la N-VA pour la Belgique ? Les N-VA Hendrik Vuye et Veerle Wouters viendront fournir des explications détaillées. Je les ai rencontrés tous les deux. Ils sont intéressants et chaleureux, et je suis content qu’ils aient accepté l’invitation. Certains désapprouvent cette initiative, mais je voudrais sonder leurs intentions, car nous ne les connaissons pas. Nous ne lisons pas le programme de la N-VA qui est rédigé en néerlandais. Leur site ne nous éclaire pas beaucoup non plus, et donc il me semble plus utile de lancer un dialogue direct plutôt que de diaboliser sans connaître. Ce qui m’a convaincu aussi, c’est que de bons amis namurois disent que les leçons de droit constitutionnel du professeur Vuye sont de qualité exceptionnelle. Après son entrée à la N-VA, on a voulu le chasser de l’université. C’est scandaleux. Je suis d’ailleurs assez d’accord avec ce qu’il dit de la monarchie. Je suis donc très curieux d’entendre ce qu’il a d’autre à dire. (rires)

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