L'une des contraintes principales du doublage est la rythmo, une bande où le texte défile et que le doubleur doit lire au moment où ce dernier passe sur une barre. © Getty Images/iStockphoto

Dans les coulisses du doublage (1/2) : « Nous sommes des acteurs (presque) comme les autres » (Vidéo)

Stagiaire Le Vif

Ce lundi 16 avril, à l’occasion de la journée mondiale de la voix, nous mettons en lumière un métier bien particulier dans le domaine sonore : le doublage. Rencontre avec Daniel Nicodème, directeur artistique et doubleur belge, qui nous parle de son rôle dans le septième art.

Le doublage est avant tout un travail de comédien. Il s’agit de transposer en langue française ce qu’un acteur étranger, bien souvent américain, a pu faire et dire dans un film. « C’est un travail d’acteur où il faut jouer, interpréter, avec des nuances qui font que, contrairement au théâtre ou au cinéma, la part de création est limitée« , explique Daniel Nicodème. La plus grande différence avec le monde du théâtre et de la scène, explique-t-il, c’est « qu’on est obligé de mimer, de s’adapter à la façon dont un acteur a joué à l’écran« .

En Belgique, le doublage a pris de l’importance ces vingt dernières années, malgré la concurrence française et canadienne : « Je crois que la force de la Belgique est qu’à prix nettement moindre, on fait de la qualité. Le Canada a son marché à lui, il est assez protectionniste. Mais ils viennent de plus en plus doubler des choses chez nous »,déclare Daniel Nicodème. Et pourtant, il a fallu longtemps avant que les doubleurs belges n’arrivent à se faire une place dans le milieu, notamment à cause de « la réticence par rapport aux accents« .

Les doubleurs belges se sont alors peu à peu intégrés sur le marché, à un niveau pourtant différent des Français, qui s’occupent davantage des grosses productions cinématographiques alors que les doubleurs bruxellois ont plutôt la responsabilité des séries. « On fait beaucoup de séries pour TF1, des téléfilms aussi pour TF1, France 2, Arte ou encore Canal+. La plupart des produits télévisuels de Disney sont également doublés à Bruxelles. Mais sinon, au niveau du cinéma, c’est plutôt vers la France que les majors se tournent », explique Daniel Nicodème.

Les bases du métier

Le monde du doublage est un univers aux portes closes et tout le monde n’y a pas accès facilement. Très souvent, on devient doubleur par hasard : « Le prérequis est d’être comédien en général, mais pas nécessairement. Souvent, les musiciens et les chanteurs sont des gens qui fonctionnent bien dans ce métier parce qu’ils ont une très bonne écoute« .

Tout fonctionne selon un système de journée de test, qui permet de faire un tri : les quelques personnes jugées aptes devront suivre un stage d’une semaine pour apprendre les ficelles du métier. Loin de les rendre professionnels, ce stage leur permet de s’entraîner, d’attraper certains réflexes et de comprendre les techniques pour se lancer dans le doublage.

Avant la lecture, l’écriture du texte

La construction du texte est certainement un autre point essentiel du doublage, parce qu’il faut qu’il soit synchrone avec les mouvements de bouche faits par l’acteur original. Ce travail, c’est à l’adaptateur qu’il est donné. Il se base sur le texte d’origine en anglais, ou sur une traduction littérale si le film est dans une autre langue plus complexe. Au départ de cette traduction, il va essayer de faire un texte français qui y ressemble, en tenant compte du rythme de parole, des changements d’humeur…

Il doit donner un sens à son texte, tout en respectant les mouvements de bouche de l’acteur qu’il doit ensuite noter sur la rythmo : les labiales (p, m ou b), les demi-labiales (f, v et w), les grandes ouvertures (o ou a)… Il y a toute une série de codes qui représentent cela.

