Koen Geens © Belga

Comment le CD&V revient sur le devant de la scène

Walter Pauli
Walter Pauli Walter Pauli est journaliste au Knack.

Depuis que Koen Geens a été chargé d’une mission royale, il semble que le CD&V soit de retour. Les démocrates-chrétiens continuent à jouer dans la cour des grands. Peu à peu ils font ce qu’ils faisaient autrefois : diriger.

Le président du CD&V Joachim Coens a expliqué sa mission d’information dans l’émission De Zevende Dag (VRT). Pour ceux qui sont assez âgés pour s’en souvenir, l’attitude de Coens rappelle celle de célébrités du CVP comme Wilfried Martens et Jean-Luc Dehaene dans leurs meilleurs jours : demeurer imperturbable, ne pas s’irriter de questions difficiles, mais être très clair, et indiquer de la première à la dernière seconde que vous parlez au nom d’un parti qui veut et ose prendre ses responsabilités, surtout quand d’autres ont hésité pendant des mois.

Après l’émission, Coens s’est dépêché de rejoindre la RTBF où il a également fait bonne impression. Les tweets de Béatrice Delvaux du Soir en témoignent : « Il faut vraiment saluer la présence de Joachim Coens sur le plateau de Christophe Deborsu ce midi en direct. Trop d’hommes politiques clés flamands comme francophones ne s’expriment pas auprès de l »autre opinion publique’. Ici il répond à toutes les questions. En plus Joachim Coens répond à tout: il reconnaît avoir découvert la désignation de Geens au palais, il répond sur la sortie unitaire de George-Louis Bouchez et il se confronte à l’idée du scotchage de son parti à la N-VA. On est d’accord ou pas, mais il est cash et prend le temps. Utile! »

https://twitter.com/Beadelvaux/status/1223920414667296768Béatrice Delvauxhttps://twitter.com/Beadelvaux

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Coens donne le ton aux membres de son parti. L’ancien Premier ministre Yves Leterme a également été invité à analyser l’impasse actuelle. Quelques instants plus tard, Els Van Hoof (CD&V) a pris la tête d’un débat à l’échelle de la Chambre sur la loi sur l’euthanasie : elle connaissait son dossier et savait pourquoi son parti voulait changer quelque chose. Même à la suite du procès sur l’euthanasie, une autre gloire de CD&V, Miet Smet, s’était exprimée sur Radio 1 : son mari Wilfried Martens avait opté pour l’euthanasie en 2013. Et bien sûr, Smet a également donné son avis sur la politique, son parti et la formation d’un gouvernement. Même s’ils ne disaient pas tous la même chose, les membres du CD&V étaient soudains partout. Et aucun des démocrates-chrétiens interrogés ne s’est laissé acculer.

Une manoeuvre de Philippe

Si on a beaucoup entendu le CD&V, il y a eu peu d’intérêt pour la N-VA. Certes, dans Het Belang van Limburg, Zuhal Demir a présenté une zone naturelle dans l’est du Limbourg. Theo Francken est passé à la télévision avec une nouvelle proposition pour durcir la vie des demandeurs d’asile. Mais tout cela ressemblait à de la « politique sur pilote automatique ». C’est une loi immuable : un parti qui ne réalise pas son leadership politique sera rattrapé un jour par la concurrence.

Pourtant, le changement inattendu, vendredi soir, entre les informateurs Joachim Coens et le chargé de mission royal Koen Geens pourrait avoir provoqué des tensions internes au sein du CD&V. Coens a déclaré à la télévision qu’il pensait lui-même que Paul Magnette (PS) et Bart De Wever (N-VA) feraient l’affaire, et peut-être même De Wever seul. Ce dernier le pensait aussi.

Mais le roi a donc choisi Koen Geens. On ignore les raisons du choix soudain de Geens. Parfois, sa nomination s’explique par la panique soudaine qui s’est emparée du palais lorsqu’il a appris l’ampleur progressivement désastreuse du déficit budgétaire : 1,85 % du produit intérieur brut, près de 9 milliards d’euros, soit presque deux fois plus que ce que l’on pensait. Le choix de Koen Geens serait alors une intervention d’urgence du roi Philippe, destinée à créer un effet de choc. Mais auprès de qui ?

L’explication la plus logique et donc la plus plausible est que le choix de Koen Geens est une manoeuvre bien réfléchie du palais. Si l’on regarde les événements de la semaine dernière, cela a probablement commencé lundi dernier, lorsque la mission des informateurs Coens et Bouchez a été prolongée d’une semaine (à peine). On ignore la raison de cette prolongation ultra courte, mais en tout cas, le roi savait lundi qu’il s’adresserait aux « corps constitués » jeudi, et ce qu’il dirait alors. À savoir que « le moment est venu de cristalliser les efforts de ces huit derniers mois, de laisser tomber les exclusives et d’installer un gouvernement de plein exercice. Même si je suis conscient des difficultés à surmonter ». Et que « la patience des citoyens n’est pas de l’indifférence ». Cette dernière était une façon discrète de souligner que les hommes politiques devront un jour rendre des comptes aux citoyens, éventuellement lors d’élections anticipées – sans avoir à prononcer explicitement ces mots lourds de sens.

