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En route vers une pension plus juste ? 10 conseils pour notre gouvernement

Le gouvernement Michel n’a pas mis en oeuvre la réforme nécessaire des pensions. Ce sera donc une tâche urgente pour le prochain gouvernement. L’économiste du travail Stijn Baert lance dix propositions concrètes.

Stijn Baert, économiste du travail à l’Université de Gand, n’est pas du genre à mâcher ses mots. « Pour les pensions, c’est le gouvernement des occasions manquées », dit-il fermement. Le gouvernement de Charles Michel (MR) n’a pas mis en oeuvre l’accord gouvernemental sur les pensions, la réforme reviendra donc à la prochaine équipe. Le but ultime est clair. « Une réforme en profondeur des retraites doit reposer sur trois principes », déclare Baert. Les pensions devraient permettre de finir dignement ses jours, être abordables et stimuler le taux d’emploi. Ce dernier élément est nécessaire pour maintenir d’autres parties du système de sécurité sociale, afin que la Belgique reste un État providence ».

Baert cite les chiffres les plus récents d’Eurostat sur le taux d’emploi. La Belgique obtient des résultats particulièrement mauvais à cet égard. « En Belgique, 60% des 50-64 ans ont un emploi. La moyenne dans l’Union européenne est de 66 %, aux Pays-Bas de 72 % et en Allemagne de 76 %. Si l’on considère les personnes peu qualifiées âgées de 50 à 64 ans, nos chiffres sont encore plus dramatiques. Dans notre pays, seulement 40% d’entre elles travaillent, alors que la moyenne de l’UE est de 50% – en Allemagne et aux Pays-Bas, elle est de 58%. Sur les deux fronts, la Belgique devrait au moins atteindre la moyenne européenne. Et ce n’est pas un problème communautaire, car les taux d’emploi sont faibles dans toutes les provinces. »

Stijn Baert
Stijn Baert © Thomas Sweertvaegher

Baert évoque également les chiffres de l’OCDE. Ces derniers montrent qu’une vieillesse digne est problématique en Belgique parce que le taux de remplacement (le pourcentage du dernier salaire que l’on reçoit comme pension) se situe entre 50 et 70%, alors que la moyenne européenne est de 70 à 80%. Baert : « Nous payons beaucoup d’impôts, mais ils ne sont pas compensés par des pensions à l’avenant. Il est également frappant de constater que le taux de remplacement est plus faible pour les catégories de revenus plus faibles que pour celles ayant un revenu moyen, alors que c’est là que l’on pourrait s’attendre à plus de solidarité. »

Il y a donc beaucoup de pain sur la planche. Baert formule 10 propositions concrètes pour mettre le prochain gouvernement sur la voie.

1. Faites en sorte que chaque journée de travail compte

La pension doit être beaucoup plus proportionnelle au nombre de jours travaillés. Actuellement, trop de périodes d’inactivité sont encore prises en compte dans l’accumulation de la pension : chômage, maladie, interruption de carrière, crédit-temps, etc. Chaque jour travaillé doit rapporter davantage qu’une journée non travaillée. Cela ne signifie évidemment pas que toute personne malade ou en congé de maternité doit être punie. Même ceux qui sont au chômage pour une courte période peuvent rester « sur un pied d’égalité », mais après quelques mois de chômage, les droits de pension doivent diminuer plus rapidement qu’à l’heure actuelle.

2. Liez un montant au système de points

En soi, le système de points élaboré par la Commission de pensions est merveilleux: vous gagnez un point pour chaque période travaillée, qui est converti en argent à votre âge de retraite. Plus vous accumulez de points, plus votre rente est élevée. Le système de points fait table rase du mode de calcul ancien de la pension.

