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Commission inondations: un manque de vigilance wallonne et de coordination, si l’on décode l’IRM

Olivier Mouton
Olivier Mouton Journaliste

David Dehenauw, chef de travaux à l’IRM, est revenu lors de la commission d’enquête parlementaire sur les alertes lancées avant les terribles inondations de juillet. Et tire déjà des leçons, en plaidant pour la création d’un Centre de risques pour les catastrophes naturelles.

La commission d’enquête du parlement wallon sur les inondations a poursuivi ses travaux ce vendredi matin avec l’audition de David Dehenauw, chef de travaux à l’IRM (Institut royal météorologique), au sujet des alertes lancées.

Des alertes dès le lundi 12 juillet

Celui-ci revient sur la chronologie des événements. « Nous consultons toujours plusieurs modèles de prévision, explique-t-il. Le lundi 12 juillet matin, je vois qu’il y a plusieurs données donnant des précipitations énormes. Elles étaient était prévues pour le mercredi 14. Nous avons pris en compte les données les plus pessimistes et nous sommes arrivés à 30-60 mm sur le centre du pays, 50 à 100 mm sur l’Est et, au sud du sillon Sambre et Meuse, on dit qu’entre 80 et 130 mm sont possibles, soit localement 150 mm. Vous savez, 150 mm, c’est ce qui tombe en deux mois.« 

Pourquoi ne pas lancer directement une alerte rouge? « Parce que les modèles de prévision changent, parfois, souligne-t-il. Mais en tout état de cause, c’était une quantité énorme. Quarante-huit heures à l’avance, cette prévision se vérifie à 97%. Seul un modèle, du Centre européen, prévoyait, lundi soir, un seul de 200 mm dépassé. « Comme ce n’est pas confirmé, j’attends le nouveau run de mardi matin », souligne Dehenauw. L’alerte jaune demeure d’actualité.

Le mardi matin, des modèles de prévision strictement belges, avec une ‘maille plus fine’ que le modèle européen, précisent cela pour les 48 heures. « Le nouveau run du centre européen, qui a circulé dans la presse, était à nouveau autour des 150 mm, souligne le responsable de l’IRM. Le modèle de l’IRM donne 150 mm, avec quelques pointes à 190 mm dans les Hautes Fagnes. » Il y a aussi un risque d’orage, dont l’intensité est difficile à déterminer. « Malgré le fait que le modèle européen a baissé, je vais ajouter qu’il y a des risques d’orage pouvant renforcer la disparité« , dit David Dehenauw. Cela veut dire que localement, cela peut être plus. »

Ce mardi, la presse commence à appeler, après un lundi plutôt calme. « On décide de passer en alerte orange, explique le chef de travaux de l’IRM. On reçoit aussi des appels du service hydraulique de la Flandre. » Il passe aussi à la télévision, sur VTM. « Dans ma carrière de vingt-cinq ans, je n’ai jamais prévu autant de précipitations en si peu de temps. Je prends le risque de dépasser mes compétences fédérales en disant notamment qu’il ne faut pas songer à camper. » Un journaliste du Standaard demande si 200 mm sont possibles: « Je réponds que oui, localement. »

L’alerte rouge, mercredi matin

« Le mardi soir, souligne le responsable de l’IRM, je reçois les nouveaux modèles, on pense à déclencher une alerte rouge pour mercredi matin. » Deux modèles divergents: l’un prévoit 100 à 150 mm pour Liège et plus de 100 mm pour Namur. Mais l’IRM doit attendre la précision des modèles pour le mercredi et ne peut déclencher une alerte que douze heures avant.

« J’ai déclenché trois alertes rouges depuis 2017, deux fois pour des chaleurs excessives, cette fois pour les pluies, explique David Dehenauw. Le mercredi matin, j’appelle le directeur général de l’IRM, comme le veut la procédure, en lui disant qu’il n’y avait pas de doute: il faut déclencher une alerte rouge. »

A ce moment-là, à Jalhay, il est déjà tombé 100 mm de précipitations. « J’ai deux modèles qui confirment plus de 100 mm sur Liège, souligne le responsable de l’IRM. Avec ce qui est tombé, cela peut donc représenter, en tout, jusqu’à 200 ou 250 mm. Des quantités énormes, donc. Cet avertissement se confirmera pratiquement à 100%, sauf pour Jalhay où cela monte à 270 mm. »

Le mercredi soir, l’IRM voit que la zone va se déplacer vers l’ouest. L’alerte rouge se termine à 2h du matin.

