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Dix erreurs politiques que les francophones paient toujours : la dispersion des capitales wallonnes

Nicolas De Decker
Nicolas De Decker Journaliste au Vif

Entre le choix du coeur, Liège, et le choix d’une certaine raison, Namur, les Wallons ont longtemps hésité, jusqu’à s’accorder sur un compromis qui, en satisfaisant tout le monde, n’a donné à la Wallonie que quatre quarts de capitales.

Ceci n’est pas un réquisitoire. C’est un constat. Dans plusieurs secteurs, depuis des années, et parfois plus que ça, la réalité belge (surtout francophone) est au pire désolante au mieux problématique. De grands projets jamais aboutis, des difficultés budgétaires récurrentes, des modernisations inexistantes, des querelles de clocher, des communautés hermétiques les unes aux autres, des pléthores qui se transforment en manques, des politiques de mobilité catastrophiques, des stratégies énergétiques qui tournent au fiasco… Beaucoup de choses se réalisent, des progrès ont lieu, des initiatives positives se révèlent des succès mais, ne nous mentons pas, les raisons de s’arracher les cheveux sont nombreuses.

Ces situations sont souvent typiquement belges. Parce qu’elles résultent de décisions prises dans un contexte qui nous était tout particulier. Le Vif/L’Express en épingle dix. Dix décisions politiques, récentes ou lointaines, qu’on est en droit, aujourd’hui, de considérer comme mauvaises. Comme ayant provoqué les blocages, les échecs, les faillites, les casse-tête auxquels nous sommes confrontés au quotidien.

Nous les énumérons. Nous rappelons le contexte qui y a présidé. Nous en décryptons les conséquences. Et nous proposons la ou les solutions qui permettraient de ne plus en payer le prix.

Le contexte

 » Namur, capitale de la Région wallonne, est le siège du Conseil régional wallon.  » Promulgué à Bruxelles, le 11 décembre 1986 par Melchior Wathelet, ministre-président PSC d’alors, le texte est si lapidaire qu’il semble surgi d’un consensus absolu. C’est tout l’inverse : le décret est la dernière bataille d’une longue guerre que les Flamands, eux, n’ont jamais menée : un peu tentée par Malines, voire Bruges ou Gand, la Flandre en marche s’est presque immédiatement installée à Bruxelles, sans doute pour ne pas la laisser à la Belgique.

Mais revenons à 1986.

Le gouvernement régional, appuyé sur une très étroite majorité PSC – PRL (52 sièges sur 103…) n’est alors pas à l’initiative de cette proclamation décrétale. Il l’a même plutôt freinée. Le PRL, à l’époque, prône une absorption de la Région wallonne par la Communauté française, dont le siège serait Bruxelles. Et le PSC Melchior Wathelet suspend dès son intronisation le transfert, entamé avec la régionalisation de 1980, des fonctionnaires de Bruxelles vers Namur, et rapatrie les deux cabinets ministériels qui s’y étaient installés. Mais l’époque, en Wallonie, est aussi à la méfiance à l’encontre de Bruxelles, y compris chez les parlementaires de la majorité, pas tous sur la ligne bruxello-centrée de leurs partis respectifs, et l’exécutif leur fait une concession obligée, à l’initiative d’un socialiste namurois, Bernard Anselme. Namur capitale régionale n’est toutefois pas une idée neuve.

C’était déjà celle de von Bissing, le gouverneur allemand, pendant la Première Guerre mondiale, de la Belgique occupée. Occupée, puis scindée, puisque l’envahissant Germain imposa, avec sa Flamenpolitik, une séparation administrative entre la Flandre (capitale : Bruxelles) et la Wallonie (capitale : Namur). Le choix est plutôt pratique que politique : située au confluent de la Sambre et de la Meuse, la petite cité occupe une position centrale sur la carte wallonne. Ce n’est pourtant pas elle que les Wallingants révèrent. Leur  » capitale morale  » – l’expression date déjà du xixe siècle – trône plus en aval sur la Meuse. Elle est une ville d’histoire, une vieille métropole du Saint-Empire si éprise de libertés qu’au xie siècle, déjà, certains chroniqueurs l’appelèrent l’Athènes du Nord. Dans les années 1940, un grand Wallon pourtant carolorégien, Arille Carlier, disait qu’elle était  » La Mecque vers laquelle les Wallons conscients se rendent pieusement en pèlerinage « .

