© Belga

De Wever, le Moïse anversois ?

François Brabant
François Brabant Journaliste politique au Vif/L'Express

Participer au gouvernement fédéral pour saboter la Belgique et conquérir l’indépendance de la Flandre. La stratégie de la N-VA est risquée, mais elle pourrait réussir. Avec son chef guidant son peuple vers la liberté?

Alors que le moteur nationaliste tourne à plein régime en Ecosse, alors que le calendrier de l’indépendance s’emballe en Catalogne, la Flandre suit une autre voie. La Région s’apprête à appuyer sur la touche « pause » pendant cinq ans : ni réforme de l’Etat, ni avancées institutionnelles, ni approfondissement de l’autonomie. C’est Siegfried Bracke qui a montré le chemin, en septembre 2013 : dans une interview au Standaard, le député N-VA affirmait que son parti était prêt à monter au gouvernement fédéral, y compris avec un programme limité au socio- économique.

A l’état-major de la N-VA, on sait qu’en Belgique, tout dossier est susceptible de se transformer en poison communautaire. La formation de Bart De Wever pourrait ainsi rejouer le scénario du cheval de Troie : utiliser sa participation au gouvernement pour miner de l’intérieur les structures de l’Etat fédéral. Mais l’hypothèse inverse a aussi ses partisans, notamment au MR, où l’on fait valoir une constante dans l’histoire politique belge : au contact du pouvoir, les partis contestataires ont toujours fini par s’adoucir, à l’image d’Ecolo ou de la Volksunie.

« Entre l’Ecosse, la Catalogne et la Flandre, la première me semble la plus proche de l’indépendance, et la troisième me paraît la plus éloignée », avance le politologue irlandais Peter Loughlin, professeur à Cambridge. Spécialiste des nationalismes, il a enseigné à Florence, Rotterdam, Paris, Cardiff et à l’ULB, ce qui lui permet de bien connaître le contexte belge. Il ne croit pas que la stratégie choisie par la N-VA lui permettra à terme de décrocher son Graal, l’indépendance de la Flandre. « Si on étudie la trajectoire des mouvements qui participent aux institutions d’un Etat qu’ils combattent, on voit que ça les conduit forcément à modérer leurs revendications. C’est très difficile d’être le responsable du ministère de l’Agriculture, par exemple, et en même temps de saboter cette institution-là. » Peter Loughlin entrevoit d’autres déboires pour la N-VA, si elle continue de donner la priorité au socio-économique. « Des partis comme le SNP en Ecosse ou CiU et ERC en Catalogne ont déjà participé au pouvoir, mais il s’agissait de gouvernements régionaux. Jamais le SNP n’accepterait de faire partie du gouvernement de Westminster. Si la N-VA entre au gouvernement fédéral, ce sera très différent. Les mouvements régionalistes qui assument des responsabilités, qui participent au système, ont tendance à en ressortir divisés et affaiblis. Notamment parce que les groupes les plus radicaux sont frustrés de ne pas obtenir davantage. »

Professeur de sciences politiques à l’UCL, Lieven De Winter développe une autre analyse : »Dans un contexte d’austérité, les conflits Nord-Sud au sein du gouvernement seront incessants. Ce qui semblera démontrer la thèse de Bart De Wever selon laquelle deux démocraties coexistent en Belgique. Le confédéralisme apparaîtra dès lors comme une solution, et à long terme, pour la N-VA, ça peut mener à l’objectif final : l’indépendance. »

De Wever bénéficiera aussi de sa position de bourgmestre d’Anvers, en retrait par rapport à la gestion fédérale. « Elle lui permettra de tenir un discours très critique sur l’action du gouvernement. Depuis Anvers, il pourra lancer ses fatwas, en gardant son statut de conscience, de guide suprême de la révolution flamande, tel Moïse guidant son peuple vers la liberté. » Est-ce à dire que la N-VA, via sa stratégie socio-économique, va réussir à conquérir l’indépendance ? « En tout cas, estime Lieven De Winter, elle va certainement réussir à affaiblir la cohésion de l’Etat fédéral, ou du moins ce qu’il en reste. »

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Contenu partenaire