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Enseignement: l’AKT de Libramont risque gros

Laurence Van Ruymbeke
Laurence Van Ruymbeke Journaliste au Vif

En quittant l’Académie d’été de Libramont, qui accueille chaque année quelque 2 000 stagiaires dans ses sessions artistiques, deux conseillers historiques ont secoué la maison. Parmi leurs griefs : les contrats et les salaires en vigueur qui seraient en indélicatesse avec la loi. L’AKDT risque gros.

Libramont, ses vertes prairies, son altitude, sa foire agricole et… son Académie internationale d’été. Familièrement appelée AKDT, cette fondation d’utilité publique, aujourd’hui cinquantenaire, attire chaque été, sur les sites de Libramont et de Neufchâteau, quelque 2 000 stagiaires, enfants et adultes. Tous animés d’une même passion, qui pour la musique, qui pour les arts du spectacle, qui pour les arts plastiques.

Durant les trois premières semaines de juillet, les lieux vivent au rythme fou des artistes, encadrés par près de 200 professeurs et 4 conseillers artistiques, spécialisés, chacun, dans un secteur d’activité. Le tout financé par le paiement des stages et, pour un quart du budget (1 million d’euros), par des subsides publics (231 795 euros, dont 202 500 rien que de la Fédération Wallonie-Bruxelles).

Ces derniers mois ont été chahutés, à Libramont : deux des quatre conseillers artistiques de l’académie, Pierre Vaiana (musique) et Eddy Devolder (arts plastiques), ont en effet décidé de cesser d’y collaborer, après en avoir été des chevilles ouvrières pendant des années. Quelques-uns des professeurs les ont suivis. Ce sont à la fois les conditions de travail, notamment salariales, et le sentiment de ne pas être reconnus à leur juste valeur pour la tâche accomplie qui figurent au coeur du différend qui les opposait à la direction, emmenée par l’ex-député provincial luxembourgeois socialiste Philippe Greisch et l’administratrice déléguée Chantal Marchand.

Les conseillers artistiques assurent en effet un rôle essentiel dans l’organisation des stages. La convention qu’ils signent avec la fondation stipule d’ailleurs qu’en tant qu’experts, ils sont les meneurs du projet artistique et pédagogique. Ils doivent à cette fin mettre l’ensemble de leurs connaissances et compétences au service de l’académie « en dehors de toute notion de contrat d’emploi ».

Pour effectuer ce travail, les conseillers artistiques ont chacun reçu, en 2011, quelque 5 000 euros, calculés selon le nombre de stages, de stagiaires et de jours de présence sur place. Cette somme leur est versée pour 25 jours de travail maximum. Les 4 conseillers sont en effet soumis à l’article 17 de l’arrêté royal du 28 novembre 1969, qui, dans les grandes lignes, prévoit d’exonérer l’employeur du paiement des cotisations sociales s’il engage du personnel comme professeur ou moniteur, durant les vacances scolaires, sous statut d’employé et pour une durée limitée à 25 jours par an.

Or les conseillers artistiques consacrent plus de 25 jours par an à l’Académie, en réunions, rédaction de rapports, échanges de courriers, voyages exploratoires, etc. Selon eux, la préparation des stages et leur présence durant les semaines de juillet leur prend de 3 à 4 mois par an. « On dépasse clairement les 25 jours », confirme Vincent Dujardin, nouvellement nommé conseiller artistique à la place de Pierre Vaiana. C’est une première irrégularité contractuelle.

« Une tâche d’organisation ou d’administration, comme en assument ces conseillers artistiques, ne peut en aucun cas être couverte par l’article 17 », insiste Sarah Scaillet, directrice générale à l’ONSS. L’AKDT risque gros : l’ONSS pourrait exiger d’elle non seulement la régularisation des sommes dues, sous un statut légal cette fois, aux conseillers artistiques, mais aussi lui imposer une amende. Pour trois ans d’infraction au minimum et sept, au maximum.

