Thierry Denoël

Dehaene : 5,3 millions de stock-options et un gros conflit d’intérêt

Thierry Denoël Journaliste au Vif

En toute discrétion, le député européen Jean-Luc Dehaene vient de mentionner, le 4 octobre, ses stock-options AB-Inbev dans sa déclaration d’intérêts soumise au Parlement UE. Il déclare en tout 77 000 actions qui, au cours actuel, valent quelque 5,3 millions d’euros. Voilà qui est fait. Fort bien. Et maintenant ?

En avril dernier, Le Vif avait révélé l’oubli de JLD d’indiquer les bonus reçu de l’entreprise brassicole dont il avait été administrateur. La coalition d’ONG Alter-EU s’en était étonné auprès du président du Parlement européen Martin Schulz : un tel intérêt financier est susceptible d’influencer un élu dans son travail législatif. Schulz avait alors demandé au Comité d’éthique du Parlement d’enquêter sur ce cas et de rendre un avis. L’a-t-il fait ? Le président du PPE a-t-il imposé à Dehaene de réparer son oubli ? Quoiqu’il en soit, voilà qui est fait. Et après ? En reste-t-on là ? Maintenant que l’intérêt financier est formellement identifié, peut-on laisser en toute confiance l’eurodéputé voter des textes sur des sujets agroalimentaires ?

Les lobbys sont devenus très puissants au niveau européen. Selon les estimations, on compte entre 15 000 et 30 000 lobbyistes à Bruxelles. Ils peuvent se montrer acharnés : il y a deux ans, le lobby agroalimentaire a dépensé 1 milliard d’euros pour convaincre les députés européens d’abandonner un projet d’étiquetage simplifié et donc plus lisible sur la teneur en sucre, sel et graisse des aliments. Malgré les enjeux de santé publique, ils sont parvenus à leur fin…

Dans ce contexte, les conflits d’intérêts sont devenus un sujet très sensible. Les lobbies placent, en effet, leurs pions de manière parfois très subtile dans les rouages de décision. Bref, aujourd’hui, la transparence est un gage démocratique. Sous la pression d’ONG, comme Alter-EU ou le Corporate Europe Observatory, les responsables européens se sont résolus à réguler le lobbying. Les résistances ont été fortes. Un Registre unique de la transparence, où les lobbys peuvent s’identifier, a cependant été mis sur pied. Mais il n’est pas obligatoire. Idem pour le code de conduite des eurodéputés, qui prévoit la déclaration d’intérêts : sa bonne application dépend de la bonne volonté des élus… On l’a vu avec JLD. C’est sous la pression médiatique qu’il a enfin mentionné ses bonus AB-Inbev !

Et quand conflit d’intérêts il y a (c’est manifestement le cas pour Jean-Luc Dehaene), que fait-on ? Doit-on écarter l’eurodéputé lors d’un débat ou d’un vote sur un enjeu agrolimentaire pour lequel est intervenu le lobby food&drink dont le géant brassicole fait partie ? A ce stade, rien n’est prévu. Les ONG s’en inquiètent et poussent l’UE à légiférer en la matière. Elles ont raison. La transparence doit être garantie par des règles claires.

Thierry Denoël

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Contenu partenaire