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Electragate/Ores : la croisade de Mitsch contre les moulins politiques

Olivier Mouton
Olivier Mouton Journaliste

Le conseiller communal PS dépose une pétition au parlement de Wallonie pour réclamer une commission d’enquête sur l’Electragate. Il continue un combat qui se heurte au scepticisme de ses collègues.

Jean-François Mitsch, conseiller communal PS à Genappe, se dit  » soulagé  » de voir qu’il n’est plus seul dans sa croisade pour une facture énergétique plus juste, grâce à la campagne lancée par Test-Achats, dont nous révélons la teneur par ailleurs. Le  » lanceur d’alerte  » de l’affaire Electragate/Ores, dévoilée en mars dernier dans Le Vif/L’Express, s’interroge depuis de longs mois sur un double marché conclu entre Electrabel et les actionnaires d’Ores, principal distributeur d’énergie en Wallonie, qui aurait coûté quelque 200 millions de trop aux pouvoirs publics. Un scandale potentiellement plus vaste que Publifin, selon lui, car il démontre un système qui explique l’inertie dans le secteur de l’énergie en Belgique.

Ce mercredi 8 novembre, le conseiller communal a déposé une pétition au parlement de Wallonie pour réclamer une commission d’enquête spécifique à cet Electragate qui n’a pas encore révélé tous ses secrets : 5 500 signataires, rassemblés via la plateforme citoyenne Toute la lumière.be, l’appuient dans sa démarche. Parmi eux, un millier se déclarent également prêts à soutenir une action collective pour se constituer partie civile dans le cadre de l’information judiciaire ouverte mi-mai par le parquet de Nivelles. Jean-François Mitsch se dit aussi  » indigné  » de voir que le monde politique essaie d’étouffer cet épineux dossier. Et tout aussi  » dégoûté  » par l’attitude de son propre parti, le PS, qui ne le soutient guère – c’est un euphémisme…

Le 12 juin, les dirigeants de la double structure d’Ores (l’intercommunale et son bras armé opérationnel Ores scrl) avaient été auditionnés en commission de l’energie au parlement de Wallonie. Le CEO d’Ores scrl, Fernand Grifnée, l’ancien président d’Ores, Claude Desama, ainsi qu’un représentant du Groupement d’intérêt économique (GIE), Raphaël Durant, avaient longuement argumenté que le double marché controversé était au contraire  » un bon deal « . Sans convaincre complètement : les ministres de l’Energie et des Pouvoirs locaux, Christophe Lacroix et Pierre-Yves Dermagne (PS), avaient demandé une enquête administrative, toujours en cours, et la mise en place d’une commission chargée d’étudier le dossier en profondeur, avec l’appui d’experts indépendants. La chute de la majorité wallonne, cet été, a freiné cette volonté de transparence. Même si l’actuel ministre de l’Energie, Jean-Luc Crucke (MR), ne s’oppose pas à une initiative parlementaire.

« Pas de nouveau Publifin… »

Dans les rangs des parlementaires, le ton est à la prudence. Philippe Henry (Ecolo) a déposé une motion pour réclamer le rapport de l’administration d’ici au 15 décembre. Avant cela, pas question d’une commission d’enquête.  » A ce stade, nous n’avons aucun élément qui laisserait penser que nous sommes face à un nouveau Publifin, appuie Pierre-Yves Dermagne, chef de groupe PS, dans l’opposition, interrogé par L’Avenir. Mais si des éléments nouveaux nous prouvent le contraire, nous demanderons une commission pour faire toute la lumière.  » De même, le 22 juin, Jean-François Mitsch n’avait déjà pas réussi à convaincre un nombre suffisant de communes pour bloquer l’adoption des comptes d’Ores. L’Electragate risque bel et bien un enterrement de première catégorie. Le montant indéniablement trop élevé de la facture d’énergie en Belgique reste toutefois une énigme que l’initiative de Test-Achats, réclamant aussi une commission d’enquête, cherche à lever.

