Jan Denys et Stijn Baert © Hatim Kaghat

Emploi: « Le gouvernement Michel a échoué »

La politique d’emploi du gouvernement Michel a-t-elle porté ses fruits? Pour les deux experts, Stijn Baert et Jan Denys, « il a surtout été question de politique virtuelle. »

Le gouvernement Michel va certainement en faire l’étalage. Au cours de sa législature, 220 000 emplois ont été créés. Et le taux de chômage est tombé à moins de 6%, le niveau le plus bas depuis les premiers chiffres en 1983. Il existe de grandes différences régionales : à Bruxelles, le taux de chômage est de 13%, en Wallonie de 9%, en Flandre de 3%. En Flandre, le gouvernement Bourgeois sera ravi d’exhiber ce dernier chiffre.

« Les chiffres sont jolis », disent Stijn Baert et Jan Denys en choeur. « Mais sont-ils dus à la politique gouvernementale ou, surtout, à la bonne conjoncture économique? » Stijn Baert est économiste du travail à l’Université de Gand, Jan Denys est spécialiste du marché du travail chez Randstad. Pour évaluer la politique du marché du travail de nos gouvernements, ils préfèrent examiner quatre paramètres sur lesquels les gouvernements ont une emprise claire : l’activation des chômeurs et des inactifs, la pénurie sur le marché du travail, la migration économique et l’allongement de la durée de travail. « Si vous faites cela, vous obtenez un tableau différent ».

1. L’activation de chômeurs et d’inactifs

« Si vous voulez scinder le pays, continuez comme ça »

« Les politiciens n’aiment pas parler du taux d’emploi : c’est-à-dire quelle partie de la population est au travail », explique Stijn Baert. « À ce niveau, nous obtenons de mauvais résultats », déclare Stijn Baert. Baert complimente le ministre-président flamand Geert Bourgeois (N-VA), qui a déclaré le 11 juillet dernier que la Flandre devrait viser un taux d’emploi de 80%. D’après Baert, c’est la seule bonne ambition, même si c’est une grande ambition : au début de cette législature, le pourcentage de Flamands actifs était de 72%, quatre ans plus tard il est de 75%. C’est juste au-dessus de la moyenne des 28 États membres de l’Union européenne. C’est moins qu’en Allemagne et aux Pays-Bas : les deux pays atteignent environ 80%.

Denys trouve particulièrement problématique que Bruxelles (taux d’emploi : 61%) et la Wallonie (64%) fassent encore pire. « En outre, l’écart entre la Flandre et la Wallonie s’est creusé ces dernières années. » Selon nos experts, la Flandre se porte un peu mieux grâce aux « gardiens » de notre marché du travail. Le VDAB, par exemple, encourage depuis plusieurs années chaque chômeur à postuler après six semaines.

Et puis il y a deux gardiens fédéraux. La première est l’assurance maladie, qui permet aux travailleurs de quitter le marché du travail. C’est souvent là que les choses tournent mal. Baert donne un exemple : « Une personne qui ne se présente pas à l’entretien d’embauche prévu après son congé de maladie sera à peine sanctionnée. Deuxièmement, il y a la retraite anticipée et le régime de chômage avec complément d’entreprise (RCC, l’ancienne prépension). Denys : « Certains politiciens prétendent que le RCC est une compétence fédérale, mais rien n’empêche le VDAB d’activer le groupe des personnes concernées. En pratique, il ne se passe rien. Il n’y a tout simplement pas de bénéficiaires du RCC qui retournent sur le marché du travail après un certain temps ».

Baert souligne également les différences importantes pour les personnes au chômage depuis plus d’un an. Durant ce mandat, le taux de chômage de longue durée chez les 20-64 ans est passé de 3,2% à 1,9% dans notre pays. Mais de nombreuses provinces flamandes comptent moins d’1% de chômage de longue durée et certaines provinces wallonnes jusqu’à 5%.