Si Philippe avait prononcé un tel discours immédiatement après avoir nommé un nouvel informateur, tout le monde aurait dit que le palais tenait son « petit homme » par la main. Or, le lendemain de son discours, le roi a présenté un homme que personne n’attendait. À l’exception de lui-même et de son chef de cabinet. Vincent Houssiau est un diplomate francophone qui a été formé dans les hauts cabinets des démocrates chrétiens flamands, de Herman Van Rompuy et Yves Leterme à Koen Geens en passant par Steven Vanackere. En 2017, il succède à Frans van Daele à la tête du cabinet du roi Philippe. La performance d’un chef de cabinet royal dépend de la qualité et de la taille de son réseau. Pour Houssiau, ce réseau est en grande partie chrétien-démocrate – tout comme son prédécesseur Van Daele, d’ailleurs. Van Daele est même un réseauteur hors pair. Tout comme Koen Geens.

Il n’est pas nécessaire de chercher une conspiration derrière le fait que Geens est aujourd’hui au centre du processus décisionnel politique du pays. Mais il semble que sa nomination s’inscrive dans un scénario que les démocrates-chrétiens sont impatients de signer. Dans son commentaire sur les réseaux sociaux, la vice-ministre-présidente flamande Hilde Crevits (CD&V) a explicitement fait allusion à un tel scénario : « Le pouvoir central est nécessaire dans ce paysage politique, dixit Yves Leterme dans De Zevende Dag. Je suis d’accord. Et de là, cherchez un gouvernement stable où vous obtenez les formations les plus fortes. C’est une mission délicate pour un Koen Geens expérimenté, bien préparée par Joachim Coens. »

Finesses rusées

Koen Geens semble être la bonne personne au bon endroit en ce moment, alors qu’en réalité il n’a pas fait grand-chose pour atteindre cette position. Et ce, dans un environnement où des prédécesseurs ambitieux auraient autrefois commis un meurtre pour gagner la confiance du palais et être sollicités pour (aider) à former un gouvernement.

Bien que Geens ait été un nom important dans les coulisses du réseau catholique qui gouvernait le pilier et le pays, il s’est d’abord tenu loin de la politique. Il s’est fait un nom en tant que professeur à la faculté de droit de Louvain, et en 1994, il a fondé l’influent cabinet d’avocats Dieux, Geens & Partners, aujourd’hui connu sous le nom d’Eubelius. Ce n’est qu’en 2007 qu’il est passé à la politique active. Il est devenu le chef de cabinet (économique) du nouveau ministre-président flamand Kris Peeters, et l’est resté jusqu’en 2009. À cette époque, Geens semblait avoir pris une distance mentale par rapport à la politique active. Il reprend ses fonctions chez Eubelius et à l’Université de Louvain, où il participe aux élections du recteur (il perd face à Mark Waer). Il est devenu président de « Vlaanderen in Actie » (VIA), président de la Lessius Hogeschool, président du Concert Olympique – l’orchestre de Jan Caeyers – a été nommé comme président de la société d’investissement flamande GIMV, etc.

Tout cela a encore changé en décembre 2011. Steven Vanackere (CD&V), en tant que vice-premier ministre et ministre des finances, n’a plus été en mesure de résister à la tempête qui s’était déclenchée lorsqu’il a traité le dossier Arco. Epuisé et désabusé, Vanackere a jeté l’éponge. Afin de surmonter une crise imminente (qui avait débuté dans le giron du pilier catholique), le président du parti, Wouter Beke, a choisi de manière inattendue Geens comme successeur de Vanackere. Un technocrate qui avait déjà quitté la politique après deux ans. Rien que son nom a apporté un soulagement au CD&V et un réconfort dans les cabinets des partenaires de la coalition : même à l’époque, Koen Geens avait une réputation très solide. Bien qu’il ait été critiqué à plusieurs reprises ces dernières années en tant que ministre des Finances et certainement de la Justice, l’opposition politique n’a pas pu, au cours des neuf dernières années, entacher cette réputation de manière significative. Herman Van Rompuy est peut-être l’inventeur du concept de « fermeté calme » (pour les politiciens démocrates-chrétiens), Koen Geens en est la personnification depuis quelques années. Pourquoi devrait-il se permettre d’être pressé ? Oui, il est assez ambitieux – sinon vous ne vous constituez pas un CV comme le sien au cours de votre vie professionnelle. Mais Koen Geens n’a plus ‘besoin’ de rien pour réussir dans la vie et en politique. Et ainsi tout est permis. Cette liberté d’action est sa grande force. Tout comme sa connaissance des dossiers, son sens politique, sa technique de négociation, son charme personnel. Et surtout: ses ruses.