Cette Mecque, c’est Liège, dont les couleurs rouge et bleue traversaient du reste le premier drapeau wallon adopté par l’assemblée wallonne de 1913. Mais la crainte du  » misérable particularisme liégeois « , comme disait encore et aussi Arille Carlier, et surtout le poids démographique du Hainaut, incitent à un compromis, bouclé sous l’égide d’un autre Carolorégien, à la fin des années 1970. Le 27 juin 1978, le socialiste lambusartois Jacques Hoyaux, secrétaire d’Etat aux réformes institutionnelles, convainc, en effet, les quatre bourgmestres de Liège (Edouard Close), Charleroi (Lucien Harmegnies), Namur (Louis Namèche) et Mons (Abel Dubois) de s’entendre sur la quadripartition que chacun connaît désormais. Liège serait la capitale économique de la Wallonie, Charleroi en serait la capitale sociale, Mons la capitale culturelle et Namur la capitale administrative et politique. On céderait plus tard le magistère de l’eau à Verviers, qui passait par là.

Le coup de force parlementaire de Bernard Anselme, concrétisé par le décret de décembre 1986, n’en sera qu’une confirmation : s’il doit y avoir une Wallonie, sa capitale doit être wallonne, pas bruxelloise. Et si sa capitale doit être wallonne, elle ne doit pas être liégeoise.  » Les contraintes étaient telles que les Wallons ne pouvaient que choisir Namur, même si la seule conurbation avec une possible capacité métropolitaine, en Wallonie, est évidemment Liège « , résume Christian Vandermotten, professeur de géographie politique à l’ULB.

Le constat

La peur du  » particularisme liégeois « , qui a mené au choix de Namur, devait préserver les Wallons, et les principautaires parmi eux, du repli sur soi que chacun craignait. Les Carolos n’envieraient plus les Liégeois, les Liégeois ne se regarderaient plus le nombril, et les Namurois, comme tous les Wallons, profiteraient d’un codéveloppement équilibré. Et puis, chacun, des marges de la Picardie aux confins de la principauté médiévale, devrait faire un pas d’à peu près la même longueur vers l’autre, puisque le siège du pouvoir se trouverait à peu près à mi-chemin.

Namur, certes, en a profité. Et le développement contemporain, de l’axe qui traverse la région du nord au sud, de Bruxelles à Luxembourg via Louvain-la-Neuve, lui a donné un rôle encore plus central, politiquement et administrativement. Mais Liège n’en a pas cessé de se préoccuper d’elle-même avant tout, bien au contraire. Et, du haut de leurs tribunes respectives, les Zèbres traitent toujours les Rouches de  » blaireaux « , et les Rouches traitent encore les Zèbres de  » bâtards « . Dans un autre registre, les efforts continus, au gouvernement wallon, d’un Jean-Claude Marcourt pour amener en bord de Meuse tout ce qui, de près ou de loin, touche à la politique économique régionale, le démontrent assez, au moins autant que la grande promptitude chez certains gestionnaires de réseaux de distribution/télédistributeurs/éditeurs de presse/producteurs d’électricité – et on en passe – de se plier aux conseils/avis/ordres polis venus de l’Elysette ou du Grognon.  » Que ces structures d’initiative publique soient plus wallonnes et moins liégeoises ! « , réclamait d’ailleurs, il y a quelques semaines déjà, l’impérieux Benoît Lutgen (CDH, de Bastogne).  » Chiche « , lui répondait tout de go Jean-Claude Marcourt (PS, de Liège). Le premier voulait en amener la direction à Namur. Le second voulait étendre l’empire liégeois. Comprenne qui pourra.  » Vous pensez vraiment que faire de Liège la capitale de la Région wallonne aurait pu éviter à la Wallonie ce genre de dérives ?  » demande Christian Vandermotten, pas convaincu par notre hypothèse.

La solution

C’est donc bien que la dispersion des capitales n’a aidé ni à forger une unité wallonne, ni à battre le sous-localisme en brèche, ni à assurer un développement harmonieux entre sous-régions. Tant qu’à faire, alors, pourquoi ne pas s’être choisi Liège ? C’était alors, pas maintenant, qu’il le fallait. Aujourd’hui, il est trop tard. Economiquement, le redéploiement régional ne devrait venir ni de Liège, ni de Namur.  » La Wallonie doit surtout profiter de l’effet d’aspiration de Bruxelles, métropole européenne « , pose Christian Vandermotten. La Wallonie trouvera donc une part de son salut hors d’elle-même. Tout un programme.

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