Dans le cadre plus spécifique d’Ores, Jean-François Mitsch a poursuivi son travail d’empêcheur de tourner en rond depuis le mois de juin. Il s’interroge notamment sur les rémunérations des top managers de cette structure bicéphale, après la découverte d’une ligne dans le rapport financier 2016.  » Selon les informations fournies par Ores, 9,5 millions de stock-options (rémunération variable, entre 2009 et 2016) ont été attribuées à huit personnes en plus des rémunérations des cadres publiées dans le bilan et les 418 000 euros de l’administrateur délégué, qui dépassent déjà les 245 000 euros autorisés par le Code de démocratie locale « , souligne-t-il. Une motion a été déposée mi-septembre au conseil communal de Genappe pour en savoir plus.

Fernand Grifnée (Ores), Claude Desama (ex-Ores) et Raphaël Durant (GIE) devant la commission d'enquête énergie du 12 juin dernier.
Fernand Grifnée (Ores), Claude Desama (ex-Ores) et Raphaël Durant (GIE) devant la commission d’enquête énergie du 12 juin dernier.© Philip Reynaers/Photo News

La longue réponse d’Ores, transmise le 25 septembre, en dit long sur l’irritation de l’opérateur.  » C’est un outil de motivation, qui permet de récompenser des personnes qui ont obtenu des résultats probants « , est-il précisé. En rectifiant le montant, qui ne serait en réalité que de 2,821 millions sur l’année 2016 uniquement, octroyés en vertu d’un ruling fiscal, c’est-à-dire un accord préalable de l’administration fiscale, ce qui ne signifie pas que c’est légal dans le cadre de la gestion publique, qui exclut ce type de produit financier. Une réponse assortie de menaces à l’égard du conseiller :  » Les demandes de Monsieur Mitsch, et par tous canaux (mail à Ores, mail à Sedifin, Transparencia, Conseil communal et même le GIE), sont incessantes avec un sens aigu de l’amalgame.  » Selon Ores, le conseiller détournerait son droit à l’information de manière excessive.  » Ce caractère abusif pourrait encore être renforcé s’il était manifeste que l’intention du demandeur était de nuire aux intérêts de l’intercommunale, en faisant un usage orienté et erroné de ces documents « , conclut le courrier.

Mais Jean-François Mitsch n’en démord pas. Il s’en prend encore à la mauvaise gestion de la dette opérée par le groupe. Il dénonce aussi l’attitude de l’intercommunale lorsqu’elle attaque le nouveau texte du régulateur wallon, la Cwape, déterminant les tarifs d’énergie pour 2019.  » Pourtant, ce texte de la Cwape devrait matérialiser une réduction du prix, dénonce-t-il. Ores se comporte comme une entreprise privée, loin de la recherche de l’intérêt général.  » Et de relever que Resa, le gestionnaire de réseau appartenant à Publifin a, quant à lui, accepté la proposition de nouveau tarif du régulateur. Faisant feu de tout bois, le conseiller communal socialiste dénonce encore les failles de la gouvernance d’Ores –  » deux administrateurs indépendants siègent au nouveau conseil d’administration, alors qu’il en faudrait six minimum « . Il épingle enfin la proximité décidément forte entre cette structure et Electrabel, dont le CEO d’Ores scrl, Fernand Grignée, a été responsable juridique, puis de la communication. Mais il apparaît aussi que Cyprien Devillers, échevin MR à Charleroi et président d’Ores scrl et d’Ores Assets, l’intercommunale en tant que telle, était lui aussi  » strategic analyst  » chez Electrabel, depuis 2001. Un noyautage en bonne et due forme ?

Le  » lanceur d’alerte  » de Genappe lui-même n’est-il pas, toutefois, suspect de conflit d’intérêts ? Jean-François Mitsch est à la tête d’Enercoop Belgique, une coopérative active dans la production d’énergie renouvelable.  » C’est parce que je connais le secteur que j’ai pu en voir les dérives, rétorque- t-il. Oui, je suis un acteur de la production. Ores est une entreprise publique qui s’occupe de distribution d’énergie, il n’y pas de conflit entre les deux. Ores essaie de me discréditer mais ferait mieux de me répondre, un point c’est tout.  » Son intention ? Provoquer un débat sur les structures, sur la transparence de la facture et sur l’indispensable transition énergétique. Quitte à déranger, encore et toujours. Et s’attirer les foudres de ses pairs.

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