La princesse assume ses prises de position progressistes : "Peu importe que certains milieux soient en désaccord avec moi. Dans la vie, il ne faut pas chercher à être populaire, il faut être sincère". © D.R.

Esmeralda de Belgique se confie: « Il faut une réelle pression si l’on veut extraire le racisme de nos mentalités »

Olivier Rogeau
Olivier Rogeau Journaliste au Vif

Féministe et militante proclimat proche du mouvement Extinction Rebellion, la fille cadette de Léopold III et de Lilian de Réthy est plus fière de son image d' »activiste » que de son titre de « princesse ». Son souhait que le roi Philippe, son neveu, s’exprime sur les violences et cruautés de la colonisation a été entendu par le Palais, mais ses interventions dans le débat ont fait grincer des dents. Dont celles de certains de ses amis.

Le « confinement », la princesse connaît. Et cela dès sa plus tendre enfance. La fille cadette de Léopold III et de sa seconde épouse Lilian Baels de Réthy a passé les quatre premières années de sa vie au château royal de Laeken, où elle est née. Puis, elle a vécu à Argenteuil, à la lisière de la forêt de Soignes, domaine mis à la disposition de ses parents fin 1960, près de dix ans après l’abdication du roi. Pas question, pour la gamine, d’aller à l’école : elle reçoit les enseignements de professeurs particuliers. Son frère Alexandre, qui a quatorze ans de plus qu’elle, n’est plus à la maison, et sa soeur Marie-Christine s’est vite retrouvée en pension. Seule enfant à Argenteuil, entourée d’adultes, Esmeralda grandit à l’écart de la vie réelle. Elle dit regretter de ne pas avoir eu la chance de côtoyer des camarades de son âge avec lesquels elle aurait pu étudier et jouer, apprendre la compétition et le partage, découvrir la diversité.

Depuis mars dernier, la princesse vit un autre genre de confinement, imposé par la pandémie de Covid-19. Elle qui habituellement voyage beaucoup, accumule les rencontres et se rend deux à trois fois par mois en Belgique pour des réunions et des conférences n’a pas quitté sa maison du coeur de Londres, où elle s’est installée il y a plus de vingt ans. Seules escapades en trois mois et demi : des sorties à vélo, une à deux heures par jour. « J’ai la chance d’avoir un jardin. Le confinement m’a forcée à structurer mes journées, à être plus disciplinée pour éviter de voir le temps s’effilocher. » Elle détaille : exercices de gym tous les matins, gestion de sa messagerie, vidéoconférences avec les fondations et ONG auxquelles elle collabore – elle préside depuis 1983 le Fonds Léopold III pour l’exploration et la conservation de la nature -, rédaction d’un article, nouveau projet de documentaire…

La princesse Esmeralda, avec les femmes de la coalition climat WeCan International.
La princesse Esmeralda, avec les femmes de la coalition climat WeCan International.© D.R.

A Londres, la famille confinée

En revanche, la préparation des repas, c’est plutôt l’affaire de son mari, Salvador Moncada, pharmacologue britannique d’origine hondurienne, connu pour ses travaux dans le domaine cardio-vasculaire. « Il adore cela et est un excellent cuisinier », assure son épouse. Au menu, légumes, poisson, parfois du poulet, mais presque jamais de viande rouge. « Le confinement aura été pour nous l’occasion de tester de nouvelles recettes. Même mon fils Leopoldo s’y est mis. Lui qui, à 19 ans, n’avait jamais cuisiné de sa vie a cherché des recettes en ligne. » Né en 2001, cent ans après la naissance de son grand-père Léopold III, Leopoldo porte ce prénom parce que sa maman a voulu « faire un cadeau » à sa propre mère, Lilian, disparue un an plus tard. L’adolescent a terminé sa première année de sciences politiques à la London School of Economics. Il a passé ses examens en ligne. Passionné par la politique, il veut devenir journaliste. Comme maman. A 22 ans, la princesse Esmeralda, qui aspirait à mener une vie indépendante, est partie à Paris et y a travaillé en tant que pigiste pour plusieurs magazines européens. Un reportage qui l’a particulièrement marquée ? Celui qu’elle a fait en 1990 au Koweït, après l’invasion de l’émirat par l’Irak. « Des scènes dantesques, se souvient-elle : les destructions à Koweït City, les chars abandonnés, les centaines de puits de pétroles eu feu qui causaient une catastrophe écologique… » La fille aînée de la princesse, Alexandra, 22 ans, suit, elle, la voie scientifique paternelle : elle a achevé sa dernière année de biologie marine à l’université de Southampton. Elle envisage d’entreprendre des études de médecine au Canada. Elle a été privée de cérémonie officielle de remise des diplômes à cause du coronavirus.

Il ne suffit pas, quand une cause vous tient à coeur, d’être journaliste. Il faut aussi être activiste. J’ai ressenti le besoin de me battre pour les droits des femmes, pour le climat. Et cela a libéré ma parole.