Le problème du système de points, c’est que vous savez combien de points vous avez accumulés à la fin de votre carrière, mais pas le montant de la pension qui vous sera finalement versée. Motif : la valeur d’un point en argent dépendra d’un certain nombre de facteurs et ne sera déterminée qu’à la veille de votre retraite. C’est un problème pour beaucoup de gens, parce qu’ils veulent évidemment savoir à l’avance le montant de la pension qu’ils auront chaque mois sur leur compte. Aujourd’hui, vous pouvez calculer un montant de pension spécifique sur MyPension.be. L’avantage est que vous pouvez estimer l’effort qu’il vous reste à faire pour atteindre une pension plus élevée.

La question clé est de savoir si l’introduction du système de points idéal est politiquement réalisable. Je crains que non. Il aurait été préférable qu’en plus de son modèle idéal, la Commission des pensions ait également lancé un formulaire intermédiaire, en partant moins d’une feuille blanche.

3. Trop de métiers pénibles

Bacquelaine s’est enlisé en concluant d’abord un accord avec les syndicats gouvernementaux, ce qui signifierait que près de la moitié des fonctionnaires nommés à titre permanent auraient un travail difficile et pourraient donc prendre leur retraite plus tôt. C’est un accord fantôme, car c’est impraticable. Mais dans les discussions avec les partenaires sociaux, il est utilisé comme la norme pour tous les autres secteurs. En outre, le gouvernement a prévu une enveloppe budgétaire pour les métiers lourds. Il ne sera jamais possible d’étendre cet accord aux autres secteurs, car il y aura alors beaucoup trop de professions pénibles, et cela ne pourra jamais être financé par l’enveloppe proposée.

Il y a donc de bonnes chances que ce dossier se retrouve sur l’assiette du prochain gouvernement. Je lui recommanderais un changement de position pour la consultation sociale. Maintenant, le gouvernement crée un cadre général, puis demande aux syndicats et aux employeurs de négocier une interprétation, ensuite cette interprétation peut être modifiée au sein du gouvernement. Cela entraîne d’énormes retards si les partenaires sociaux ne s’en sortent pas. J’inverserais la façon de travailler. Demandez à des experts d’élaborer une proposition, que le gouvernement pourra ensuite soumettre aux partenaires sociaux, avec un délai strict. Cette proposition n’est pas à prendre ou à laisser, les syndicats et les employeurs peuvent l’amender ou faire des ajustements ou des contre-propositions sur certains points, sans toucher à l’essence de la proposition. Si le délai expire, la proposition devient loi. C’est ainsi que le gouvernement prend le contrôle et oblige les partenaires sociaux à trouver un accord.

4. Supprimez la prépension

On met progressivement un terme au chômage avec complément d’entreprise, l’ancienne prépension. Ainsi, en 2019, on n’y a droit qu’à 59 ans, et en 2020 à partir de 60 ans. Mais ce gouvernement hésite depuis trop longtemps. Je crois que d’ici la fin du prochain mandat du gouvernement en 2024, le système devrait être aboli.

La retraite anticipée est un anachronisme de l’époque où il y avait beaucoup de chômeurs et peu de postes vacants. Aujourd’hui, c’est l’inverse qui se produit. De plus, avec ce système, on éjecte du marché du travail des gens qui ont de la difficulté à trouver un emploi : les travailleurs âgés. C’est absurde, n’est-ce pas ? C’est précisément pour ce groupe qu’il faut faire des efforts supplémentaires afin de les aider à démarrer et à continuer. Vous ne le faites pas en leur donnant un supplément lorsqu’ils sont au chômage, pour qu’ils conservent 90% ou 95% de leur dernier salaire. En fait, en tant que gouvernement, vous leur dites : « Nous n’avons plus besoin de vous pour quoi que ce soit. »

5. Rapprochez les systèmes de pensions

Aujourd’hui, les salariés, les indépendants et les fonctionnaires perçoivent une pension qui est calculée d’une tout autre manière. Pour un salarié, l’ensemble de la carrière est pris en compte, pour un fonctionnaire les dix dernières années de sa carrière, et pour les indépendants, on utilise un montant de base. Par conséquent, les montants divergent énormément. Les principes de base devraient être les mêmes pour tous, afin qu’il soit plus facile, par exemple, de passer d’un statut à un autre.

