La ville compte 4 000 poubelles. Pour autant, des déchets jonchent encore rues et trottoirs. © HATIM KAGHAT

Comment rendre Liège enfin propre ?

Le Vif

Sous les pavés, la rage : entre dépôts clandestins, façades prises pour des urinoirs et graffitis à gogo, sale temps pour Liège sur les réseaux sociaux. Les posts mécontents se multiplient, mais les mesures pour régler la problématique aussi. Toutes couleurs politiques confondues, les autorités liégeoises oeuvrent à mettre les incivilités à la poubelle.

L’interview politique s’apparente souvent à un numéro d’équilibriste entre la réalité avérée et celle que l’interlocuteur aimerait communiquer. Sauf en ce qui concerne les incivilités à Liège : tous les élus contactés pour ce dossier sont d’accord pour l’affirmer, la situation est grave. Dépôts clandestins de déchets, façades prises pour des urinoirs quand elles ne sont pas recouvertes de l’un ou l’autre tag : difficile d’ignorer la réalité. D’ailleurs, le bourgmestre lui-même n’a-t-il pas fait de la lutte contre les incivilités le fil rouge de sa dernière campagne électorale ? Une approche qui a (notamment) permis à Willy Demeyer (PS) d’être réélu il y a un an. Petite consolation pour celui qui s’avoue découragé par la problématique des incivilités dans la Cité ardente. Même s’il assure que  » quand on compare à d’autres villes, je ne suis pas sûr que la situation soit plus grave à Liège « , il reconnaît que  » quand on consacre beaucoup de temps et de moyens à quelque chose, c’est logique qu’il y ait un ras-le-bol général, à commencer par moi. Je suis déçu de tout ça, mais aussi du comportement de certains.  »

Lorsqu’un espace est propre, on le respecte beaucoup plus.

Les Liégeois ? Oui, mais pas uniquement, car si elle y est ancrée, la problématique dépasse en réalité le territoire de la Principauté.  » Une partie des dépôts sont dus aux étudiants, qui ne sont pas tous Liégeois, et aux personnes précarisées. Il y a un effet de centralité, qui contribue au problème.  » Gilles Foret (MR) en sait quelque chose : élu lui aussi aux dernières communales, il a hérité, entre autres responsabilités, de l’échevinat de la propreté. Tout un programme.

Pour Willy Demeyer, bourgmestre,
Pour Willy Demeyer, bourgmestre,  » quand les citoyens sont concertés, ils font plus attention. Il faut construire la solution avec les Liégeois. « © HATIM KAGHAT

Moyens conséquents

 » Mon constat fait écho à celui des citoyens : il y a des problèmes de propreté liés à l’incivilité et au comportement des habitants de certains quartiers. Je ne peux que partager leurs critiques, tout comme les services de la Ville qui sont confrontés au quotidien aux dépôts clandestins et autres comportements problématiques.  » Gilles Foret est en charge de la gestion de l’espace public, qui emploie un peu plus de 200 personnes dédiées à la propreté. S’il est tentant de blâmer la Ville pour les manquements constatés, l’élu MR refuse d’assumer cette responsabilité.  » Les moyens mis en oeuvre sont conséquents, on ne peut pas nous reprocher de ne pas être sur le terrain.  »

Jean-Luc Vasseur, président du Commerce liégeois, le seconde : s’il reconnaît que l’ensemble des incivilités ont un impact sur l’attractivité de Liège et, donc, de ses commerces, il trouve  » trop facile de tout remettre sur le dos de la Ville « . Et d’ajouter qu’il estime Liège  » plutôt bien gérée « .  » On peut forcément s’améliorer, mais tout ne doit pas venir de la Ville, il faut aussi changer nos habitudes. Si la cité est sale, c’est parce qu’on y a mis des déchets, donc il faut s’autogérer. Les commerçants doivent s’impliquer dans le nettoyage de leurs devantures. Lorsqu’un espace est propre, on le respecte beaucoup plus, donc à nous d’adopter une démarche proactive.  »

Il y a un vrai sens civique à Liège, même si une poignée de gens font toujours preuve d’incivisme.

Agir, oui mais comment ? Pour Quentin le Bussy, élu Vert ardent au conseil communal, il s’agit d’éduquer les citoyens au vivre-ensemble mais aussi et surtout aux solutions à leur portée en matière de propreté publique. Pour Gilles Foret, il importe d’agir en amont mais aussi de sévir lorsque des incivilités sont constatées.  » Il faut lutter contre certains comportements qui font qu’on ne respecte pas l’espace public et qu’on le considère comme un dépotoir. Dépôts clandestins dans les parcs, sortie des encombrants avant l’heure, non-respect des règles de bien vivre ensemble édictées par la Ville… Il faut respecter l’espace public et les travailleurs de la propreté. Quand un balayeur public doit repasser trois fois dans la même rue parce que certains considèrent la rigole comme une poubelle alors qu’il y a 4 000 poubelles sur le territoire de la ville, il y a un problème, avec des questions d’éducation à aborder et des sanctions à mettre en place.  »