« La crise sanitaire a été très mal gérée par les autorités britanniques, estime sa mère. La communication des autorités manque de transparence et ses messages sont confus. Le virus a fait plus de 43 000 morts au Royaume-Uni. On peut parler d’un carnage dans les maisons de repos. Quel fiasco ! » La princesse n’a pas de mots assez durs dénoncer l’échec des gouvernements, qui n’ont pas tenu compte des avertissements des scientifiques sur les risques de pandémie. Autrefois réservée, discrète, voire timide et introvertie, Esmeralda n’hésite pas, de plus en plus souvent, à monter au front, à exprimer haut et fort son indignation. « Il y a eu un déclic, reconnaît-elle. J’ai réalisé qu’il ne suffit pas, quand une cause vous tient à coeur, d’être journaliste. Il faut aussi être activiste. J’ai ressenti le besoin de me battre pour les droits des femmes, pour le climat. Et cela a libéré ma parole. »

Les « profonds regrets » du roi Philippe

Au point de ne plus s’imposer, en tant que « princesse de Belgique », un devoir de réserve ? « Je ne suis pas tenue à ce devoir, puisque je ne reçois pas de dotation princière, répond-t-elle. Je peux m’exprimer en toute liberté, et si je me fixe certaines limites, c’est par choix personnel. Il serait notamment inconvenant que je tienne des propos sur la politique belge, moi qui vit à l’étranger. » Reste que ses récentes interventions télévisées dans le débat sur le passé colonial de la Belgique et la décolonisation de l’espace public ont fait grincer des dents dans certains milieux conservateurs. En substance, elle a appelé le roi Philippe à présenter des excuses au nom de la Belgique pour les atrocités commises lors de la colonisation du Congo, pays qui a d’abord été la propriété personnelle de Léopold II, aïeul du souverain actuel. Souhait entendu par le Palais, du moins dans une certaine mesure : le roi a exprimé, dans une lettre adressée au président congolais Félix Tshisekedi à l’occasion du 60e anniversaire de l’indépendance, ses « plus profonds regrets pour ces blessures du passé, dont la douleur est aujourd’hui ravivée par les discriminations encore trop présentes dans nos sociétés. »

La princesse dit aussi « comprendre » les actes de vandalisme et les déboulonnages de monuments symboles de la colonisation. Parce que « les demandes et pétitions » d’activistes n’ont pas été suivies d’effets. Parce que « la frustration » s’est accumulée. Et parce que la plupart de ces statues, qui « représentent la suprématie de la race blanche… heurtent, blessent toute une communauté. » Une consultation populaire permettrait, estime la tante du roi, de décider ce qu’il faut en faire : les doter de plaques explicatives ou les envoyer dans un musée.

La princesse dit « comprendre » les actes de vandalisme et les déboulonnages de monuments symboles de la colonisation

Ses déclarations lui ont valu, confie-t-elle, une volée de critiques. Certaines agressives. Du genre : « De quoi se mêle-t-elle, elle qui ne vit même pas en Belgique ? » « Curieux reproche, réplique-elle : je n’ai jamais rompu avec mon pays et je suis belge, ma seule nationalité. » En octobre dernier, après son arrestation par la police pour avoir manifesté à Trafalgar Square avec le collectif écologiste Extinction Rebellion, des Britanniques lui ont fait des réflexions du même genre : « Ils m’ont dit que je ferais mieux de retourner en Belgique ! » La princesse assume ses prises de position progressistes : « Peu importe que certains milieux soient en désaccord avec mes idées. Dans la vie, il ne faut pas chercher à être populaire, il faut être sincère. Même mes amis ne partagent pas tous mes opinions. Ce n’est pas pour cela qu’on ne se parle plus. » Elle tient à préciser sa pensée : « Il est important de s’engager, de dénoncer les discriminations, car le silence est violence. Il faut une réelle pression si l’on veut extraire le poison du racisme de nos structures et mentalités. La démarche d’Extinction Rebellion s’inscrit dans la même ligne : la désobéissance civile non violente face à l’urgence climatique. Et il est évident que l’on ne peut aborder le sujet sans parler de l’injustice géographique : des pays du Sud subissent de plein fouet des phénomènes climatiques extrêmes dont ils ne sont pas responsables. »

La cause des peuples autochtones

La survie des peuples autochtones est l’une des principales préoccupations de la demi-soeur d’Albert II. L’an dernier, elle a discuté du respect des droits de ces communautés avec Nicolas Hulot, l’ancien ministre français de la Transition écologique, de passage en Belgique. « Leur situation s’est encore dégradée ces derniers mois en régions amazoniennes du Brésil et de l’Equateur, où le Covid-19 décime des villages, signale la princesse. Le virus est souvent apporté par des bûcherons illégaux et des travailleurs de compagnies minières dont les incursions en zones protégées, toujours plus nombreuses, sont une catastrophe pour l’environnement. »

Emeralda de Belgique, avec une délégation de femmes autochtones de la communauté de Sarayaku, en Equateur.
Emeralda de Belgique, avec une délégation de femmes autochtones de la communauté de Sarayaku, en Equateur.© D.R.

La défense des communautés indigènes était déjà le combat de son père, devenu, après son abdication, explorateur-photographe. « Dans les années 1960, il passait trois à quatre mois par an en Amazonie. Il m’écrivait de là-bas. A son retour, je l’aidais à sélectionner ses photos. Il m’a fait comprendre que ces peuples étaient les meilleurs gardiens de la biodiversité. Et il m’a transmis son amour de la nature, des forêts. »

Une époque qui est aussi celle des rencontres, au château d’Argenteuil, avec des célébrités invitées par son père : l’explorateur Paul-Emile Victor, le volcanologue Haroun Tazieff, le commandant Cousteau… Aujourd’hui, la princesse Esmeralda s’entretient surtout avec des femmes : la militante écologiste suédoise Greta Thunberg, la journaliste yéménite Tawakkol Karman, première femme arabe lauréate du prix Nobel de la paix. Et tant d’autres, parfois beaucoup moins connues, comme ces femmes engagées dans des projets sociaux et de microcrédit, auxquelles elle veut consacrer un livre et un film-documentaire.

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