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Droits des femmes: « La Belgique reste un pays conservateur »

Les inégalités entre les femmes et les hommes persistent en 2020: elles gagnent moins, sont moins bien représentées dans la société et restent les premières victimes de violences, énumère Pascale Vielle, professeure de droit à l’UCLouvain. « La Belgique reste un pays conservateur », enfonce la spécialiste des questions de genre et de protection sociale.

La Journée internationale des droits des femmes, le 8 mars, représente l’occasion de faire le point sur les inégalités persistantes entre les femmes et les hommes. Un indicateur souvent brandi comme preuve que, malgré toutes les avancées, les femmes restent victimes d’inégalités, est celui de l’écart salarial.

Inégalités socio-économiques

En Belgique, l’écart salarial horaire s’élevait en 2017 à 9,6% en défaveur des femmes, selon les derniers chiffres publiés par l’Institut pour l’égalité des femmes et des hommes (IEFH). Ce chiffre prête toutefois à controverse car il occulte le fait que les femmes travaillent davantage à temps partiel. Cette proportion représente donc « ce que ces femmes auraient gagné si elles avaient travaillé à temps plein », explique l’Institut. Si on enlève cette correction, l’écart salarial grimpe jusqu’à 23,7%.

« Les inégalités socio-économiques persistent », souligne la professeure Vielle. « Il y a un partage inégal du temps de travail, salarié mais aussi domestique, qui reste très problématique. » Il ressort en outre des chiffres de l’IEFH, que l’écart salarial évolue très peu au fil des ans. « La Belgique reste un pays conservateur. D’une part, parce qu’il est difficile à faire évoluer et d’autre part, à cause des représentations des rôles des femmes et des hommes » qui restent stéréotypées dans la société belge, explique Pascale Vielle.

Des violences, mais pas que

Les femmes sont aussi fortement exposées à des violences, « un aspect sur lequel tout est focalisé ces derniers temps », relève Mme Vielle. « C’est un aspect important, réel et grave mais en ne s’attaquant qu’aux violences faites aux femmes, on oublie de s’attaquer aux causes », déplore-t-elle. Or, tout est lié: « On ne peut agir sur les violences sans s’attaquer à l’enracinement des inégalités », estime la professeure. Elle plaide pour une mise en oeuvre efficace de l’appareil législatif. Ajouter le féminicide par exemple au code pénal ne remporte pas ses faveurs. « Cela permettrait au pouvoir public de se débarrasser de la question. Il faut plutôt mettre cette question à l’agenda, dans les priorités et donner les moyens » pour lutter. « C’est facile de changer la loi, ça ne coûte rien », lance-t-elle, acerbe. Ce qu’il est faut, « c’est mettre les moyens à disposition pour mettre en oeuvre la loi qu’on a déjà ».

Il faudrait aussi disposer de statistiques sur les femmes victimes de violences. « C’est fou de ne pas disposer de chiffres sur la question », s’exaspère-t-elle. « Tout est là: une définition commune a été élaborée ainsi qu’une méthode de collecte voici 13 ans », s’exclame-t-elle. Or, le constat est là: aucun chiffre n’est collecté.

Manque de représentation

Autre inégalité: les femmes souffrent d’une représentation inégale dans toutes les sphères de la société – économique, artistique, intellectuelle, universitaire… Du côté du politique, les choses s’améliorent aux yeux de Mme Vielle. « Être une femme politique paraît plus naturel aujourd’hui, ça a beaucoup évolué et on doit s’en féliciter », souligne-t-elle. L’arrivée des femmes dans le bastion politique n’a pas été une mince affaire et s’est faite à coups de lois imposant leur présence. Pour Mme Vielle, le résultat obtenu montre que ces lois « marchent dans les secteurs où ça ne bouge pas ».

Montrer la place effective des femmes dans la société et l’économie, c’est justement l’objectif de la grève des femmes qui, pour sa deuxième édition, se déroule sur deux jours – dimanche et lundi. « C’est génial, c’est emblématique », s’extasie Pascale Vielle. « Cela montre que les femmes représentent une grosse part du PIB: parce qu’elles représentent une grande partie du marché du travail mais aussi par tout le travail invisible effectué dans la famille », pointe-t-elle. « Des études sur l’emploi du temps ont analysé le nombre de minutes consacrées à chaque activité et montrent que les femmes, dès qu’elles sont en couple, consacrent davantage de temps aux tâches domestiques », illustre-t-elle. Une augmentation qui n’est pas du tout constatée chez les hommes. « Et lorsque le premier enfant arrive, ça explose! », lance-t-elle. « Sans les femmes, les sociétés ne se reproduiraient pas. Au sens biologique du terme mais aussi parce qu’elles assurent une nutrition équilibrée, tiennent l’agenda, prennent les rendez-vous chez le médecin, font les devoirs… », conclut-elle

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