Trouver une place en crèche est encore laborieux malgré les moyens financiers dégagés par le gouvernement. © Michel Houet/Belgaimage

Crèches: les parents vont encore galérer longtemps

Soraya Ghali
Soraya Ghali Journaliste au Vif

Malgré l’adoption d’une politique ambitieuse, l’offre d’accueil stagne et ne parvient pas à compenser le boom démographique. Voici pourquoi.

Trouver une place en crèche reste un chemin de croix pour les parents. Alain Dubois, sociologue au Centre d’expertise et de ressources pour l’enfance (CERE), vient de réaliser une étude qui retrace dix ans de recherches sur l’accueil de la petite enfance (1). Bilan ? Malgré les moyens financiers dégagés, il souligne six freins qui empêchent de mener une politique volontariste et ambitieuse. Il accuse le politique de ne pas saisir tous les leviers à sa disposition pour créer de nouvelles places.

1.Un monopole de l’Office de la naissance et de l’enfance (ONE). L’organisme, qui dépend de la Communauté française, cumule tous les rôles, concentre toutes les compétences et les programmes d’action : c’est lui qui autorise, contrôle, agrée, subventionne et conseille le gouvernement sur les arrêtés qu’il sera ensuite chargé de mettre en oeuvre. Comme si vous deviez remplacer votre ascenseur et que l’architecte, le constructeur de l’ouvrage et l’inspecteur de la sécurité formaient une seule et même entreprise. Résultat :  » Les voix critiques et alternatives sont étouffées, financièrement, répond Alain Dubois. La petite enfance reste le seul secteur où cette pratique existe. Il faut à tout le moins confier le contrôle de la qualité à un organisme séparé.  »

2.Une législation trop rigide. En plus de concentrer tous les pouvoirs, l’ONE applique une réglementation trop rigide et inadaptée. Ainsi, face au besoin de places, la Communauté française a souhaité impliquer les entreprises. Pour encadrer les initiatives, en 2003, l’institution a imaginé le dispositif Synergies employeurs – milieu d’accueil (Sema). Avec ce plan, les employeurs peuvent, en s’acquittant d’un montant annuel partiellement déductible, soit créer, soit réserver des places pour leur propre personnel, à condition de passer une convention avec une crèche et de contribuer à un  » fonds  » géré par l’ONE. Au décompte, on note la création de moins de deux cents places. L’objectif de départ était de plus de 1 800. Un échec qui repose sur la rigidité administrative. Sondées, les entreprises ne souhaitent pas s’engager dans une convention avec un milieu d’accueil, pour soutenir  » x places « .  » Ce qu’elles veulent, c’est uniquement régler au cas par cas et pas de façon globale. Elles pointent également l’opacité du fonds institué au sein de l’ONE « , poursuit le sociologue. Le produit de la contribution des entreprises est censé permettre la création de nouvelles places.

L’ONE applique une réglementation trop rigide et inadaptée

Alain Dubois prend un autre exemple de rigidité réglementaire : le soutien de Bruxelles-Economie-Emploi, lancé en Région bruxelloise. En bref, la Région offre une aide de 3 000 euros annuels à l’entreprise par place créée ou réservée pour son personnel. Le hic : la législation communautaire interdit toute réservation de place par une entreprise en dehors du plan Sema. Dès lors, l’aide bruxelloise n’est pas applicable aux services de garde agréés par l’ONE. Et, par conséquent,  » il n’existe pas de place dans un milieu d’accueil ONE « . Toutes les réservations sont réalisées dans les services contrôlés par Kind & Gezin, le pendant flamand de l’ONE, plus souple et plus pragmatique. En Flandre, en effet, les entreprises s’accordent en direct avec les crèches.

3.Un manque d’entrain des pouvoirs locaux. Dans ce secteur, les villes et les communes sont des sortes de pouvoirs organisateurs. Alors qu’elles sont en première ligne, elles peineraient à endosser le costume de  » chef d’orchestre « , dans le sens où elles ne prennent pas du tout en compte les particularités du terrain, des besoins réels, des types de familles présentes (monoparentales, en recherche d’emploi…). Les pouvoirs communaux se contenteraient ainsi de gérer leurs propres collectivités.  » Le niveau politique local est important pour développer une offre d’accueil globale et concertée. On est dès lors en droit d’attendre de la part des pouvoirs locaux qu’ils se positionnent comme des acteurs politiques, qu’ils dépassent les vieux clivages publics-privés, laïques-cathos « , détaille le sociologue.

4. L’absence d’un décret spécifique. Jusqu’ici, aucune compétence obligatoire n’incombe aux pouvoirs publics en matière d’accueil des enfants de moins de 6 ans. L’étude propose d’inscrire  » un droit à l’accueil diversifié pour toutes les familles et tous les enfants « .  » Il faut cesser de confondre l’organisme de référence (l’ONE) et l’objectif politique.  »

5. Des solutions nouvelles peu aidées. Le soutien financier n’englobe pas tous les modes de garde. Ainsi, il existe ce qu’on pourrait appeler l' » halte-accueil « , qui se développe de plus en plus, à côté ou en marge des offres reconnues par l’ONE. Il s’agit de petites structures de quartier, fonctionnant avec la liberté du  » privé  » en fixant le prix. Leur concept réside dans la volonté d’épauler les familles. Elles réunissent plusieurs professionnels (des psys, des assistants sociaux, des enseignants…). On y combine l’accueil occasionnel, l’accueil à temps partiel, l’extra-scolaire… On y développe encore l’accueil parents-enfants et les tables de conversation.  » Ce type de service n’entre pas dans la case « ONE », notamment parce qu’il n’accueille pas dix heures par jour, cinq jours par semaine des enfants de 0 à 3 ans. C’est un peu stupide « , énonce Alain Dubois. Privés des moyens liés à la petite enfance, ces structures hybrides en restent à devoir jongler entre les aides à l’emploi, le Forem, les ACS, les partenariats, etc., les plongeant bien souvent dans la précarité et l’incertitude.

6. Une résistance au privé. En conclusion, l’étude pose la question du soutien public au secteur privé. La Communauté française reste marquée par la prééminence du secteur subventionné, plus coûteux pour les pouvoirs publics, avec une part importante de pouvoirs organisateurs issus des communes et des CPAS. Alors que, désargentée, l’institution n’a pas les moyens de sa politique.  » La réalité démographique à Bruxelles risque d’accroître les tensions « , prévient l’auteur. Pour faire face à la demande, la Flandre semble avoir opté pour un soutien public au privé, dans des structures collectives. Ainsi, dans le modèle flamand, chaque collectivité, publique ou privée, a droit à des subsides. Les prix, quelle que soit la collectivité, sont fixés selon le revenu des parents. Enfin, les projets particuliers (de proximité, culturels…) bénéficient d’un subside supplémentaire. De quoi méditer.

Pourquoi l’offre d’accueil de la petite enfance reste-t-elle insuffisante ?, par Alain Dubois, CERE, 63 p.

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