D’après Daniel Nicodème, les bases du métier sont surtout des données techniques. L’une des contraintes principales est la rythmo, une bande où le texte défile et que le doubleur doit lire au moment où ce dernier passe sur une barre. Une contrainte importante, mais pas essentielle selon le doubleur belge, qui considère qu’on « peut très bien lire la rythmo, être juste à la barre, et ne pas paraître synchrone pour autant si on ne suit pas ce que l’acteur exprime, ses changements d’intonations, d’expressions, de rythmes… C’est cela qui dirige le jeu du doubleur« . Et c’est à cela qu’on reconnaît son talent : il doit pouvoir utiliser la rythmo comme un outil, tout en la quittant le plus possible des yeux pour retourner vers l’écran et imiter le jeu de l’acteur qui s’y trouve.

La voix comme outil du doubleur

Dans le doublage, c’est la voix qui fait tout le travail. Mais que considère-t-on comme une bonne voix ? D’après Daniel Nicodème, l’important est que « la voix corresponde au personnage, au physique« . Cela ne signifie pas pour autant que la voix du doubleur doit ressembler à celle d’origine : « Si je prends la série Magnum, par exemple, en français, la doubleuse a une superbe voix alors que dans la version originale, l’actrice a une voix nasillarde épouvantable« . C’est à l’audition qu’on remarque si la voix correspond. Certains acteurs ont même leur doubleur attitré, qu’ils conservent d’un film à l’autre.

u003cemu003eQuelqu’un de foncièrement gentil ne peut pas faire un gangster sinon cela va sonner fauxu003c/emu003e

Il n’y a pas que ce côté-là qui importe, il y a aussi les capacités d’interprétation du doubleur. Car même si la voix semble fonctionner lorsqu’on l’écoute, il se peut que le doubleur ne parvienne pas à y faire transparaître l’âme du personnage qu’il interprète : « Contrairement à ce qu’il se passe au théâtre où tu peux construire un rôle, dans le doublage, tu utilises ta propre voix. Ta voix reflète qui tu es dans ton for intérieur et tu ne peux pas tricher avec cela. On a un métier bien précis, et quelqu’un de foncièrement gentil ne peut pas faire un gangster sinon cela va sonner faux, même si sa voix correspond aux premiers abords« . Et puis, il y a l’âge aussi dont il faut tenir compte. En vieillissant, les voix des doubleurs changent et ils ne peuvent donc plus doubler les mêmes types de rôles.

« Essayer de reproduire la vie »

Pour avoir une belle voix, l’entraînement n’a pas vraiment lieu d’être, contrairement au théâtre. Pour le doubleur belge, il est plus important de faire quelques exercices d’articulation : « Souvent, on part de l’anglais, une langue dans laquelle les voyelles ne sont pas pures. Donc quand on fait un « o » par exemple, il devient « ow » en anglais et l’adaptateur est obligé de mettre plusieurs syllabes là-dessus. En français, il faudra donc plus de mots pour exprimer la même chose« . Même le débit de parole a une influence puisque le Bruxellois dit beaucoup moins de mots que le Français et a peu près la moitié moins de mots que l’Espagnol : « On est donc obligé d’avoir une articulation qui suit« , prévient Daniel Nicodème.

Des exercices d’articulation qui ne demandent pas pour autant au doubleur de prendre soin de sa voix, selon Daniel, qui considère qu’au contraire, l’homme qui a une voix de fumeur aura plus de travail qu’un autre : « Ce qui est intéressant dans le doublage, c’est justement d’avoir de vraies voix : une voix de fumeur, une belle voix, une moche voix, une voix aigüe… C’est l’équilibre des voix qui va situer les personnages. On a besoin que ce soit brouillon, que les doubleurs bafouillent, qu’ils paraissent naturels. Le propos est d’essayer de reproduire la vie« .

La liberté du dessin animé

Dans ce métier, on peut tout aussi bien doubler des films (et des séries) que des dessins animés. Et c’est la liberté d’interpréter qui fait toute la différence entre ces deux types de doublage : « Il y a plus de liberté dans le dessin animé parce qu’il y a moins de contraintes techniques au niveau de la synchro« . Pouvoir jouer avec les émotions, et s’amuser seraient donc les avantages du doublage de dessin animé : « Il faut des comédiens qui soient ludiques, qui vont oser faire le clown, qui ne vont pas avoir peur d’être ridicules. Dans le live, on doit être plus proche de ce qu’il se passe à l’écran, être plus dans l’émotion« .

