Carte blanche

Crise de l’accueil: « Ces plans d’hiver cachent une volonté structurelle de ne rien résoudre »

Feels like -10° ce matin. Il est 5h30 et j’enfile vite deux paires de collants en dessous de mon jeans avant de foncer au centre d’hébergement monté en quelques heures mardi passé à Ixelles. Lorsque j’arrive au centre, c’est paisible et calme. La nuit s’est bien passée, il a fait plus chaud qu’hier dans cette grande salle de sport. Il est 7h et malheureusement on doit allumer les spots pour réveiller les personnes qui doivent quitter les lieux avant 8h. Et franchement je suis en colère, parce que ce soir encore, ils ne sont pas certains de pouvoir dormir ici. Obtenir un lit dans un endroit chauffé en Belgique, c’est une bataille quotidienne.

En colère aussi parce qu’hier encore on m’expliquait qu’avant de pouvoir reçevoir un repas ces personnes doivent faire l’objet d’une enquête d’un.e assistant.e social.e pour s’assurer qu’elles ne sont pas « des assistées », puis sont redirigées vers un autre endroit où elles pourront manger. Il faut avoir un esprit peu enclin à la solidarité pour adosser l’étiquette « d’assistanat » à des personnes qui toutes les nuits doivent trouver un nouvel endroit pour dormir au chaud, qui doivent se résigner à mendier et demander à leurs proches de quoi manger. On en vient à les balader inutilement d’un endroit à l’autre, pour prouver, chaque jour, qu’ils ou elles méritent l’aumône. Faire preuve de son mérite consiste donc essentiellement à instaurer des épreuves supplémentaires et inutiles dans la vie de personnes qui sont dépourvues de tout.

Ouvert en urgence, ce centre temporaire vient cependant frêlement pallier au manque structurel de places pour les personnes en demande de protection internationale en Belgique. Le froid semble, comme chaque année, éveiller les pouvoir publics quant à la situation. Le récent versement de 20 millions d’euros du fédéral vers la région Bruxelloise est cependant une bien maigre compensation eu regard des conséquences d’une politique d’asile laissant délibérément à la rue plusieurs milliers de personnes. Depuis plusieurs semaines, en totale violation du droit belge et international, l’état choisit de laisser dehors des familles et des mineurs demandeur.euses de protection internationale.

S’ils font passer un message de solidarité, ces plans hiver cachent donc une volonté structurelle de ne rien résoudre. Bien qu’ils constituent une annonce sexy de fin d’année pour les politiques, le coût de ces plans reste élevé et vise surtout à ne pas investir dans de (vraies) solutions de long terme. Laisser la situation se dégrader pour bien faire comprendre aux personnes en attente d’une protection internationales qu’elles ne sont pas les bienvenues à Bruxelles. Le logement, s’il est de plus en plus considéré comme une marchandise et un bon investissement pour celles et ceux qui ont la chance de naître avec une brique dans le ventre, est en réalité avant tout un droit humain. Un droit, mais malheureusement sans obligation de résultat comme les pouvoirs publics l’ont bien compris.

Donc oui, je suis en colère, mais surtout triste, de devoir réveiller le plus doucement possible un monsieur ce matin qui me dit qu’il a des rhumatismes et que le froid le fait souffrir. Ça accélère le vieillissement une vie dehors… Il est 8h et en sortant je dis à un jeune, qui en réalité devrait être hébergé dans un centre pour demandeur.euses de protection internationale (mais ça c’est encore une autre histoire), de bien fermer son pull sous son manteau et il me répond en souriant « t’inquiète pas madame aujourd’hui au moins il pleut pas » alors je souris pour sans doute éviter de pleurer. Et puis il me dit « à ce soir inshallah » et je réponds moi aussi « inshallah », parce que malheureusement y a pas grand-chose d’autre à dire.

Camille Coletta, travailleuse humanitaire

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