« L’article 17 ne pose pas le moindre problème, affirme pourtant Philippe Greisch, président de l’académie. Il est appliqué depuis toujours. Nous avons fait appel à des juristes pour voir comment rencontrer les demandes des précédents conseillers artistiques, mais nous recevons des avis contradictoires. » Au sein du conseil d’administration de l’AKDT même, il en est pourtant qui confirment l’illégalité de ces conventions. « On ne peut plus appliquer l’article 17, lance Jean-Luc Geoffroy, l’un des administrateurs. C’est tout à fait illégal. Mais cela arrangeait tout le monde d’y recourir… » L’administratrice déléguée Chantal Marchand reconnaît aussi que la convention conclue avec les conseillers artistiques « ne peut pas être laissée comme ça ».

A l’été 2011, les conseillers artistiques de l’AKDT avaient mis une première fois sur la table la question de leur statut, de leur contrat et de leur rémunération, l’estimant insuffisante au regard du travail abattu. Une proposition d’augmentation a certes été avancée à la fin de 2012 mais elle n’a pas permis de retenir Pierre Vaiana et Eddy Devolder. Trois mois plus tard, alors que leurs successeurs Vincent Dujardin et Manuel Alves Pereira ont pris le relais, aucun changement n’est intervenu. Certains des conseillers artistiques actuellement en poste travaillent d’ailleurs sans convention.

Les contrats proposés aux professeurs, dont certains ne précisent même pas la durée quotidienne de travail à assurer, posent également problème. Car l’article 17 ne peut normalement pas s’appliquer à des animateurs qui n’ont pas de fonction principale salariée le reste de l’année. Or tous les professeurs de la fondation ne sont pas professeurs en académie ou au conservatoire en période scolaire. « Il faut garder une cohérence, souligne Sarah Scaillet (ONSS) : si on est indépendant toute l’année, il n’y a pas de raison d’être salarié pendant une ou deux semaines durant l’été. Le lien de subordination, qui caractérise le statut de salarié, me semblerait difficile à prouver. »

Equilibre précaire Payés entre 1 000 et 1 500 euros (brut) par semaine de stage, les professeurs de l’AKDT ne bénéficient pas d’une indexation automatique de salaire. Autrement dit, ils gagnent aujourd’hui pratiquement le même montant qu’en 1996 (voir documents ci-contre), à la nuance près que depuis 1998, l’Académie leur verse 13,5 % en plus au titre de précompte professionnel. Or la commission paritaire 329.02, à laquelle est attachée l’académie, prévoit bien une indexation des salaires.

« L’indexation est légalement due, même si les salaires versés sont supérieurs aux barèmes légaux – ce qui est le cas à l’AKDT -, et même si les contrats ne portent que sur 1 ou 2 semaines par an », indique-t-on au contrôle des lois sociales d’Arlon. Chez Partena, qui assure le secrétariat social de l’Académie, on relève qu’il n’est pas imaginable que les salaires n’aient pas été indexés pendant autant de temps s’ils devaient l’être.

Alors ? « On doit vérifier ce point, glisse Philippe Greisch. Nous avons fait appel à des juristes depuis septembre 2011, mais nous n’avons pas encore reçu de réponse précise. L’intention est bien entendu d’augmenter les salaires des professeurs en 2014. Cette question a été longuement débattue en conseil d’administration. Mais il faut laisser du temps au temps… »

Secoué par ces récents événements, le conseil d’administration de l’AKDT assure qu’il régularisera les contrats s’il s’avère qu’ils ne seraient pas légaux, et qu’il cherche désormais d’autres sources de financement. Car pour pouvoir financer une augmentation des salaires, il faut soit revoir à la hausse le prix des stages, soit trouver des recettes ailleurs, soit encore réduire les frais fixes, même sans toucher à l’équipe des sept permanents, employés toute l’année.

L’AKDT a terminé l’année 2012 en léger boni, mais elle reste tributaire de l’aide publique. Or « les subsides sont inscrits au budget 2013 mais il n’est pas sûr qu’on puisse les maintenir dans un contexte de crise », souligne le porte-parole de la ministre de l’Enseignement obligatoire Marie-Dominique Simonet. L’équilibre est donc précaire.

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