Un exemple ? Lorsqu’en tant que ministre de la Justice, on lui a demandé son avis sur le procès d’euthanasie à Gand, il a immédiatement fait preuve d’empathie envers les médecins accusés : « On ne souhaite à personne de pratiquer l’euthanasie et d’être accusé de meurtre par empoisonnement ». On ne s’attend pas à une telle réponse de la part d’un CD&V, car ce parti a critiqué la façon négligée dont l’euthanasie est apparemment parfois appliquée. Intuitivement, Geens n’a pas fait ce que personne n’attendait, en particulier les médecins et la libéralité organisée : faire preuve d’empathie avec l’accusé. Après quoi il a décidé d’un seul coup que c’est pour cette raison que la loi sur l’euthanasie est la mieux adaptée. C’est exactement l’ouverture que vise son parti.

Mauvaise nouvelle pour la N-VA

En ce sens, la performance de Koen Geens n’est pas une bonne nouvelle pour la N-VA et Bart De Wever. Des socialistes comme Elio Di Rupo et Paul Magnette sont facilement diabolisés dans l’opinion publique flamande. Avec Koen Geens, qui est sympathique, toujours poli et parfois drôle, c’est nettement plus difficile. De Wever et la N-VA ont essayé à plusieurs reprises, chaque fois qu’un prisonnier s’était échappé ou que quelqu’un du département de la Justice avait encore commis une erreur. Même De Wever n’a pas vraiment réussi à tacler Geens.

Bien sûr, Geens a aussi ses faiblesses. La principale, c’est qu’il est membre du CD&V. Il appartient à un parti qui est en fait trop petit pour prendre la tête d’une formation gouvernementale, et encore moins pour livrer le prochain premier ministre fédéral. Mais depuis Charles Michel, et certainement Sophie Wilmès, cela ne doit plus être un problème insurmontable. En attendant, Geens formule sa mission avec la prudence qui le caractérise. Cette semaine, il va « entamer des pourparlers qui pourraient déboucher sur les initiatives nécessaires permettant la mise en place d’un gouvernement de plein exercice ».

Si la N-VA veut vraiment avoir son mot à dire, Geens sera heureux de les mener à la table des négociations. Si, par contre, la N-VA ne le souhaite pas, Geens devra éventuellement le mentionner dans son rapport au roi. Puis, depuis son poste, il expliquera en détail à tous les journaux et sur toutes les chaînes pourquoi la N-VA ne veut pas participer. À ce moment-là, Geens peut conseiller au président Joachim Coens d’ouvrir le débat sur un gouvernement sans la N-VA chez ses propres partisans du CD&V. Il pourra expliquer aux électeurs flamands pourquoi le CD&V n’est pas collé à la N-VA : parce qu’un parti adopte une position responsable et l’autre non. Coens aura alors l’occasion de souligner la différence de contenu entre les deux partis.

Tjeefs soumis (NDLR sobriquet flamand pour les démocrates-chrétiens)

Ainsi, le CD&V peut à nouveau se profiler comme le parti des politiciens qui trouvent des solutions aux problèmes et dirigent le pays. C’était déjà le cas en 2010, lorsque la tentative de Jean-Luc Dehaene de parvenir à un compromis communautaire a été torpillée par l’Open VLD et son jeune président, Alexander De Croo, a qui on avait prédit que la chute d’un gouvernement avec des Premiers ministres du CD&V conduirait à un grand succès électoral pour son propre parti.

De Croo a donc débranché la prise. Depuis lors, la direction politique de la Flandre ne relève plus du CD&V ou de l’Open VLD, mais de la N-VA. Dans le meilleur des cas, le CD&V joue le rôle d’adjoint depuis près de dix ans maintenant : les chrétiens-démocrates flamands sont les fournisseurs réguliers des vice-premiers ministres et des ministres qui s’opposent à la N-VA (Kris Peeters), ou qui se résignent à contrecoeur à la ligne adoptée par la N-VA (les ministres du CD&V au sein du gouvernement flamand).

En ce sens, l’obstacle majeur à un éventuel renouveau du CD&V est constitué par les innombrables tjeven qui sont, pour ainsi dire, formées à la clémence et à la soumission à la N-VA. Et bien sûr au président de la N-VA Bart De Wever, qui ne permettra pas au CD&V de reprendre le rôle que son parti s’est approprié : celui d’acteur central de la politique flamande.

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