Paul De Grauwe

Deux modèles de sécurité sociale

LE DÉBAT SUR LES PENSIONS S’EST À NOUVEAU ENFLAMMÉ LA SEMAINE PASSÉE.

Paul De Grauwe Professeur d’économie internationale à la KU Leuven

Il y a eu d’abord les recommandations de la Commission européenne quant à la réforme de l’économie belge. Une d’entre elles concernait le relèvement, en Belgique, de l’âge de la retraite légale à 67 ans. Quelques jours plus tard, Frank Vandenbroucke (SP.A) a fait paraître une tribune dans De Standaard où il plaidait, lui aussi, pour l’élévation de l’âge de la pension.

Or, pendant que les Belges en parlent, les Néerlandais sont déjà passés à l’action. Le 10 juin, le gouvernement des Pays-Bas et les partenaires sociaux ont conclu un accord portant l’âge de la retraite à 67 ans et prévoyant l’adaptation progressive de cet âge à l’augmentation de l’espérance de vie. Si, selon toute probabilité, la durée de vie continue à se prolonger, l’âge de la pension suivra cette courbe ascendante. En Europe, un fossé sépare le Nord et le Sud. Au Nord, l’idée de travailler plus longtemps est communément acceptée. Au Sud, les résistances demeurent très fortes. Or la Belgique se trouve à la croisée des chemins. En Flandre, il existe une majorité politique pour relever l’âge de la pension. Ce n’est pas le cas dans le sud du pays. Je ne garantis pas que tous les Flamands soient disposés à travailler plus longtemps. Mais il me semble que, si un texte sur la réforme des pensions était soumis à la Chambre, une majorité de députés flamands s’y rangeraient. Il n’en serait pas de même des élus francophones. Pourquoi donc cet abîme entre le nord et le sud de l’Europe, et entre le nord et le sud de notre pays ? Il est clair que ce phénomène s’explique par des différences socioculturelles très prononcées.

Dans le nord de la Belgique, les syndicats se sont réconciliés avec le capitalisme. Les patrons n’y sont pas perçus comme des ennemis jurés qu’il faut combattre avec tous les moyens possibles. L’idée règne que, mieux que la confrontation, la collaboration sert à réaliser les objectifs. Cette attitude influe fortement sur la manière dont la sécurité sociale et le marché du travail sont organisés. Ainsi, dans le nord de l’Europe, les chefs d’entreprise qui ont l’intention de licencier sont soumis à moins de contraintes qu’au Sud, où, dans la majorité des cas, ils doivent tenir compte de règles plus sévères. Il en découle que, dans le nord de l’Europe, les entreprises embauchent plus vite qu’au Sud. Et, à leur tour, les jeunes y trouvent plus rapidement un job qu’au Sud, où le taux de chômage de la nouvelle génération a pris des proportions dramatiques.

En échange de pareille flexibilité, le nord de l’Europe a bâti un système de sécurité sociale très solide, qui se caractérise par des pensions et des allocations de chômage élevées. Mais cette construction n’est viable que si les citoyens sont incités à travailler plus longtemps. Ce sont en effet les actifs qui paient la sécurité sociale. Dans le généreux système de sécurité sociale appliqué au Nord se trouve enracinée la tendance à insérer dans la vie active le plus grand nombre de gens en âge de travailler. Ce qui les stimule davantage à bosser plus longtemps qu’au Sud.

Dans le sud de l’Europe, les chefs d’entreprise et les syndicats se regardent plutôt en chiens de faïence. En résultent des antagonismes stériles et l’impossibilité de réformer la sécurité sociale, y compris la majoration de l’âge de la retraite.

Il n’y a pas de doute que le modèle de la sécurité sociale du Nord est supérieur à celui du Sud. D’ordinaire, la confiance produit de meilleurs résultats que la méfiance.

Le conflit entre les modèles de la sécurité sociale du Nord et du Sud est en train de se jouer sous nos yeux. Hélas ! Le risque est très réel qu’un armistice sera signé sans que les acteurs politiques soient arrivés à prendre les décisions qui s’imposent. Hélas !

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