Crise : il reste bien des raisons pour ne pas y croire

Le CD&V se décide à revenir à la vie sans la N-VA : le pas maladroitement esquissé vers les sept autres partis partants pour la formation du gouvernement tient du miracle. Il reste bien des raisons pour ne pas y croire.

L’essentiel est là : le poisson CD&V est ferré. Il a fini par mordre à l’hameçon. Et la prise est belle. Gare ! Elle se débat encore de façon pathétique au bout de la ligne. Et rien ne dit que, tout ruisselante, elle ne va pas brutalement filer comme une anguille pour aller retrouver le faux confort des profondeurs et reprendre le large aux côtés de cet autre redoutable prédateur nommé N-VA , qui reste hors de portée. C’est alors toute la barque politique qui chavirerait, et le pays qui toucherait le fond.

Mais sur la berge, l’heure est à la pause. Epuisés par tant d’efforts, les sept pêcheurs qui se sont arc-boutés sur la canne à pêche manoeuvrée avec d’infinies précautions par le formateur PS Elio Di Rupo, contemplent leur proie. Presque incrédules devant le tour de force accompli. Un exploit ? La simple perspective de ramener les démocrates-chrétiens flamands à la surface suffit déjà au bonheur des partis francophones (PS, MR, CDH, Ecolo) et des Flamands de l’équipée (Open VLD, SP.A, Groen !) Ils n’osaient plus trop y croire. Voilà un an que le CD&V se défilait, se réfugiait dans les jupes de la N-VA pour ne pas oser une négociation, tout seul comme un grand. Il a fallu d’interminables cercles concentriques, des louvoiements à n’en plus finir, avant que le parti de Leterme, Peeters et Beke finisse par se laisser appâter. Dans un réflexe de sauve-qui-peut. Dans le vague espoir de se dégager d’un piège qui s’annonçait mortel : n’avoir plus d’autre but dans la vie du parti que de coller aux basques de la N-VA, c’est courir au suicide.

Huit à table et la crainte du dîner de cons

Encore fallait-il un déclic. En balayant d’un revers de la main la note du formateur Di Rupo et en se mettant de facto hors jeu des négociations, la N-VA aura un peu facilité la tâche du CD&V sur la voie du reniement : « jamais au gouvernement sans la N-VA ! », avait été jusqu’ici le mot d’ordre des chrétiens-démocrates flamands. Mais le CD&V a un autre credo sur lequel se rabattre, celui formalisé en son temps par un certain Herman Van Rompuy : « plus jamais au gouvernement fédéral sans Réforme de l’Etat ! » Et c’est sur cette autre corde extrêmement sensible que les francophones ont joué pour convaincre le CD&V de se montrer plus raisonnables. C’est acté : on règlera le dossier BHV et on bouclera les chantiers institutionnels AVANT de s’attaquer au reste du programme et de songer à un gouvernement. Cette plume-là, il fallait que la direction du CD&V puisse l’accrocher à son chapeau pour sauver la face, justifier la volte-face. Et donner tort à la politique de la terre brûlée pratiquée par la N-VA.

La table est dressée pour huit. Le menu est atrocement copieux, et la plupart des plats restent indigestes pour l’un ou l’autre convive. Mécanismes de la loi de financement, scission de BHV et compensations pour les francophones, statut de Bruxelles, transferts de compétences aux Régions, responsabilisation des entités fédérées. Les arêtes qui resteront en travers de la gorge sont légion, les occasions de tirer la nappe ou de briser la vaisselle sont multiples. Le festin programmé pour la mi-août garde de fortes chances de virer au dîner de cons. Les huit invités s’accordent trois semaines pour récupérer, reprendre leurs esprits, et mijoter leurs recettes et aiguiser les couteaux. Mais la pêche du jour, celle qui a ramené le CD&V dans les filets, a tout de même quelque chose de miraculeux.

Pierre Havaux

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