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Coronavirus: la stratégie de la Belgique concernant les tests Covid-19 est-elle mauvaise ?

Olivia Lepropre
Olivia Lepropre Journaliste au Vif

Il y a trois semaines, le ministre Philippe De Backer a promis 10.000 tests par jour. Aujourd’hui, on n’y est toujours pas, alors que la Première ministre en annonce 25.000 pour la stratégie de déconfinement. De leur côté, les laboratoires cliniques regrettent d’avoir été mis de côté et déplorent une absence de communication à leur égard.

Le dépistage des cas de Covid-19 jouera un rôle prépondérant dans le déconfinement, notamment les tests PCR, qui permettent de savoir si le patient est atteint du coronavirus au moment où il est testé. L’objectif avoué du gouvernement : « pouvoir offrir un test de laboratoire à toutes les personnes qui en nécessitent, c’est-à-dire celles qui présentent des symptômes et pour qui un médecin soupçonne une infection, les personnes fortement exposées au virus de par leur profession et les personnes exposées au virus après un contact rapproché avec une personne qui s’avère être infectée », a expliqué Sophie Wilmès lors de la conférence de presse suivant le dernier Conseil national de Sécurité. La Première ministre promet 25.000 tests PCR par jour au 4 mai, avec une capacité qui devra évoluer jusqu’à 45.000. Mais la question des tests en Belgique est bien plus complexe qu’il n’y parait.

Il y a environ trois semaines, le ministre Philippe De Backer, chargé de cette problématique, promettait 10.000 tests par jour. Un nombre qui n’est toujours pas atteint aujourd’hui. Pourquoi ? Si la problématique est complexe, un élément de réponse important se trouve dans les laboratoires capables ou désignés pour réaliser ces tests.

Absence de communication

Jusqu’au début du mois de mars, un seul laboratoire « de référence » était habilité à pratiquer ces tests : celui de la KULeuven. Quand la demande des tests s’est faite plus importante, le ministre en charge, Philippe De Backer, a décidé de faire un inventaire de la capacité de testing des laboratoires cliniques en Belgique. Une bonne idée, mais une démarche qui manquait de transparence, nous confie Frédéric Cotton, chef de service de chimie médicale au Laboratoire Hospitalier Universitaire de Bruxelles (LHUB-ULB) : « le but de la manoeuvre n’a pas été expliqué, et les résultats ne nous ont pas été communiqués. »

A l’époque, la capacité des laboratoires cliniques a été jugée insuffisante par le ministre, qui s’est donc tourné vers d’autres solutions. Alin Derom, président de l’Union professionnelle belge des médecins spécialistes en biopathologie médicale, regrette également le manque de transparence de la part de Philippe De Backer : « Aucun laboratoire n’était prêt à ce moment-là, mais dans les semaines qui suivent, les capacités se sont étendues. Cela ne se fait pas en deux jours. » Mais le ministre a fermé cette porte un peu trop vite.

De Backer et De Block
De Backer et De Block© Belga Images

Pourtant, les laboratoires cliniques étaient capables d’étendre leurs capacités, si toutefois on les avait sollicités : « S’il était revenu vers nous, on aurait pu lui demander de l’aide, pour nous fournir du matériel, du personnel, afin d’étendre nos capacités. C’était faisable », nous confirme Mr Cotton. Mais les laboratoires cliniques n’ont pas eu l’occasion de communiquer sur ce point avec le ministre : « Il y a eu une absence totale de communication. Tous les secteurs le disent. Même aujourd’hui, dans le déconfinement, on prend des décisions qui ne sont pas les recommandations des experts, on ne prend pas l’avis des spécialistes de terrain. » De côté du cabinet du ministre de Backer, on persiste sur la méthode utilisée: « Ces laboratoires ont été contactés au début de la taskforce et ils ne pouvaient pas garantir une augmentation de capacité ».

L’omniprésente KULeuven

Au début de l’épidémie, le laboratoire de la KU Leuven était le seul centre de référence pour les tests Covid-19. Était-ce une erreur de concentrer le savoir et les capacités en un seul et même endroit ? « On ne s’attendait pas à une pandémie mondiale. Pour chaque pathogène, la Belgique a des centres de références. Pour les coronavirus, il s’agit de la KULeuven. Quand le nombre de tests à réaliser était faibles, quand on a rapatrié des Belges de Chine, il n’y avait aucun souci », nous explique Frédéric Cotton.