« Nous avons eu beaucoup de contacts avec le service hydraulique wallon, on a bien travaillé enemble, dit son responsable. A notre avis, nous avons fait notre travail avec les données disponibles; Est-ce que c’était parfait? Non.« 

Une piste: un Centre de risques…

Au niveau de l’IRM, que peut-on faire pour améliorer les choses? « On a quelques idées pour avoir une collaboration encore plus étroite », souligne son chef de travaux.

« Jusqu’à présent, les contacts ont lieu avec le service hydraulique, souligne-t-il. Ce serait important de parler d’un Centre de risques pour les catastrophes naturelles. Il nous manque un niveau avec des spécialistes collectant ces données. C’est important aussi pour la communication en direct vers les communes. »

Des rencontres sont par ailleurs prévues ces prochains jours avec tous les gouverneurs. « Je m’aperçois que les avertissements de l’IRM ne sont pas toujours compris à fond », dit-il. en ajoutant: « J’aime la Wallonie. Nous devons lutter contre les inondatins ensemble, avec le respect des compétences. »

« Pourquoi ce délai de douze heures? »

Olivier Biérin, député Ecolo, entame les répliques politiques « Pourquoi ce délai de 12 heures?, demande-t-il. Cela remonte sans doute du moment où les alertes étaient moins précises. Mais c’est trop court pour prévoir une évacuation, par exemple. »

Sabine Laruelle (MR) se pose la même question. Et demande: « Quand vous faites vos alertes, sont-elles différentes pour le grand public que pour les administratifs et les politiques? Je comprends bien les douze heures, mais quelque chose s’enclenche-t-il? Naïvement, j’ai l’impression que c’est au sein d’un Centre de crise que cela doit se passer. Je ne comprends pas pourquoi il faudrait un truc en plus alors qu’il y a déjà pas mal dans la couche dans la lasagne belgo-wallonne. »

Marie-Martine Schyns souligne aussi que le délai des douze heures est problématique. « Vous dites dans une annexe aux documents que vous avez envoyé que l’on peut s’en écarter, pourquoi ne pas l’avoir fait? Qui, au sein du SPW, reçoit votre alerte? Cela se fait-il par mail ou y’a-t-il un contact téléphonique? Le premier avec le SPW a-t-il eu lieu le mercredi? »

Julien Liradelfo (PTB) s’étonne quant à lui des propos tenus par le ministre wallon du Climat, Philippe Henry (Ecolo): « Le ministre Henry a dit qu’il avait plus deux fois plus que ce qui a été prévu: est-ce contraire à la vérité? »

David Dehenauw répond. sur les douze heures: « Peut-on modifier cela? Si les modèles deviennent plus fiables, on peut le faire. Pour l’instant, on n’en est pas encore là. Mais je suis tout à fait d’accord que cela mérite une réflexion profonde« 

« L’IRM, c’est un euro par Belge!

A l’IRM, reconnait-il, on était surpris d’entendre les déclarations du ministre Henry. « C’est un homme intelligent, un ingénieur, je ne sais pas pourquoi il a dit cela. Je suis prêt à lui parler ou à son cabinet. »

Le premier contact avec le service hydraulique, poursuit-il encore, était mercredi matin. « En Flandre, c’était mardi. » Mais « les quantités annoncées étaient énormes, j’étais convaincu que le message était bien passé. » Les contacts avec les services hydrauliques des Régions pourraient être améliorés, reconnaît-il. Notamment en prévoyant un contact obligatoire en cas d’alerte orange. Les députés, quant à eux, se demanent s’il est normal que les premiers contacts avec les services wallons ne soient intervenus que le mercredi.

Le Cente de risques proposé par l’IRM, un « truc en plus »? « Pas forcément, ce doit surtout être un lieu où a lieu la coordination. » Qui a visiblement fait défaut, à certains moments. de même que la vigilance en Wallonie.

De quoi réfléchir, souligne encore David Dehenauw, alors que le réchauffement climatique multipliera ces phénomènes extrêmes.

« Vous dites que avez bien travaillé, je n’en doute pas en vous écoutant, mais dites cela aux familles des quarante morts en Wallonie« , souligne en retour Philippe Didriont (MR). Qui interroge avec d’autres les absences de contacts téléphoniques, le délai trop tardif de l’alerte rouge… Oui, le fonctionnement actuel doit être revu.

« Téléphoner en cas d’alerte orange, répond le responsable de l’IRM. C’est impossible, nous sommes débordés dans ce cas-là. Nous ne sommes pas très nombreux à l’IRM. Vous savez que notre budget n’est pas très élevé, c’est un euro par Belge!« 

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