Pierre Hazette

Dépassons l’impasse belge; la Wallonie doit s’assumer

Pierre Hazette Sénateur honoraire, ancien ministre MR

L’ancien ministre MR Pierre Hazette constate l’échec de l’Etat belge. Il faut « abattre le mur » au bout de l’impasse. Et le sud du pays doit prendre son destin en mains.

Naguère engagé dans l’action politique, je répétais à chaque scrutin que la campagne électorale, c’était la fête de la démocratie.

Désenchanté, je ne tiendrais plus le même langage aujourd’hui.

Les élections de mai 2019 constatèrent une poussée considérable de l’extrême droite en Flandre et de l’extrême gauche, héritière du communisme, en Wallonie.

Huit mois après le vote, les leaders des partis, qui récusent toute possibilité de gouverner avec les extrêmes de droite et de gauche, sont enlisés dans un jeu d’exclusives réciproques que se signifient à intervalles réguliers socialistes francophones et nationalistes flamands.

Ne serait-il pas temps de conclure qu’au bout de l’impasse, il faut démolir le mur ?

La Belgique a évolué depuis les golden sixties d’un état unitaire vers la reconnaissance des communautés linguistiques et culturelles distinctes, puis vers la création des Régions et, de réforme en réforme, vers le transfert progressif de compétences importantes de l’Etat central, qui s’appelle désormais fédéral, vers les Régions et Communautés.

En 1999, une large majorité s’exprima au parlement flamand en faveur du confédéralisme.

Le Petit Robert définit ce mode de gouvernement : « union de plusieurs Etats qui s’associent tout en conservant leur souveraineté. ». Depuis ce vote, il est clair que la Flandre voit son avenir comme Etat souverain. Les nationalistes ne cachent pas que ce confédéralisme est une étape vers l’indépendance. C’est aussi le projet de l’extrême droite et l’alliance de ces deux partis est aujourd’hui proche de la majorité absolue au nord du pays.

Observons encore que la crise ouverte après le scrutin de mai 2019 n’affecte que l’Etat central.

Quelle conclusion tirer, sinon que l’Etat belge en tant qu’entité représentative de l’ensemble des citoyens est incapable, faute d’un consensus interne, d’assumer cette mission, essentielle à la promotion de l’intérêt général ?

Le divorce est profond, car en face de la majorité favorable au confédéralisme, constatée il y a vingt ans au Parlement flamand, on ne trouve, ni à Bruxelles, ni en Wallonie de revendication allant dans ce sens. C’est que l’économie wallonne ne s’est pas remise de la révolution industrielle qui a fermé les charbonnages, les usines sidérurgiques, les verreries et les manufactures lainières. La Flandre a prospéré après avoir été à la traîne pendant cent trente ans. La Wallonie a, à son tour aujourd’hui, besoin d’une solidarité que la nation flamande, en voie de parachèvement, ne lui accordera plus.

Pour les francophones, le problème majeur réside autant dans le refus du confédéralisme que dans l’impossibilité d’assurer les charges de l’indépendance.

Et pourtant, abattre le mur au fond de l’impasse, c’est dire bien haut que les entreprises wallonnes de haute technologie brillent, notamment, dans le domaine de l’aéronautique et de l’armement., que l’industrie alimentaire soutenue par une eau d’une qualité exceptionnelle peut affronter toutes les concurrences que l’on aille de l’eau de Spa ou de Villé au whisky de Fexhe, en passant par les bières aussi diverses que savoureuses ou par les vins blancs, rouges ou champagnisés, que les poutres en lamellé-collé d’Etalle ont été les premiers étais de sécurisation de Notre-Dame de Paris, que les panneaux photovoltaïques ou les éoliennes ou encore l’exploitation de la biomasse mettent la Wallonie sur la voie de la transition énergétique, que dans le secteur des biotechnologies, nos universités ont ouvert la voie à des entreprises de hautes performances, confirmant la vocation de nos chercheurs et de nos entrepreneurs dans la production de médicaments.

L’optimisme n’est pas béat : il repose sur les relations fortes établies par nos Instituts d’enseignement supérieur, nos Universités, nos Facultés, d’une part, et d’autre part, nos centres hospitaliers, garants de la qualité et de la proximité des soins dispensés. La Wallonie s’est aussi inscrite dans une stratégie réussie du transport multimodal : les aéroports de Charleroi et de Liège sont connectés aux voies ferrées et autoroutes et même, pour ce qui concerne Liège, la voie d’eau fait de son port fluvial un grand d’Europe. On ajoutera, en ces moments d’inquiétude climatique, que les réserves d’eau de la Wallonie pourraient devenir richesses si les prévisions de réchauffement climatique se confirment. Le tourisme wallon se présente lui aussi sous des auspices favorables : les massifs forestiers, les vastes prairies, la fraicheur des cours d’eau sont autant d’invitations à la promenade qu’agrémenteront, par ailleurs, des découvertes archéologiques, artistiques ou gastronomiques.

Et cela étant dit et tant de choses oubliées, la Wallonie ne peut négliger ses atouts. Elle ne peut s’accommoder du pourrissement de l’Etat.

La Wallonie fait partie intégrante d’un vaste espace linguistique et culturel. C’est probablement lorsqu’elle s’en souviendra qu’elle abattra le mur du fond, tout au bout de l’impasse.

Le raisonnement est différent pour Bruxelles. La ville et les communes qui lui sont intégrées dans la structure régionale ont acquis une dimension européenne et internationale. L’union européenne et l’OTAN y ont leur siège. La diversité culturelle y est florissante. Le destin de Bruxelles n’est pas lié à celui de la Wallonie, plutôt rurale, d’où n’émerge aucune ville de plus de 300 000 habitants. Il n’est pas davantage dans le statut de capitale d’un résidu de Belgique qu’ambitionne d’être la Flandre indépendante. Washington.D.C. ne serait-il pas un modèle qui pourrait séduire l’Europe ?

Quant à la Communauté germanophone, elle est entourée d’amis qui lui ouvrent les bras : la Wallonie, d’abord, puis le Grand -Duché de Luxembourg ou le Land de Rhénanie-Westphalie.

Reconnaissons-le : notre pays piétine dans ses rancoeurs, dans des échanges venimeux de reproches, dans l’impossibilité de mettre en chantier de grands projets d’avenir. La dernière oeuvre, commune aux deux communautés, fut l’Exposition Universelle de 1958.

Sur le plateau de cette manifestation d’union nationale, la Belgique est aujourd’hui incapable de se doter d’un stade digne de nos footballers.

Ouvrons les yeux : les déficits qui se profilent dans la gestion de l’Etat central comme dans la conduite des entités fédérées nous contraignent à la lucidité.

Ils nous poussent aussi vers le précipice.

Pierre Hazette, sénateur honoraire, ancien ministre.

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