Mais il pointe ensuite un manque de réactivité quand la vague a touché l’Italie. « On savait que la demande de tests chez nous allait exploser, mais on a vécu dans une bulle pendant un certain temps. On a organisé Batibouw et la Foire du Livre dans l’insouciance, des gens étaient au ski en Italie… A la mi-mars, le laboratoire de référence a été débordé. Heureusement, d’autres labos avaient pris les devants, mais de leur propre initiative. » A ce moment-là, Philippe De Backer n’était pas encore à la manoeuvre concernant les tests, cette problématique était toujours dans les mains de Maggie De Block. Mais « dès début mars, ils auraient dû donner des directives à destination des laboratoires pour se préparer. Cela n’a pas été fait. On a toujours eu un coup de retard par rapport à la maladie. »

Fausses bonnes idées à la chaîne

Le ministre De Backer a donc cherché d’autres solutions. Il s’est d’abord tourné vers des laboratoires de recherches, avec une méthode développée par l’UNamur. Des plateformes se sont mises en place mais n’ont jamais atteint des capacités suffisantes. Cela a tout de même permis de renforcer les tests en Wallonie. Mais globalement, c’était une première fausse bonne idée, indique Frédéric Cotton.

Il faut parler avec les personnes qui ont une expertise dans ce domaine

Le plan B a alors été activé : la création d’une mégastructure, un consortium avec la KU Leuven et l’ULiège d’une part, et des laboratoires pharmaceutiques d’autre part. Mais encore une fois, il s’agissait d’une fausse bonne idée, selon Mr Cotton : « Ils ont pêché par excès d’optimisme : ils ont pensé qu’en quelques jours, ils atteindraient 10.000 tests, d’où l’annonce de De Backer. Or, on n’y est toujours pas un mois plus tard ». Pourquoi? « La gestion pré-analytique des échantillons a été négligée. C’est-à-dire le prélèvement sur le patient, le transport, l’étiquetage, l’identification, l’encodage dans un système informatique, la réalisation de l’analyse, le renvoi du résultat… C’est une chaine complexe, c’est ce qui est le plus difficile dans les analyses de laboratoire. C’est là qu’ils se sont, je pense, embourbés, car ce n’est pas leur métier, mais le nôtre. » Pour Alain Derom, ce sont effectivement des métiers totalement différents : « Ils ont des compétences dans le secteur pharmaceutique, mais pas dans celui des soins de santé. »

L’environnement des laboratoires cliniques aurait, selon eux, été plus adéquat pour accueillir les équipements et le personnel, même issus de l’industrie pharmaceutique. Mais une fois encore, il n’y a eu aucun contact ni demande. « Cela a été mal géré. C’est une crise inédite et il faut prendre des décisions rapidement. Et dans la précipitation, ce ne sont pas toujours les bonnes. Mais quand on voit qu’on s’est trompé, il faut revenir en arrière et parler avec les personnes qui ont une expertise dans ce domaine », ajoute Mr Derom. De plus, chaque médecin ou maison de repos a des contacts avec un ou plusieurs laboratoires cliniques précis pour les tests habituels. Un contact privilégié précieux s’ils ont des questions concernant la procédure du prélèvement ou autre. Avec cette logistique déjà mise en place, pourquoi faire un système parallèle, se demande Alin Derom ? « Pour moi, c’est une mauvaise décision ».

Un laboratoire à Colmar
Un laboratoire à Colmar© AFP

Concernant le choix des laboratoires de l’industrie pharmaceutique, aucun de nos intervenants n’ose avancer d’explications. Y a-t-il des accointances politiques avec le pharma ? Difficile aujourd’hui de savoir si ce choix est orienté ou non. Les laboratoires cliniques n’ont, en tout cas, pas été informés qu’ils n’étaient pas dans la stratégie du ministre. Pour le ministre, les laboratoires pharmaceutiques sont tout simplement mieux placés pour garantir une absorption du flux des tests.