Certains veulent greffer tous les systèmes sur celui des fonctionnaires, parce qu’il offre les pensions les plus élevées. Si nous voulons que le système demeure abordable, ce n’est pas réaliste. Ainsi, avec un système transparent et généralement applicable, on choisirait la voie du milieu. De facto, cela signifie un peu moins de pension pour les fonctionnaires, et un peu plus pour les indépendants et les salariés. Bien entendu, il ne faut pas toucher aux droits de pension acquis.

Je comprends que les fonctionnaires n’aimeront pas entendre cela, mais une pension plus élevée pour les fonctionnaires est-elle toujours défendable ? L’une des principales raisons pour lesquelles la pension de la fonction publique est si élevée, c’ est qu’il s’agit d’une rémunération différée. La question est la suivante : les salaires et les conditions de travail des fonctionnaires sont-ils si mauvais qu’ils devraient toucher plus de pension que les salariés et les indépendants ? Je pense que ce n’est plus le cas.

6. Faites augmenter l’âge de la retraite proportionnellement à l’espérance de vie en bonne santé

Aujourd’hui, on dit qu’il va falloir travailler jusqu’à 67 ans, après une certaine période de carrière. Si nous voulons une réforme des retraites qui dure 20, voire 30 ans capable de résister aux coûts croissants du vieillissement, alors cet âge et cette durée de carrière doivent évoluer avec l’espérance de vie. La Commission des pensions propose également ceci : si à l’avenir les gens vivent encore plus longtemps, ils devront travailler encore plus longtemps. Je préférerais associer l’âge de la retraite à l’espérance de vie en bonne santé. Le relèvement automatique de l’âge de la retraite en fonction de l’espérance de vie en bonne santé s’appliquerait également aux personnes que leur longue carrière autorise à prendre leur retraite à un âge inférieur à 67 ans: si l’espérance de vie en bonne santé augmente, leur âge de retraite augmentera également.

7. Prenez la discrimination liée à l’âge au sérieux

Les politiciens et les journalistes parlent généralement de discrimination ethnique ou sexiste sur le marché du travail, mais les recherches montrent qu’un autre type de discrimination est au moins aussi important : la discrimination fondée sur l’âge. Elle est souvent négligée. La discrimination liée à l’âge commence aussi beaucoup plus tôt qu’on ne le pense habituellement. Il s’avère que les personnes de 44 ans sont beaucoup moins souvent invitées à un entretien d’embauche que les personnes de 38 ans possédant les mêmes qualités. Et quelqu’un de 50 ans, encore moins.

Il faut agir, car on trouve que les gens devraient travailler plus longtemps, afin de payer leur retraite plus tard et pour qu’ils puissent contribuer plus longtemps au financement du système. Mais si un travailleur de 44 ou 50 ans est licencié, il devra trouver un nouvel emploi.

En tout état de cause, il faut combattre la discrimination liée à l’âge. Cela peut se faire par des tests pratiques, mais pas de la manière complexe dont ils ont été introduits par le ministre de l’Emploi Kris Peeters (CD&V). Quoi qu’il en soit, il ne suffit pas – comme c’est déjà le cas – d’interdire par la loi la discrimination fondée sur l’âge : il faut aussi l’établir et la sanctionner. Sinon, ce serait comme criminaliser l’excès de vitesse, mais ne pas installer de radars.

8. Assouplissez le lien entre salaires et ancienneté

Aujourd’hui, un employé gagne un salaire plus élevé en fonction du nombre d’années de service. Il est logique que les salaires augmentent au cours des premières années d’une carrière, mais à un moment donné votre productivité n’augmente plus, alors que les salaires continuent d’augmenter. C’est là qu’il y a un problème, parce que l’employeur fait ses comptes: combien me coûte un employé, et qu’est-ce qu’il me rapporte ? Cette situation est désavantageuse pour les travailleurs âgés, car les salaires sont liés à l’ancienneté.

