A Liège, la basilique de Cointe est à vendre depuis des temps immémoriaux. © BELGA IMAGE

Coût des cultes: les Eglises sont vides et peinent à ressusciter

Mélanie Geelkens
Mélanie Geelkens Journaliste, responsable éditoriale du Vif.be

Chaque année, quelques dizaines d’églises sont désaffectées, et certaines mises en vente, les communes refusant d’investir de trop importants montants dans leur rénovation. Déjà que les cultes leur coûtent pas mal d’argent… Mais que faire des édifices désacralisés? La piste des logements est à l’étude.

Neuf cents mètres carrés, belle hauteur sous plafond, vaste crypte aménageable, vitraux simple vitrage: faire offre à partir de 790 000 euros. Depuis sa mise en vente en 2019, des amateurs se sont manifestés, imaginant y ouvrir tantôt un restaurant, tantôt une maison de repos, voire une mosquée. L’agent immobilier imaginait même de l’escalade sur la tour. L’église Notre-Dame de Lourdes au Bouhay, à Bressoux (Liège), a finalement été vendue en 2020 et son affectation reste à déterminer. Peut-être du logement.

D’autres se sont transformées en hôtel (à Malines), en restaurants (à Anvers, Gand et Marche-en-Famenne), en discothèque (à Bruxelles)… Les projets de reconversion ne peuvent devenir que de plus en plus nombreux. En Belgique, on recense pas moins de 4 296 églises, selon le décompte officiel effectué en 2018. Mais quelques dizaines sont désaffectées chaque année (31 en 2018, 26 en 2019). Elles sont, dans de rares cas, attribuées à d’autres cultes chrétiens. Sinon laissées vides.

Et, même lorsqu’elles ne sont plus fréquentées, elles engendrent des frais. De réparations urgentes, de sécurisation… Ce sont alors les communes qui déboursent, toutes historiquement obligées qu’elles sont de devoir assumer les déficits des fabriques d’église depuis un décret datant de… 1809 (mais aussi ceux des cultes protestant, israélite et anglican, tandis que les provinces se chargent de ceux des cultes orthodoxe et musulman). En moyenne, le financement annuel global des cultes au niveau des communes wallonnes représente 40,1 millions d’euros au budget ordinaire et 51,2 millions à l’extraordinaire. Soit environ 1% du budget communal. Ou, plus concrètement, quasi 26 euros par habitant.

Pour des pouvoirs locaux souvent en déficit structurel, ça pèse lourd. D’autant que les églises sont souvent vides, ou en tout cas trop nombreuses sur un territoire communal par rapport aux besoins des habitants. A Nivelles, il y en a dix (huit catholiques et deux protestantes). Dont coût annuel en 2021 de 3,4 millions d’euros (budgets ordinaire et extraordinaires confondus). L’un de ces édifices, Saint-Sépulcre, est fermé au public depuis 2019. Trop délabré, trop risqué. « Le coût d’une rénovation serait de 2,2 millions au minimum minimorum, détaille Colette Delmotte, présidente du CPAS en charge des cultes et du patrimoine (MR). La commune a dit non, et la fabrique d’église pense à la vendre depuis un petit temps, étant donné aussi qu’il y a de moins en moins de paroissiens. » Cette année, bien que fermée, Saint-Sépulcre a continué à coûter plus de 31 000 euros. Si elle est un jour vendue, les caisses communales ne toucheront pas un centime.

Même si un bien devait être vendu pour l’euro symbolique, il est peu probable qu’un investisseur privé assume les rénovations et y trouve une rentabilité.

Mais dès l’annonce d’une possible mise en vente, un comité de soutien s’est organisé, « Les amis du Spluc ». Même désertée, une église ne disparaît que rarement sans protestation, sans doute en raison des liens affectifs qu’elle suscite. Le lieu d’un mariage, d’une communion, d’un baptême, pour plusieurs générations. « Ces riverains s’imaginaient qu’avec des goûters, des soupers, ils pourraient sauver les lieux, constate Colette Delmotte. Mais il faut rester réaliste, il y a des normes à respecter, et la Ville a d’autres priorités. »

A Liège, c’est la basilique de Cointe qui est à vendre depuis des temps immémoriaux. Plusieurs investisseurs privés s’étaient manifestés, aucun projet n’a réussi à se concrétiser. « C’est difficile, car nous ne sommes pas propriétaires fonciers, explique l’échevine en charge des cultes Christine Defraigne (MR). La Ville ne peut que souhaiter lui donner un avenir. » Le territoire liégeois compte pas moins de 57 édifices, dont 48 catholiques. Qui nécessitent un budget annuel de 545 000 euros. « Nous respectons bien sûr nos obligations. Mais vu notre état d’impécuniosité, et étant donné la chute évidemment drastique de la fréquentation, nous avons demandé aux représentants de réfléchir à des formules de rationalisation. »

Des fidèles aux locataires?

Rationaliser, c’est aussi ce que propose aux communes l’intercommunale immobilière Ecetia. Et si aucune église n’était déjà construite, combien seraient érigées pour répondre aux besoins? « On pourrait alors envisager une nouvelle affectation, totale ou partielle, aux autres », expose son directeur, Bertrand Demonceau, qui raconte avoir été régulièrement consulté par des bourgmestres en quête de solutions de reconversion. « Souvent, on imagine de les transformer en bibliothèques et centres culturels. Mais quand bien même, les communes ont-elles besoin de cinq de chaque sur leur territoire? Ce qui leur manque, le plus souvent, ce sont des logements, surtout des appartements. On pourrait imaginer soit l’intervention d’agences immobilières sociales, soit des promotions immobilières classiques. » Les communes tiennent parfois à proposer une emphytéose plutôt qu’une vente réelle. On ne sait jamais, qu’un jour les fidèles reviennent en masse…

Ecetia est en contact avec plusieurs communes, et deux dossiers sont plus particulièrement avancés (une étude économique a été réalisée): concernant les églises de Tignée et du Heusay, toutes deux en périphérie liégeoise. Mais ce genre de reconversion ne peut être que complexe, d’abord car les pouvoirs publics ne sont pas toujours eux-mêmes propriétaires et ne peuvent que suggérer les choses. « Le constat que l’on a tiré, poursuit Bertrand Demonceau, c’est qu’il devrait de toute façon y avoir un coût public, pour certains frais de réparation ou de rénovation. Même si un bien devait être vendu pour l’euro symbolique, il est peu probable qu’un investisseur privé assume les rénovations et y trouve une rentabilité. » Peut-être certains subsides régionaux pourraient-ils aider mais, à nouveau, l’investissement public sera difficilement épargné.

« Le sujet est complexe,conclut- il. Et parfois émouvant car le fait même que cette question de l’avenir des églises se pose, à une aussi grande échelle et sans doute pour la première fois depuis la christianisation de l’Europe au Haut Moyen Age, témoigne d’un changement de paradigme. Du passage d’une époque à une autre. »

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