Denys voit les lignes de fractures régionales sur le marché du travail se creuser. « Prenons, par exemple, la mobilité de la main-d’oeuvre entre les régions : il y a dix ans, nous étions après l’Italie le pays où la différence du nombre de chômeurs d’une région à l’autre était la plus grande, et maintenant nous sommes le numéro un européen. Nos responsables politiques annoncent de nouvelles initiatives pour orienter les chômeurs francophones vers les postes vacants en Flandre, mais sur le terrain, on ne voit pas d’amélioration. Les entreprises situées au sud de la Flandre-Occidentale continuent à trouver beaucoup plus facile de recruter des Français que des chômeurs wallons ».

Selon Denys, tout cela met une bombe sous le pays. « Le président de la N-VA, Bart De Wever, utilisera certainement ces chiffres dans les semaines à venir : Si vous voulez scinder le pays, continuez comme ça. » Pour Stijn Baert,  » la Wallonie a tout intérêt à combler cet écart. Ce n’est pas avec la semaine de 32 heures avec maintien du salaire, une réforme proposée par le PS, que cela fonctionnera. Au contraire ».

2. Pénurie sur le marché du travail

« Un cocktail mortel pour les personnes peu qualifiées »

Dans notre pays, de nombreux postes vacants ne sont pas pourvus. Selon les calculs de Stijn Baert, la pénurie sur notre marché du travail est plus importante qu’aux Pays-Bas et en Allemagne. Cela s’explique en grande partie par le fait que la Belgique compte un groupe beaucoup plus important de personnes inactives : des personnes qui n’ont pas d’emploi et ne le recherchent pas (et qui ne sont donc pas qualifiés de chômeurs). Cela concerne principalement les personnes peu qualifiées, issues de l’immigration et d’un certain âge.

En Belgique, 1 personne sur 4 âgée de 20 à 64 ans est inactive. En Europe, c’est en moyenne 1 sur 5 ; aux Pays-Bas et en Allemagne, c’est 1 sur 6. Jan Denys : « Le temps s’est arrêté à Bruxelles et en Wallonie. La Flandre se porte un peu mieux, mais reste en dessous de la moyenne européenne ».

Nous ne parvenons pas à trouver et à conserver un emploi pour les personnes peu qualifiées, alors que la moitié des postes vacants ne nécessitent pas de formation spécifique. Selon Denys, la Belgique est même en recul à cet égard. « C’est remarquable en soi, car moins de 10 % de nos jeunes quittent l’école sans diplôme. C’est mieux que beaucoup d’autres États membres de l’UE. »

Pourquoi les personnes peu qualifiées ont-elles tant de difficultés à trouver du travail? « Le marché du travail belge leur sert un cocktail mortel », dit Denys. « Nos salaires minimums élevés constituent un obstacle à leur recrutement. Et comme la durée des prestations est illimitée, elles ne sont guère motivées pour chercher du travail ». Baert évoque le piège du chômage : « Les chômeurs peu qualifiés qui trouvent un emploi peuvent compter sur une augmentation de leur revenu qui ne dépasse parfois pas 10%. Si vous commencez à travailler, vous avez aussi des coûts indirects, comme le transport et la garde d’enfants. Par conséquent, le solde peut même être négatif. »

Baert continue d’insister sur la réforme qu’il a proposée l’année dernière : rendre les allocations de chômage plus dégressives, c’est-à-dire légèrement plus élevées au début, puis les réduire systématiquement. Cette proposition a été faite dans l’accord d’été du gouvernement Michel, mais le vu le départ de la N-VA, elle ne sera probablement plus mise en pratique.

Denys veut aller encore plus loin. « La Belgique est le seul pays en Europe où l’on peut bénéficier d’allocations illimitées dans le temps. Mettez un terme à cela, par exemple au bout de deux ans. Cela encouragera de nombreux chômeurs à postuler. »

3. La migration économique

Les nouveaux venus ne sont pas adaptés au marché du travail.