Ce lien a également été mentionné par le gouvernement Michel. Le ministre Peeters dit toujours qu’il a demandé aux syndicats et aux employeurs de trouver une solution négociée. Mais j’entends dire par les employeurs que les syndicats ne veulent pas en parler et que le gouvernement doit le résoudre. Tout le monde montre tout le monde du doigt et il ne se passe rien.

Le lien entre les salaires et l’ancienneté est un sujet sur lequel les employeurs et les syndicats ne seront jamais d’accord. C’est pourquoi je pense que le gouvernement lui-même devrait élaborer une proposition. Ici aussi, il faut donc un changement de position. Les partenaires sociaux peuvent alors présenter une proposition améliorée à une certaine date. S’ils ne le font pas, la proposition du gouvernement entrera en vigueur.

9. Veillez à ce que travailler rapporte toujours plus que de ne pas travailler

La recherche scientifique montre que si vous avez souvent été au chômage ou inactif entre 25 et 50 ans, la probabilité que vous travailliez encore après 50 ans est beaucoup plus faible. Il est donc dans notre intérêt que tout le monde travaille un maximum avant l’âge de 50 ans. Bien sûr, à certaines périodes de la vie, un quatre cinquièmes devrait être possible, mais nous devons rendre le travail aussi tentant que possible. À tous les âges, le travail devrait rapporter plus que l’absence de travail.

Pour y parvenir, une série de réformes sont nécessaires. Il a déjà été décidé de diminuer davantage les allocations de chômage afin d’inciter les chômeurs à chercher du travail. Vous devez également instaurer des réductions d’impôts, en particulier pour les salaires les plus bas. Il faut investir dans la garde d’enfants pour que les jeunes parents puissent amener leur enfant à la crèche plus facilement et à moindre coût. Aujourd’hui, ils sont souvent trop éloignés ou trop chers, de sorte qu’un parent décidera plus rapidement de s’occuper de l’enfant plutôt que de travailler. Il faut donc prendre des mesures générales pour attirer et retenir les personnes sur le marché du travail. C’est lié à la réforme des retraites.

10. Nommez un as ministre des Pensions

Le ministre des Pensions du prochain gouvernement a une tâche importante à accomplir. Il ou elle doit donc avoir deux grandes qualités. Premièrement, le ministre doit avoir la volonté d’agir – l’inverse de ce que nous avons vu avec le gouvernement Michel. La réforme des retraites ne doit pas attendre la fin du mandat. Et si les partenaires sociaux ne font pas de propositions, le ministre des pensions lui-même devra prendre le taureau par les cornes.

Deuxièmement, il ou elle doit avoir du poids au sein du gouvernement. Parce que qu’est-ce qu’on a vu sous Michel ? Tous les ministres ont défendu leurs fonctionnaires. Le ministre de l’Intérieur Jan Jambon (N-VA) a dit qu’il était d’accord qu’il fallait travailler plus longtemps, mais que pour la police il fallait faire une exception. Le ministre de la Défense Steven Vandeput (N-VA) voulait la même chose pour son armée. Et ainsi de suite. Un ministre des retraites devrait alors répondre : « Mêlez-vous de vos affaires, c’est mon dossier et nous ferons des choix objectifs ». Cela n’est possible que si ce ministre pèse suffisamment lourd.

Nous parlons depuis des décennies du vieillissement de la population et nous savons qu’il faut faire quelque chose pour les pensions. Mais comme l’a dit Bruno Tobback (SP.A) : « Je sais ce qu’il faut faire, mais je ne sais pas si je vais être élu ». Le fait est que si le prochain gouvernement ne fait pas de la réforme des pensions une question d’urgence, nous aurons un très gros problème. Ce qu’il nous faut, c’est quelqu’un de la trempe de feu Jean-Luc Dehaene (CD&V).

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