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Comment les placements durables enflamment le marché

Philippe Berkenbaum
Philippe Berkenbaum Journaliste

On assiste depuis deux ans à une explosion des produits financiers éthiques ou socialement responsables sur le marché belge. Certaines grandes banques en font même leur cheval de bataille. Mais en l’absence de définition claire, pas toujours facile de séparer le bon grain de l’ivraie. Comment s’y retrouver ?

Septante mille personnes dans la rue pour le climat un dimanche pluvieux, 35 000 jeunes le jeudi suivant, une évolution spectaculaire des préoccupations citoyennes à l’égard des changements climatiques, du respect de l’environnement, d’une alimentation saine et durable, du gaspillage, du respect des droits de l’homme et des travailleurs, du sexisme et de l’égalité des genres, de la lutte contre les discriminations, de la justice sociale, du bien-être animal, de la transparence financière… Les mentalités évoluent et cela se reflète aussi dans le comportement des épargnants et des investisseurs.

Ils sont de plus en plus nombreux à vouloir glisser un peu d’éthique dans leurs placements. Investir leur épargne dans des actions et des obligations d’entreprises (ou de pays) plus propres, moins controversées, voire impliquées dans la transition énergétique ou environnementale.  » Une étude a montré que 86 % des millennials (NDLR : nés entre 1980 et 2000) placent l’impact sociétal avant la performance financière « , évoque Raya Bentchikou, responsable business development ESG chez AXA Investment Managers. Message entendu par les banques.

En réalité, cela fait pas mal d’années que plusieurs institutions financières et gestionnaires de fonds de placement ont commencé à développer des produits éthiques ou durables parce qu’investis, par exemple, dans des secteurs plus respectueux de l’environnement. Mais après un premier pic au tournant des années 2010, on assiste depuis deux ans à une véritable explosion des produits financiers dits socialement responsables (ISR). Comprenez qu’ils ne se contentent pas d’un rendement exclusivement financier mais apportent également une plus-value en termes environnemental, social et de gouvernance – les fameux critères ESG (lire l’encadré).

86 % des millennials placent l’impact sociétal avant la performance financière.

24 milliards d’euros en 2017

L’année 2017 bat même plusieurs records, à en croire une étude publiée voici quelques semaines par l’université d’Anvers et le Forum Ethibel, un organisme indépendant qui délivre ses propres labels en la matière (lire aussi page 20). Les montants investis dans les placements ISR ont atteint, cette année-là, 24,1 milliards d’euros (contre 7,7 en 2013) et pesaient 12,35 % du total des investissements financiers en Belgique. Et vu leur croissance récente, on est sans doute beaucoup plus loin encore aujourd’hui.

Pour les auteurs de l’étude, cette évolution spectaculaire n’est pas seulement due à l’attention croissante portée à la durabilité dans la société, mais aussi au fait que les principales institutions financières lui accordent toute leur sollicitude. Deux des quatre plus grosses banques belges notamment, BNP Paribas Fortis et KBC-CBC, en ont fait un axe de développement stratégique en déployant une kyrielle de fonds durables… et en invitant leurs commerciaux à les proposer spontanément aux clients comme alternative – sinon de préférence – aux placements standards.

Le consommateur a donc le choix. Fin 2017, il pouvait trouver 364 produits durables sur le marché, dont 254 élaborés en Belgique, les autres d’origine étrangère mais distribués chez nous. Ce sont essentiellement des fonds de placement (OPC) composés d’actions, d’obligations ou les deux (mixtes), mais aussi des produits d’assurance-vie (branche 23) et d’épargne pension. La plupart sont accessibles aux petits épargnants via les agences bancaires et aux investisseurs disposant d’un capital plus élevé via les services de private banking ou de gestion de patrimoine des banques. Dans ce domaine, l’encours atteignait 16 milliards fin 2017 et ce sont, là encore, BNP Paribas Fortis (47,3 %) et KBC (29 %) qui se taillent la part du lion belge.

Certains gestionnaires de fonds utilisent des critères négatifs comme l'exclusion de certains secteurs d'activité.
Certains gestionnaires de fonds utilisent des critères négatifs comme l’exclusion de certains secteurs d’activité.© OLIVER BUNIC/GETTY IMAGES

Bientôt un label européen

Reste à savoir si tous ces placements dits durables ou ISR le sont réellement, jusqu’à quel point et, surtout, s’ils se valent ? Comme le souligne l’association Financité, qui promeut les modes de financement alternatifs,  » il n’existe aucune définition légale de ce qu’est ou devrait être un produit financier socialement responsable. Pour l’investisseur, il est extrêmement difficile de savoir si les entreprises ou Etats dans lesquels le fonds investit n’ont pas des activités néfastes.  »

Pour Financité, dont les critères d’analyse sont extrêmement sévères, à peine 1 % des fonds sont réellement durables. Pour la Fédération belge des banques (Febelfin), la proportion atteindrait 20 %.  » Ce qui sera une entreprise durable pour l’un ne le sera pas forcément pour l’autre. Et cela se reflète naturellement dans les portefeuilles des fonds d’investissement « , admet Nicolas Claeys, analyste financier chez Test-Achats Invest. La réalité se situe donc entre les deux. Mais personne ne conteste l’évolution positive en cours.

 » Après les investisseurs institutionnels qui ont amorcé le mouvement, de plus en plus de particuliers cherchent aussi des placements durables et quasi toutes les banques en proposent à côté de leurs produits classiques, confirme Sébastien Mortier, chercheur en finance durable chez FairFin, la cousine flamande de Financité. Elles se trouvent ainsi dans la situation schizophrénique de promouvoir des fonds durables alors qu’elles ont toujours une gamme importante de fonds qui ne le sont pas du tout.  »

Différents labels permettent d’y voir plus clair, garantis par des organismes indépendants comme le Forum Ethibel, les réseaux FairFin et Financité, l’agence de notation Morningstar ou le site des gestionnaires d’actifs belges Beama, qui publie une liste des fonds durables accessibles en Belgique. Un label Febelfin, en cours de développement, devrait voir le jour dans le courant de l’année. Et on attend celui de la Commission européenne, à la suite des travaux du groupe d’experts sur la finance durable qu’elle a institué.

Vous avez dit durable ?

Test-Achats classe les fonds SRI en trois catégories.

1. Best in class : les fonds les plus fréquents n’investissent que dans les meilleures entreprises de chaque secteur, sur la base de critères d’analyse extrafinanciers (environnement, social et gouvernance). On y trouve donc certains secteurs controversés comme celui du pétrole ou de l’armement, par exemple.

2. Thématiques : ces fonds se concentrent sur un aspect spécifique du spectre de la durabilité comme l’environnement, le changement climatique, l’eau ou la diversité des genres, par exemple.

3. Impact investing : l’investissement se concentre sur des entreprises dont l’activité a une influence positive mesurable sur la société (recyclage, santé, etc.).

Certains gestionnaires de fonds utilisent aussi des critères négatifs comme l’exclusion de certains secteurs (armement, violation des droits de l’homme, pornographie, énergies fossiles…) ou positifs, en sélectionnant des entreprises qui scorent en matière de politique sociale, environnementale ou de bonne gouvernance.

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