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Comment les Alliés s’entredéchiraient durant la Bataille des Ardennes

Olivier Rogeau
Olivier Rogeau Journaliste au Vif

Les querelles entre généraux alliés ont atteint leur paroxysme pendant la bataille des Ardennes. Avec de lourdes conséquences humaines sur le terrain. L’historienne belge Ingrid Baraitre fait revivre cette guerre des nerfs.

C’est l’une des périodes les plus sombres de l’Histoire. Toute l’ardeur et la détermination des chefs militaires américains et britanniques lors des terribles affrontements de l’hiver 1944-1945 auraient dû être investies dans la défense de la liberté et de la démocratie. Mais ces glorieux généraux n’ont pas seulement lutté contre l’ennemi. Ils ont aussi, en coulisse, consacré beaucoup de temps et d’énergie à se causer mutuellement du tort.

Les quatre protagonistes de ces querelles entre Alliés : Dwight « Ike » Eisenhower, futur président des Etats-Unis, est commandant en chef des forces armées en Europe et doit arbitrer les rivalités entre ses généraux ; Omar Bradley commande, sur un front large, le 12e groupe d’armées US, scindé par la percée allemande de la mi-décembre 1944 dans les Ardennes ; son subordonné, George Patton, chef de la 3e armée US, parvient, malgré les routes gelées, à déplacer ses troupes de l’Alsace vers Bastogne en trois jours et à lancer une contre-attaque ; plus au nord, le maréchal Bernard Montgomery (« Monty ») commande les forces britanniques et canadiennes et se voit confier, à partir du 20 décembre, le commandement des 9e et 1re armées américaines qui, situées au nord de l’avancée allemande, échappent au contrôle de Bradley.

Le conflit dans le conflit ne s’est jamais soldé par un véritable cessez-le-feu. Dans ses mémoires, Montgomery accusera Eisenhower d’avoir prolongé la guerre d’une année à cause de son incompétence. Ike, lui, était furieux contre son ancien camarade Patton, à cause de son manque de discrétion et de son allergie à tout ce qui était britannique et russe. Patton, pour sa part, reprochait à Eisenhower un manque de qualités militaires, considérait Bradley comme un « médiocre » et Montgomery, qu’il détestait, comme un « puceron ».
Ces affrontements, l’historienne flamande Ingrid Baraitre, de la KULeuven, les décrypte dans Eisenhower et ses généraux, ouvrage qui sort la semaine prochaine chez Luc Pire. Spécialiste de la Seconde Guerre mondiale (elle a publié, en 2008, Patton, un général dans les Ardennes), elle fonde son analyse sur des sources de première main, la correspondance des principaux acteurs, leurs journaux intimes et mémoires. Pour elle, Eisenhower « cherchait à trouver des compromis entre Patton, l’insolent, Bradley, le contrarié, et Montgomery, l’arrogant. Sa patience quasi surnaturelle l’aidait à calmer les esprits échauffés. En revanche, en Ardennes, Ike a négligé de déployer des troupes en nombre suffisant, ce qui a entraîné la contre-offensive allemande. Le maréchal Alan Brooke, à l’époque chef d’état-major de l’armée britannique, estimait qu’Eisenhower ne savait pas bien coordonner les combats. Mais les conséquences humaines sont surtout le résultat d’erreurs d’appréciation. Persuadé que les Ardennes n’étaient pas un terrain propice à une attaque, Bradley a été surpris par l’offensive de la Wehrmacht. Le général américain a commis la faute d’ignorer les messages des services de renseignement qui alertaient les Alliés sur les mouvements de troupes allemandes. »

Olivier Rogeau

L’interview de l’auteure et les bonnes feuilles du livre dans Le Vif/L’Express de cette semaine.

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