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En ce moment, Daniel Nicodème travaille sur les tournages d’une série et d’un dessin animé. Et pour lui, les deux domaines se valent, il n’a pas de réelle préférence : « Je travaille sur « La tempête de boulettes géantes ». C’est extrêmement intelligent, drôle… Cela nous donne plein de libertés. Moi je fais une caricature de Trump et on s’amuse comme des petits fous. En même temps, je travaille sur la série israélienne « Fauda », plus sérieuse. J’aime beaucoup passer de l’un à l’autre« .

Même au niveau de la modulation de la voix, il y a des variations entre les deux doublages. Le dessin animé est dans ce cas-ci plus complexe, car il faudra créer certaines voix. Les modulations, dans un rôle en live, sont souvent plus faciles, tout dépendra de la capacité de l’acteur à reproduire certaines intonations : « Je suis allé faire un dessin animé il y a deux jours, et j’ai demandé à réécouter la voix que j’avais faite lors des épisodes précédents parce que cela ne me revenait pas. Dans le live, par contre, les modulations demandent peu de choses. Moi, j’ai une palette assez large. Je peux faire des personnes de 46 à 70 ans environ« .

Se mettre dans la peau du personnage

Doubler un personnage, c’est aussi reproduire ses habitudes, ses expressions et tout ce qui est lié à sa culture. Et pour cela, pas question d’étudier le rôle à l’avance : « Il faut apprendre à observer, à écouter, à mimer et à rentrer immédiatement dans une émotion. On ne construit pas un rôle comme au théâtre ou au cinéma. Il faut tout de suite se plonger dedans et oser jouer les émotions fortes, les rires, les larmes« .

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Directeur artistique et doubleur du pokédex dans la série Pokémon durant de nombreuses années, Daniel considère que les dessins animés japonais, et les films asiatiques en général, sont les plus difficiles à doubler : « Au début, quand on faisait les épisodes, on ne partait pas de la version japonaise, mais de la version américaine« . La similitude entre les deux cultures permettrait aux doubleurs de s’en inspirer pour leur propre jeu d’acteur.

Si aujourd’hui, Daniel Nicodème ne dirige plus la série, il y a encore un rôle. À présent, c’est sur la version japonaise que les doubleurs se basent. Et selon lui, la différence saute aux yeux : « Il n’y a pas d’expression en japonais, il n’y a pas de ton, pas de tonalité. On est donc obligé d’observer la situation et de nous imaginer le type d’expression qui conviendrait au personnage« . La part d’interprétation de l’acteur est donc beaucoup plus grande que dans un dessin animé classique ou dans un live.

Le doublage de documentaire, pas si facile

Une autre difficulté rencontrée par Daniel serait le doublage de films documentaires : « Il est impossible de doubler des gens qui parlent vraiment », explique-t-il. « J’ai doublé un documentaire sur les ouragans. Il y avait des interviews et on a donc décidé de faire une version doublée en plaquage qui fonctionne plutôt bien ».

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Le plaquage est une technique qui permet de conserver les témoignages dans leur voix et langue d’origine et d’ajouter par-dessus la voix off. « Une chaîne nous a pourtant demandé de doubler complètement le film. Et ça, c’est très difficile. On a des gens qui sont dans l’émotion pure parce qu’ils ont eu leur maison détruite et c’est extrêmement difficile de retrouver cette vérité-là, cette sincérité dans le doublage. On ressent trop le jeu d’acteur« .

Daniel Nicodème est bien plus qu’un simple doubleur, il est aussi directeur de plateau. Une fonction qui lui permet de prendre du recul en dirigeant une équipe de doubleurs. Il doit donc distribuer les rôles aux comédiens, gérer les plans de travail et surtout, amener le doubleur à jouer de la façon la plus proche possible de ce qu’a fait l’acteur original.

Chavagne Maïlys

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