Participation nécessaire

Ces derniers mois, deux jugements ont fait grand bruit à Liège : le tribunal de police a acquitté un homme condamné à une sanction administrative pour avoir uriné dans un avaloir un dimanche de Batte (le juge a retenu  » l’état de nécessité « ) et le tribunal correctionnel a acquitté un mendiant auquel étaient reprochés des faits de rébellion et d’outrage à agent. En cause, le règlement antimendicité de la Ville, fustigé au passage par le juge Franklin Kuty. Un jugement contre lequel le parquet a fait appel, mais qui n’est pas encourageant pour ceux qui tentent de faire appliquer le règlement communal.  » Un magistrat n’est pas un législateur « , rappelle Christian Beaupère, chef de corps de la zone de police de Liège.  » Ce jugement pose question car si on ne peut plus intervenir quand il y a un trouble de l’ordre public et qu’on laisse tout faire, la situation ne va pas s’améliorer du point de vue des incivilités.  »

De son côté, Willy Demeyer se refuse à commenter les décisions de justice mais constate  » que le parquet lui-même a fait appel. Je reste solidaire des policiers qui font leur travail. Il ne faut pas s’étonner qu’ils se découragent avec de tels jugements.  » Le bourgmestre, lui, ne se décourage pas. Tout juste s’il concède être  » lassé de voir que le cadre législatif des métropoles ne prévoit pas de cadre administratif commun « . Entre la répression suggérée par le MR et l’éducation que veut mettre en place Vert ardent, Willy Demeyer revendique un juste milieu et met l’accent sur l’importance de la participation. Parce que  » quand les citoyens sont concertés, ils font plus attention. Il faut construire la solution avec les Liégeois : on ne touchera pas les réfractaires mais on va quand même régler une partie du problème.  » Mais, au fond, d’où vient-il ce problème ? Connu pour son tempérament méditerranéen et parfois un peu frondeur aussi, le Liégeois serait-il incivique ?

Gilles Foret, échevin de la propreté. Tout un programme...
Gilles Foret, échevin de la propreté. Tout un programme…© HATIM KAGHAT

Un mal pour un mieux

Au contraire, selon Christian Beaupère :  » Il y a un vrai sens civique à Liège, même si une poignée de gens font toujours preuve d’incivisme. Il n’y a pas besoin d’être beaucoup pour salir toute une ville : nous avons déjà appréhendé une bande de trois personnes seulement qui avait vandalisé une septantaine d’abribus.  » Même constat pour Gilles Foret, qui rappelle que  » le Liégeois aime vivre dans sa ville et la pratiquer, il ne faut pas confondre esprit frondeur et irrespect « .

Pour Willy Demeyer, le problème trouverait en partie racine dans les grèves du service public de 1983 et 1989.  » Dans certains endroits de la ville, il y avait des tas de poubelles hauts de quatre à cinq mètres. A partir ce de moment-là, le rapport à la propreté n’a plus été le même et une forme d’incivilité par rapport aux déchets s’est installée.  » Même si, trente ans plus tard, tous s’accordent à dire que la situation n’est pas aussi catastrophique que certains le laissent penser.  » Le Liégeois est un peu latin évidemment, c’est un rouspéteur par nature « , sourit Christian Beaupère. Qui indique que  » nos chiffres de constatation montrent que les incivilités sont en diminution depuis plusieurs années « .  » Cela ne veut pas dire qu’il y a moins de répression, ni qu’il faille se réjouir : il ne faut pas relâcher l’attention, parce que sinon c’est vite reparti, mais il faut rester optimiste « .

Par Kathleen Wuyard et Clément Jadot.

Que fait la police ?

Plus de répression ? Encore faut-il avoir les moyens de ses ambitions. A Liège, la répression de l’incivilité se fait par le biais de sanctions alternatives communales (SAC). Soit des amendes administratives, qui peuvent être distribuées par quelques agents constatateurs communaux, la majorité des verbalisations provenant toutefois des services de police.  » Que fait la police ?  » aiment à demander d’un air bougon les Liégeois qui déplorent l’une ou l’autre incivilité dans leur quartier sur les réseaux sociaux. Eh bien, elle est débordée. Et la tendance à se la jouer justicier du Web plutôt que de faire appel à la justice n’aide pas, ainsi que le regrette Christian Beaupère, chef de corps de la police de Liège.

 » Sur 6 000 arrestations annuelles, il y a 2 200 faits judiciaires, et le reste concerne des incivilités, donc c’est difficile de parler d’impunité. Ce qui est vrai, c’est que les réseaux sociaux entretiennent cette illusion. Les gens s’étendent en ligne pour critiquer parce qu’ils ont des photos de dépôts clandestins. Nous, on préférerait qu’ils contactent le commissariat de quartier concerné pour régler le problème, c’est plus productif. Ces posts sur les réseaux entretiennent le sentiment d’impunité et de ville crasseuse.  » Alors que, justement, la Ville sévit : pour l’année 2018, il y a eu 24 895 procès-verbaux pour des infractions relatives aux sanctions administratives.

 » Je ne vois pas d’autre possibilité, confie le chef de corps. Si on part du principe que les peines de moins de deux ans de prison ne sont pas exécutées, qu’on est dans un système judiciaire saturé et que les incivilités sont « moins graves » que le crime, je ne vois pas ce qu’on pourrait imaginer comme autre sanction que de toucher au portefeuille des gens. C’est quelque chose qui fait mal aussi et qui empêche la récidive.  » A condition qu’ils s’acquittent de leur amende : ainsi que le regrette Willy Demeyer,  » si le directeur financier a des indices laissant supposer l’insolvabilité, il n’engage pas de procédures de recouvrement. Autrement dit, il y a beaucoup de gens qui ne paient pas leurs amendes administratives.  » Quand ce n’est pas tout simplement la justice qui les exonère.

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