Critères trop stricts et gâchis des capacités de tests

Autre raison qui explique que la Belgique n’atteint pas les 10.000 tests promis par jour : les critères trop restreints. Concrètement, la capacité de 10.000 tests quotidien est bien réalisable dans notre pays. Mais tout le monde ne peut pas y accéder.

Frédéric Cotton prend l’exemple de son laboratoire qui, avec une capacité maximale de 1000 tests par jour, oscillent entre 200 et 300 tests réalisés quotidiennement. « Les critères qui permettent de réaliser le test ont été jusqu’à présent extrêmement stricts. Dans un premier temps, la présence de fièvre était obligatoire pour réaliser le test. C’est une erreur puisqu’on peut être infecté sans fièvre, sans symptômes. Depuis, les critères ont été élargis, mais toujours de manière insuffisante. » Alin Derom est du même avis : les critères sont trop stricts pour atteindre la capacité annoncée. C’est également la raison avancée par le cabinet du ministre De Backer: « les critères pour être testé devaient être élargis par le Risk Management Group pour réaliser 10.000 tests jour. Les critères ont changé depuis, et ils seront encore adaptés d’ici le 4 mai », nous dit-on.

On n’a pas utilisé toute la force de frappe qui était disponible en Belgique, c’est dommage.

Mais ce n’est pas le seul problème : il risque aussi d’y avoir trop peu d’écouvillons ou de réactifs, qui se trouvent aujourd’hui dans les laboratoires pharmaceutiques. Une fois de plus, la stratégie s’est reposée sur une fausse bonne idée, selon Mr Cotton. « On a mal évalué les capacités de testing. Il aurait fallu adapter les critères au jour le jour, ou élargir d’emblée les critères, quitte à saturer les laboratoires, à nous mettre directement au maximum de nos capacités. » Aujourd’hui, les 56 laboratoires peuvent effectuer environs 14.000 tests par jour. La moitié de cette capacité est sous-exploitée. « C’est dommage, on n’a pas utilisé toute la force de frappe qui était disponible en Belgique. »

25.000 tests quotidiens, vraiment ?

Pour alerter l’opinion publique et les décideurs, le Laboratoire Hospitalier Universitaire de Bruxelles a publié une carte blanche dans différents médias. Mais selon Frédéric Cotton, le ministre campe sur ses positions : « C’est consternant : il continue de dire qu’il a consulté les laboratoires cliniques et que leur capacité était insuffisante. Et qu’il a donc dû trouver une solution. Mais sa démarche n’était pas transparente et la communication n’a pas eu lieu. »

Coronavirus: la stratégie de la Belgique concernant les tests Covid-19 est-elle mauvaise ?
© Belga

Il s’inquiète également de la phase de déconfinement. Les laboratoires cliniques seront-ils enfin sollicités pour atteindre les 25.000 tests annoncés par la Première ministre ? Oui, nous répond le cabinet du ministre. Mais aucune communication officielle n’a encore été faite. « Or, si c’est le cas, cela demande de la préparation, notamment au niveau personnel, équipement et réactifs. Mais il n’y a pas de budget. Va-t-on devoir encore faire appel à la générosité des Belges, comme pour les respirateurs ? », se demande-t-il. Alin Derom demande également des éclaircissements : « Il faut prévoir assez d’écouvillons, de réactifs… aussi pour les laboratoires cliniques. Si on veut tester un grand nombre, il faut organiser et revoir les critères. Qui doit être testé ? Qui doit faire les prélèvements ? C’est très flou. »

Les 25.000 tests quotidiens peuvent-ils vraiment être atteints ? Cela dépend de la capacité réelle du consortium. « On n’a pas de transparence sur cette plateforme. Elle fait de la médecine de laboratoire mais par un personnel qui n’est pas entièrement agréé pour, qui n’ont pas été formés pour faire ça. C’est un aspect qui est négligé. Donc on ne connait pas la capacité réelle de cette plateforme. Je suppose que le ministre la connait et que si Madame Wilmès annonce ces chiffres, c’est qu’ils ont des informations qui vont dans ce sens », estime Frédéric Cotton.

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