Bruxelles, le 11 mai 2020

Confinement: comment les émotions influencent notre respect des mesures

Olivia Lepropre
Olivia Lepropre Journaliste au Vif

Les Belges respectent de moins en moins les règles de confinement. Même durant la crise, chacun n’a pas appréhendé les recommandations des autorités de la même manière. Un facteur souvent sous-estimé a pourtant influencé ces comportements : nos émotions.

Selon les enquêtes menées par Sciensano, il y a une augmentation de la proportion de personnes qui disent ne pas respecter strictement les mesures de distanciation physique (de 10% à 12%) et les mesures de confinement (de 5% à 7%). Aucun changement n’a été constaté concernant le pourcentage de personnes qui disent ne pas respecter les mesures d’hygiène. Parmi les personnes qui ont rapporté lors de l’enquête la plus récente ne pas respecter strictement les mesures, plus de la moitié (53%) ont évoqué comme raison qu’ils étaient prudents et que cela ne devrait donc pas poser de problème. Près du quart des personnes affirment également ne pas respecter les mesures parce qu’elles ne font pas partie d’un groupe à risque.

Mais un autre facteur, souvent sous-estimé, est déterminant dans le comportement humain : l’émotion. Et le respect des mesures de (dé)confinement ne fait pas exception. C’est dans cette optique que des chercheurs belges de l’UCLouvain ont investigué leur rôle durant la crise du coronavirus.

Une émotion, oui, mais laquelle ?

L’équipe a collecté des données sur 4840 participants. Un résultat majeur révèle le rôle des émotions dans le suivi des recommandations liées à la prévention de la propagation du Covid-19. « Il est clair que les émotions jouent un rôle. Mais il faut se demander : quel type d’émotions ? Dans notre étude, nous avons remarqué qu’elles n’avaient pas la même influence sur les deux comportements analysés (le lavage des mains et la limitation des contacts sociaux) », nous explique Olivier Luminet, professeur en psychologie de la santé à l’UCLouvain, qui a dirigé la recherche.

L’étude a mis en évidence cinq groupes d’émotions et leurs rôles :

  • La peur. « C’est une émotion importante, qui a joué un grand rôle dans la crise. Elle a joué un rôle uniquement pour le lavage des mains, mais pas pour la limitation des contacts sociaux. »
  • La colère. « On a vu des réactions négatives de gens qui s’opposaient aux mesures ou qui étaient très énervés par la situation. Mais la colère n’a joué aucun rôle sur les éléments observés. »
  • La joie et l’enthousiasme. « Cela n’impacte que la limitation des contacts sociaux : les gens qui ressentent le plus de joie sont ceux qui ont le plus de mal à limiter leurs contacts. » Cela peut expliquer, en partie, pourquoi certaines personnes se sont ‘déconfinées’ plus rapidement que prévu dès l’annonce de la règle des 4 personnes.
  • L’attention. « C’est une émotion plus positive. C’est le fait d’être impliqué, attentif, déterminé, d’avoir un certain engagement dans la situation. Cela favorise les comportements recommandés. »
  • L’anxiété liée à la santé. C’est ce qu’on peut qualifier d’hypocondrie. « C’est une émotion négative, mais aussi exagérée. »

Un dosage subtil dans la communication

Le facteur émotionnel peut être important à ajouter aux communications liées au coronavirus, notamment de la part des autorités lors de l’annonce des mesures pour lutter contre la propagation du coronavirus, qu’il s’agisse du confinement ou du déconfinement. « Dans la communication future, il faudra prendre cet élément en compte, mais d’une manière subtile. Il ne faut pas nécessairement être sur les mêmes types d’émotions pour tous les groupes », poursuit Olivier Luminet. Il prend l’exemple de la peur : « il faut informer, inciter, sans faire paniquer les gens pour autant. Il y a un dosage subtil à faire dans les émotions. Il faut être capable de rassurer les gens à des moments d’anxiété très forte comme au début du confinement, mais aussi à certains moments donner une petite piqûre de rappel quand les courbes s’aplatissent, que temps est beau et que tout le monde a envie de sortir. » Il conseille aussi d’utiliser l’empathie, qui peut avoir un effet positif, car cela montre de la compréhension de la part des politiques par rapport à ce que vit la population.

Mais la communication des conférences de presse post-Conseil national de Sécurité n’est pas la seule à pouvoir en bénéficier. Cela peut également affiner le message des spots de communication. « On peut introduire certaines variations, qui vont faire que certains messages vont davantage développer certains types d’émotions. Pour reprendre l’exemple de la peur, avoir au moins quelques éléments disant de faire attention, cela semble efficace pour certains comportements recommandés. Les émotions sont des leviers de changement de comportement et il y a moyen de les utiliser pour la prévention », indique Mr Luminet.

Les canaux de communication sont également importants. Pour un public plus jeune, plus présent sur les réseaux sociaux, il faudra plutôt utiliser la communication la plus adaptée aux risques chez les jeunes. Et utiliser les médias plus traditionnels pour une population plus âgée.

Âge, sexe, entourage : d’autres éléments déterminants

Outre les émotions, d’autres éléments ont été déterminant durant le confinement dans le respect ou non des mesures. L’âge, par exemple, a des effets sur le comportement. Si elles se lavent bien les mains, les personnes plus âgées ont plus de mal à limiter leurs contacts sociaux. Ces tendances à respecter l’un ou l’autre, voire les deux, varient en fonction des tranches d’âge.

La pression de l’entourage joue également un rôle d’incitant : « on ne décide pas seul, notre comportement et le respect des recommandations sont déterminés par nos proches, même si on a pris une décision au préalable. Le rôle du groupe social est extrêmement important, et ce quel que soit l’âge », indique encore Olivier Luminet.

Autre public à cibler : les hommes. Les femmes seraient effectivement plus enclines à mieux se laver les mains. « Il y a un besoin de campagne ciblée chez les hommes. On remarque également qu’ils sont moins nombreux à avoir répondu à notre enquête, car ils se sentent probablement moins concernés », explique-t-il. Selon lui, il est important de cibler la sensibilisation selon les groupes et leurs caractéristiques.

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Contenu partenaire