Selon Jan Denys, la migration est également à l’origine du grand nombre de travailleurs peu qualifiés qui ne travaillent pas. Il souligne qu’il ne s’agit pas de personnes fuyant la violence, la persécution ou la guerre. « Je parle de personnes qui viennent en Belgique pour d’autres raisons et que nous ne pouvons pas déployer sur notre marché du travail. La migration vers la Belgique pour des raisons professionnelles est beaucoup moins fréquente qu’ailleurs. Par exemple, nous avons beaucoup de regroupements familiaux : ces migrants finissent souvent au chômage ou dans l’inactivité. »

Aux Pays-Bas et en Allemagne, plus de 50% des personnes issues de l’immigration travaillent, dans notre pays moins de la moitié. Comment gérer ça? Stijn Baert : « Tout d’abord, nous devons nous assurer que les travailleurs entrants sont adaptés à notre marché du travail et que leur expérience et leurs compétences constituent une valeur ajoutée. La politique migratoire du Canada en est un exemple. Les Canadiens tiennent davantage compte des qualifications requises. Il n’est pas surprenant que les migrants se portent beaucoup mieux sur le marché du travail canadien. On récolte ce que l’on sème ».

Le ministre flamand de l’Emploi Philippe Muyters (N-VA) a proposé une liste de métiers pour lesquels les entreprises peuvent plus facilement attirer des travailleurs étrangers. Baert pense que c’est une bonne mesure. Denys partage cet avis, mais dénonce l’initiative du VDAB de recruter des informaticiens au Maroc. « Ce n’est pas une tâche fondamentale du VDAB. En outre, à Anvers, il y a suffisamment de chômeurs d’origine marocaine qui entrent en ligne de compte pour une telle formation ».

« Dès que les nouveaux venus arrivent, nous devons les guider vers le marché du travail », dit Baert. « Ce faisant, tous les intervenants doivent cesser de se blâmer les uns les autres. Les employeurs ne peuvent discriminer et les employés issus de l’immigration ne doivent pas faire de propositions stupides, comme par exemple faire de l’arabe l’équivalent du néerlandais à l’école primaire. Cela ne contribue pas du tout à accroître leurs chances sur le marché du travail ».

4. Travailler plus longtemps

« Confusion »

En Belgique, 5 personnes âgées de 55 à 64 ans sur 10 travaillent. En Europe, la moyenne est de 6 sur 10, aux Pays-Bas et en Allemagne de 7 sur 10. Stijn Baert et Jan Denys affirment que cet écart-là non plus n’a pas été comblé au cours de la législature précédente. « Je l’ai calculé », dit Denys. « Si nous continuons dans cette voie, il nous faudra encore un siècle avant d’atteindre le niveau européen moyen. »

Baert : « Il y a une grande différence entre ce que le gouvernement Michel avait promis lorsqu’il est arrivé au pouvoir, c’est-à-dire travailler plus longtemps, et ce qu’il a finalement accompli. Nous devrions travailler jusqu’à 67 ans, mais d’ici 2030. Il y aurait une liste de professions lourdes pour lesquelles on ferait une exception à cette règle. Et l’ancienne pension de transition s’éteindrait lentement. Qu’en est-il advenu ? L’ambition du gouvernement a fondu. »

« De plus, c’est semer la confusion que de dire que tout le monde devra travailler jusqu’à 67 ans avant que le ministre des Pensions (Daniel Bacquelaine, MR) déclare qu’il suffira que 10 à 15% le fasse. Et que le même ministre conclut un accord avec les syndicats du secteur public où environ la moitié des fonctionnaires nommés à titre permanent s’avèrent exercer un métier pénible et peuvent donc prendre leur retraite plus tôt… alors évidemment, on n’y arrivera jamais. »

Selon les deux experts, tant les hommes politiques que les partenaires sociaux donnent l’impression que l’allongement de la vie active n’est pas une nécessité urgente. À titre d’exemple, ils se réfèrent à l’accord social qui a été conclu la semaine dernière, où l’on a une nouvelle fois assoupli le régime de chômage avec complément d’entreprise. Baert : « Autrefois, les partenaires sociaux concluaient un accord, ensuite ils pondaient leur oeuf dans le nid du gouvernement et ils étaient autorisés à le faire éclore. Il en sortait souvent un coucou qui vidait le trésor. Aujourd’hui, c’est l’inverse : le gouvernement dépose une affaire délicate, qu’il ne réussit pas à résoudre, dans le nid des partenaires sociaux, sachant bien qu’ils n’en sortiront pas non plus. Il l’a fait, par exemple, pour la liste des métiers pénibles et la relation entre les salaires et l’ancienneté. C’est pourquoi tout reste pareil. »

