Jonathan Holslag

« Dans ce pays flamand, la grande masse semble de plus en plus décadente, égoïste et apathique »

Jonathan Holslag Jonathan Holslag est professeur en relations internationales à la VUB.

« Je me demande de plus en plus souvent si je veux encore me battre pour cette société, et si c’est vraiment ‘le plus bel endroit où vivre' », écrit le professeur Jonathan Holslag (VUB) à propos du manque de respect et de cohésion dans notre société.

Par une matinée très animée en gare de Landen, un étudiant appuyé sur des béquilles tente de se maintenir en équilibre dans les escaliers en béton. Il descend péniblement, pas après pas. Les voyageurs passent à côté de lui et font de leur mieux pour ne pas le voir. La scène n’a pas lieu dans la gare d’une métropole, non, ni dans l’anonymat d’une masse tourbillonnante, mais dans un gros village flamand de 15.000 habitants. Bien que le train pour Bruxelles soit encore loin, absolument personne ne tente de donner un coup de main au jeune homme. Et s’il y a quelqu’un pour qui ça change la donne : l’étudiant n’est ni noir, ni marocain ni transgenre, mais un jeune homme blanc. « Bien de chez nous », comme on dit dans certains cercles.

« Je me demande de plus en plus souvent si je veux encore me battre pour cette société, et si c’est vraiment ‘le plus bel endroit où vivre' ».

La grande masse semble de plus en plus décadente, égoïste et apathique

Eh oui, on pourrait dire qu’il faut penser au positif: les étudiants qui descendent dans la rue pour le climat, les brefs moments de solidarité tels que Viva pour Life, les gens qui prennent des risques. Cependant, je ne peux me défaire de l’impression que les masses de ce pays flamand deviennent de plus en plus décadentes, égoïstes et apathiques. Les navetteurs du matin et du soir me rappellent un flot de zombies pour qui la différence entre la vie et la mort est devenue terriblement petite. Cela me fâche et me révolte. Si cette société connaît la prospérité, la sécurité et la liberté, c’est grâce aux sacrifices de nombreuses générations successives. Mais nous limitons notre humanité à nos semblables. Et encore : nous déposons nos enfants dans des écoles surpeuplées et nos personnes âgées dans des maisons de repos où il n’y a pas assez de personnel.

L’humanité et le respect sont confiés à l’aide-soignante philippine de la maison de retraite, à l’infirmière à domicile qui court d’une adresse à l’autre, à l’enseignant qui assume aussi le rôle des parents dans sa classe surpeuplée. Et si nous ne trouvons plus de gens pour être humains, nous faisons appel à un robot de câlins.

Bien sûr, tout est de la faute d’un autre : des Chinois (mea culpa), de l’Europe, des riches, des migrants. On espérerait presque que les Chinois prennent la relève, vu qu’ils donnent des points aux citoyens pour leur responsabilité sociale. Et si cette apathie est le résultat de l’incroyable charge de travail dans une économie richement exploitée, comme le prétendent certains, nous ferions mieux de nous révolter que de nous soumettre à notre nouvelle mentalité d’esclaves.

Et ces migrants qui viennent ici pour menacer notre société et notre prospérité ? Honnêtement, j’ai plus d’estime pour les transmigrants avec qui j’étais dans le train en fin de soirée entre Bruxelles et Landen. Ils sont prêts à faire des sacrifices pour leur aspiration à la prospérité, à marcher des soirées entières sous la pluie froide et à s’entraider. Et j’ai plus d’estime pour les musulmans dans leur mosquée. Ici, en Flandre, la mosquée devient peu à peu le seul lieu où la solidarité ne se limite pas à payer des impôts à un appareil d’État anonyme. Pardonnez-moi si je pousse les choses un peu à outrance, mais quelle est la plus grande menace pour notre société ? Les menaces de l’extérieur ? Ou le manque de respect et de cohésion à l’intérieur ?

Je ne veux pas prétendre que tout était mieux avant, mais nous ne pouvons tout simplement plus nous permettre l’apathie que nous avons aujourd’hui. Le respect, la dignité, la vigilance et l’humanité font la force d’une société. Si une société perd ces valeurs, elle perd son droit d’exister. Mais c’est aussi dans cette optique que se trouvent les possibilités de faire une différence dans la vie quotidienne en tant que citoyen. Chaque action, chaque geste, chaque main tendue compte. Aucun citoyen n’est impuissant à cet égard.

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