Carte blanche

Entrer en guerre contre les fake news (carte blanche)

La guerre en Ukraine ne se joue pas seulement sur le terrain réel, mais aussi sur le terrain numérique. A coup de fake news. Pour Laurence Baeten, directrice d’une société spécialisée dans le référencement, il est urgent d’éduquer aux médias et de contraindre les GAFA à un réel engagement en matière de lutte contre la désinformation.

La guerre qui fait actuellement rage en Ukraine n’est pas qu’une guerre militaire. C’est aussi une guerre d’opinion et d’information. Il suffit de regarder les vidéos postées sur TikTok, sur Facebook et autres médias sociaux depuis deux semaines pour se rendre compte que pour la toute première fois de son histoire, l’Europe est confrontée à une guerre où chaque citoyen doté d’un accès digital peut exprimer ses idées, les défendre. Parfois même, au détriment de la vérité.

Cette nouvelle manière de faire la guerre pose une série de questions pour les utilisateurs lambdas que nous sommes : comment se servir des réseaux sociaux pour être informé sans être manipulé ? Quelles sont les précautions d’usage lorsque l’on est confronté à une vidéo virale ? Comment savoir qui croire et, bien sûr, comment garder notre esprit critique ?

Algorithme : intuitivement, notre degré de confiance est surpondéré lorsque la source d’information est définie selon des règles que nous imaginons neutres et qui ne reflètent pas un avis partisan. Quand nous allons sur nos médias sociaux pour chercher de l’information, nous y allons donc avec une certaine confiance, car notre raisonnement est le suivant : l’algorithme n’étant pas humain, ce sont des paramètres mathématiques objectifs qui sont à l’oeuvre dans la sélection de ce qui m’est proposé. Rien n’est moins faux.

L’algorithme des médias sociaux est paramétré par un humain, répondant à un système de croyances et à un objectif qui peuvent être complètement différents du mien. Par ailleurs, comme le mettait en évidence le documentaire Netflix sorti en 2020 « The social dilemma », les fake news se propagent 6 fois plus vite que les vraies informations. Pire, de par son côté sensationnel, disruptif ou qui donne l’impression de s’adresser à des initiés, la fake news a 70% de chance en plus d’être repartagée sur Twitter qu’une vraie information (Etude du Massachusetts Institute of Technology).

Les fake news sont parfois tellement puissantes qu’elles écrasent tout sur leur passage. Le faux compte TikTok de Tom Cruise compte par exemple aujourd’hui plus d’abonnés que le vrai compte.

L’éducation aux médias : une urgence absolue

Face à cette déferlante de fake news (que certains appelleront aussi « faits alternatifs »), il est essentiel de se protéger et de mettre en place un arsenal pour combattre ce fléau dont on doit mesurer le danger pour la démocratie. Dans notre pays, il y a bien de temps en temps quelques colloques ou conférences qui traitent ce sujet. Il y a aussi de temps en temps des intentions politiques comme celle du Premier ministre, Alexander De Croo qui a expliqué à la chambre en janvier 2021 à la suite de l’invasion du Capitole à Washington, aux Etats-Unis, son intention de lutter plus efficacement contre la désinformation et les fake news. Mais pour l’instant, rien de concret ne voit le jour.

En 2018, le groupe d’experts chargé par le ministre belge de l’agenda numérique de rédiger un rapport avait estimé qu’ « une législation répressive n’est pas la solution pour traiter le problème des fake news ». Depuis 2018, le monde a changé. La guerre en Ukraine nous rappelle à quel point il est essentiel de ne plus attendre.

Nous devons agir sur plusieurs fronts. Le front scolaire, d’abord, en portant cette connaissance au coeur des matières enseignées. Aujourd’hui, les moins de 20 ans ne s’informent plus comme il y a 10-20 ans, en lisant un journal, en regardant la télévision ou en écoutant la radio. Ils s’informent prioritairement en se connectant sur leurs médias sociaux.

Le front législatif, ensuite, en se dotant de lois comme en France ou en Allemagne qui vont permettre une lutte efficace et des condamnations si nécessaire.

Le front digital, enfin, en exigeant, collectivement, au niveau européen, un réel engagement dans ce combat de la part des GAFA. La lutte contre les fake news est parfois perçue comme une lutte contre la liberté d’expression. La question est intéressante et se doit d’être posée. La liberté d’expression est en effet une liberté fondamentale dans notre société et elle doit être protégée. Mais sa protection passe aussi par la lutte contre les fake news car, comme on le voit avec la guerre en Ukraine, les offensives visent justement à déstabiliser nos démocraties et nos libertés. Et comme le soulignait avec beaucoup de gravité Tristan Harris, un ancien cadre de chez Google : « Si vous voulez contrôler une population d’un pays, il n’y a jamais eu dans l’histoire de l’humanité un outil plus efficace que Facebook. »

Laurence Baeten, Managing Director, blue2purple

Le titre est de la rédaction. Titre original: « Moi, ma guerre, c’est l’éducation aux médias »

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