Christine Laurent

Divorce à la belge

Christine Laurent Rédactrice en chef du Vif/L'Express

La lune de miel aura été de bien courte durée. Très vite, les illusions se sont envolées, le désir s’est dissipé. Il est vrai que le mariage était arrangé. Et que, dès le départ, il était plombé. On le sait bien, en créant la Belgique de 1830, les grandes puissances européennes ne visaient que leurs intérêts. Peu leur importait que la grande Histoire qu’elles voulaient imposer ne reposerait que sur des petites histoires de susceptibilités froissées, de sensibilités brutalisées. Dès l’origine, le ver était dans le fruit. Mais elles n’en avaient cure.

La sixième réforme de l’Etat est désormais sur les rails. Sauf imprévu, une partie importante devrait être votée au Parlement au plus tard en août prochain. Le Conseil d’Etat a donné son feu vert et, si les partis de la majorité se serrent les coudes, la scission de BHV, le refinancement de Bruxelles, la nomination des bourgmestres de la périphérie, entre autres, devraient être entérinés. Une étape décisive vers davantage d’autonomie pour les Régions, mais aussi un nouveau chapitre dans la chronique douloureuse d’un divorce annoncé.

Qui s’en étonnera ? Flamands et Wallons s’étripent depuis des années. Et les ondes répulsives des uns à l’égard des autres auront probablement raison de leur vie commune. La love story tourne court. Comme l’explique ce document choc réalisé par des historiens, des philologues et des psys, spécialistes du vécu, que nous publions cette semaine. A les croire, tous refoulés, complexés et frustrés, les Belges. Car, dans leur mariage belgicain, tout comme dans les soubresauts d’un couple ordinaire, la psychologie joue un rôle aussi sensible que les faits. Colère, dépit, rancune, hystérie, victimisation, ils ont tout connu. Des sentiments qui se sont cristallisés autour d’événements majeurs. Dès 1830, la fêlure flamande pointe, puis, à la fin de la Grande Guerre, la déchirure entre les partenaires, suivie d’une fracture dans l’entre-deux-guerres, d’une rupture en 1940, et enfin d’une déconfiture après 1945. Une tragédie nationale en cinq actes. Sans oublier le « Walen buiten » de 1968 à l’amplitude atomique pour les francophones.

Depuis toujours, Flamands et Wallons évoluent mentalement chacun de leur côté. Ostracisme envers l’autre, invectives, mises à l’index, vociférations, blessures, le duo a avancé à hue et à dia, notent nos experts. D’autant plus qu’il n’y a personne à l’horizon pour faire cesser les chicaneries, diminuer les tensions, soigner les plaies. Mettre tout simplement un coup d’arrêt. Cherchez l’arbitre. Certainement pas du côté de l’Etat belge francophone foncièrement libéral et tolérant des débuts qui n’a rien vu venir. Pour preuve, il a laissé les Flamands lui tourner impunément le dos. De cette faiblesse, la Flandre fera une force, en s’appropriant le passé national pour l’accommoder à sa sauce.

Rien de bien neuf aujourd’hui. Au fil du temps, l’Etat devenu fédéral s’est enlisé, lui aussi, dans le délitement. Un Etat en trompe-l’oeil dont les dernières bribes de pouvoir sont siphonnées par l’évolution institutionnelle. Et les réformes à venir, tant il paraît hautement improbable que Flamands et Wallons ont la moindre velléité de remonter le courant. C’est bien le plus inquiétant. Car, si la société peut fonctionner avec des dirigeants ordinaires, ce qui doit être extraordinaire, c’est la qualité des institutions. Déjà si vacillantes aujourd’hui, que seront les nôtres demain ?

CHRISTINE LAURENT

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