La création du WHI n'a pas donné une nouvelle vie au Musée royal de l'armée, institution mise à mal par des années de restrictions budgétaires et de gestion calamiteuse du personnel. © DEBBY TERMONIA

Défense: les casseroles du patron du Musée de l’armée

Olivier Rogeau
Olivier Rogeau Journaliste au Vif

La ministre de la Défense s’est attiré les foudres de partis flamands pour avoir voulu transférer un C130 à Beauvechain et proposé la nomination définitive de Michel Jaupart à la tête du War Heritage Institute. Les dessous de ces polémiques.

L’annonce était attendue: la ministre de la Défense Ludivine Dedonder (PS) a fait savoir, le 17 mars, à la Chambre, qu’elle proposera au gouvernement la nomination définitive de Michel Jaupart à la tête du War Heritage Institute (WHI), l’organisme de droit public dédié à la conservation du patrimoine historico-militaire et au devoir de mémoire. Depuis plusieurs semaines, des voix au sein de cette structure qui chapeaute le Musée de l’armée (MRA) et d’autres sites liés à la Défense nous assuraient que le choix de la ministre se porterait sur Michel Jaupart, actuel directeur ad interim du WHI, et que sa désignation était imminente. Il était l’un des deux candidats encore en lice au terme de la procédure de sélection lancée en août 2018 par le Selor . En cours de route, un trait a été tiré sur les exigences initiales linguistiques et de diplôme. Selon certains proches du dossier, le candidat Jaupart, soutenu par l’ancien ministre PS de la Défense André Flahaut, avait toutes les chances d’obtenir le poste à partir du moment où les socialistes francophones récupéraient le portefeuille de la Défense, ce qui s’est produit en octobre 2020.

Notre directeur général a toujours misé sur ses « réseaux », comme il le dit lui-même, pour obtenir gain de cause.

Issu du milieu ulbiste, Michel Jaupart a fait partie du cabinet de l’ex-ministre fédérale MR Sabine Laruelle, « où son comportement a déçu le parti », se souvient un cadre libéral. Il a ensuite été « récupéré » par André Flahaut, alors ministre de la Défense. Le socialiste wallon l’a « parachuté » à la tête de l’IV-Inig, l’Institut des vétérans. En 2017, la NV-A et le MR, qui mènent la danse au fédéral, décident de fondre le Musée de l’armée dans le WHI, parastatal doté d’une autonomie de gestion et de décision. Michel Jaupart, alors à nouveau étiqueté libéral, est placé par le gouvernement Michel aux commandes de cette coupole, « où la part belle est donnée à ses collaborateurs de l‘IV-Inig« , glisse un employé du musée.

Rénovation enlisée

L’intention du nouveau directeur de faire table rase du passé inquiète plusieurs conservateurs du Musée de l’armée, qui craignent une délocalisation des collections au profit des Régions, sous la pression de la N-VA. L’arrivée de Michel Jaupart ne se traduit pas par un redressement du MRA, institution mise à mal par des années de restrictions budgétaires et de gestion calamiteuse du personnel. Première décision controversée: des locaux sont aménagés à grand frais au sein de l’Ecole royale militaire pour héberger provisoirement le secrétariat et le personnel administratif du WHI. Puis, c’est l’échec du projet de partenariat public-privé prévu pour la rénovation et l’exploitation du Musée de l’armée: le 16 mai 2019, à quelques jours de la fin de la législature, la Région bruxelloise classe deux salles historiques du musée menacées par le PPP. La direction du WHI dépose quatre recours devant le Conseil d’Etat pour empêcher ce classement. « Les trois premiers ont coûté 60 000 euros, dépensés en pure perte, s’indigne un agent du MRA. Cet acharnement consterne les scientifiques du musée. Depuis lors, la crise sanitaire a vidé les caisses, ce qui hypothèque un peu plus les grands projets. »

Michel Jaupart, patron du WHI, est critiqué pour sa gestion de l'organisme fédéral.
Michel Jaupart, patron du WHI, est critiqué pour sa gestion de l’organisme fédéral.© PHOTO NEWS

Entre-temps, Michel Jaupart est redevenu plus rouge que bleu. « Il s’est affilié l’été dernier à la CGSP », souffle un insider, qui poursuit: « Notre directeur général a toujours misé sur ses « réseaux », comme il le dit lui-même, pour obtenir gain de cause face à ses détracteurs. » Qui sont nombreux. En interne, le directeur général adjoint néerlandophone du WHI, Franky Bostyn, « tire à boulets rouges sur son patron et son équipe », assure notre source. Michel Jaupart est aussi pris pour cible par les partis flamands, ceux de l’opposition en tête. Une offensive qui redouble d’intensité depuis que la ministre de la Défense l’a choisi comme directeur général de plein exercice.

L’offensive flamande

Selon Theo Francken (N-VA) et Annick Ponthier (VB), le directeur ad interim « n’est pas le bon candidat » pour diriger la structure fédérale. Il lui est notamment reproché sa mauvaise gestion, ses relations conflictuelles avec son conseil d’administration et « ses opinions sur les Flamands ». Michel Jaupart fait l’objet d’une plainte auprès d’Unia, le Centre interfédéral pour l’égalité des chances et la lutte contre le racisme. Il est accusé d' »incitation à la haine et au racisme anti-Flamands » pour des propos échangés avec des « amis » sur Facebook au lendemain de la percée du Vlaams Belang aux législatives de mai 2019. La Flandre est « submergée par la marée brune », avait-il notamment écrit. La N-VA et le VB réclament la relance de la procédure de sélection.

Au-delà des polémiques aux relents communautaires, il y a les constats dressés en interne: « Michel Jaupart fait peu d’efforts pour s’adresser aux néerlandophones dans la langue de Vondel, constate un responsable du musée. Ce n’est pas très habile pour quelqu’un qui brigue la direction d’une institution fédérale et veut ainsi terminer sa carrière en beauté. » Tout aussi embarrassant: l’homme n’a rien d’un diplomate et ses maladresses sont sources de fâcheries. « Il s’est mis à dos Koen Palinckx, le président N-VA du conseil d’administration, son autorité de tutelle, pour une stupide affaire de préséance protocolaire », ajoute notre contact. Depuis peu, Michel Jaupart (qui n’a pas répondu à nos demandes d’interview) est aussi critiqué dans les rangs des partis flamands modérés, essentiellement pour deux raisons. En août dernier, la Cour des comptes a publié un rapport accablant sur la gestion du personnel du WHI. Plus récemment, la décision de la ministre de confier un C130 Hercules au WHI en vue de l’exposer à Beauvechain a suscité une levée de boucliers des élus flamands, y compris ceux de l’Open VLD et du SP.A. Des militaires et anciens du 15e Wing de Melsbroek, base d’attache de cet avion de transport militaire, ont, eux aussi, exprimé leur opposition au déplacement du valeureux zinc. Mais Ludivine Dedonder a « reconfirmé » en février le transfert vers la base de Beauvechain, projet pour lequel André Flahaut, député nivellois, a bataillé ferme. En réaction, la Région flamande a décidé d’inscrire l’avion sur sa liste du patrimoine culturel mobilier. Cette affaire, commente un cadre du MRA, « est une nouvelle maladresse à ajouter à la liste des manques de clairvoyance de la direction du War Heritage Institute ».

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