Les deux experts du marché du travail sont d’accord : si vous travaillez plus longtemps, votre pension doit augmenter. Baert :  » Le sp.a, par exemple, propose dans ses plans de pension que les personnes qui travaillent plus longtemps perçoivent une pension plus élevée. C’est une bonne chose. Mais les socialistes ne veulent pas diminuer les périodes dites assimilées – des jours que vous ne travaillez pas mais qui comptent encore pour votre pension. Ils les augmentent même un peu. Et c’est problématique. Chaque jour de travail produit plus de pensions qu’un jour non travaillé : tel devrait être le principe. »

Recommandations

« N’augmentez pas le salaire minimum »

« Pour résumer en une phrase: le gouvernement Michel a suscité de grandes attentes, mais il ne les a pas satisfaites », déclare Jan Denys. « Dans des domaines cruciaux, il n’a pas réussi à réduire l’écart avec le reste de l’Europe. Parfois, l’écart s’est même creusé. Alors on pourrait dire : le gouvernement a échoué. » Baert est d’accord. « Ses mesures vont dans la bonne direction. Prenez la loi sur le travail faisable: celle-ci garantit aux salariés de meilleures conditions de travail tout au long de leur carrière, et donne plus de flexibilité aux employeurs. Mais en général, la politique virtuelle était le principal enjeu : le gouvernement fédéral a annoncé toutes sortes de mesures, souvent en grande pompe, mais la mise en oeuvre n’a pas suivi. »

Pour Baert, le gouvernement flamand de Bourgeois est une autre histoire. « Il a également mené à bien les réformes promises, souvent en silence. Par exemple, en guidant les gens vers un emploi. » Denys n’est pas tout à fait d’accord sur ce dernier point, car pratiquement aucun allocataire du chômage avec complément d’entreprise n’est retourné au travail. « La Flandre possède la compétence d’activer les plus de 55 ans, mais ne le fait pas assez. »

Ensemble, Baert et Denys ont formulé cinq recommandations pour nos prochains gouvernements.

1. Aidez plus de personnes peu qualifiées à se lancer sur le marché du travail.

« Cela ne se fera certainement pas en augmentant de façon significative le salaire minimum, comme le proposent certains partis », dit Denys. Le spécialiste de la pauvreté Ive Marx a calculé qu’une augmentation de 30% n’aura aucun impact sur la pauvreté, car la plupart des personnes qui travaillent au salaire minimum ou à un salaire légèrement supérieur ne sont pas pauvres du tout. Baert : « Un salaire minimum plus élevé est intéressant pour ceux qui ont déjà un emploi. Pour ceux qui doivent trouver un emploi, c’est un obstacle ». « Ce faisant, nous devons porter un regard critique sur l’immigration des personnes peu qualifiées », estime Denys. Baert : « Nous devons travailler sur la migration économique, en attirant les personnes dont nous avons besoin sur notre marché du travail. »

2. Réduisez les coûts indirects auxquels sont souvent confrontés ceux qui travaillent.

« Les gens ne devraient pas subir de stress supplémentaire parce que les services de garde d’enfants coûtent cher « , dit Baert.

3. Améliorez l’activation de chômeurs de longue durée et d’inactifs

Baert et Denys sont d’accord : « Il faut un directeur central du marché du travail. Il devrait également s’intéresser aux inactifs et pas seulement aux chômeurs – ils ne sont que la pointe de l’iceberg. »

4. Reprenez les rênes, au lieu de tout transférer aux partenaires sociaux.

Le gouvernement ne devrait pas seulement fournir un cadre, par exemple en disant combien devraient coûter les métiers pénibles. Il doit également élaborer un projet, par exemple une liste de métiers pénibles établie par des experts. Demandez aux partenaires sociaux de négocier à ce sujet avant une certaine date. Et que la proposition du gouvernement entre en vigueur s’il n’y a pas d’accord. Sinon, les négociations sociales se termineront comme elles commencent : par une feuille blanche. »

5. Faites en sorte que le travail paie plus

« À court terme, vous devriez le voir à votre salaire », dit Baert. « Et à long terme, travailler devrait rapporter plus pour votre pension. »

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