"Nous aurons besoin de beaucoup, beaucoup, beaucoup d'argent", a dit Elio Di Rupo, le mardi 27 juillet, lors de la conférence de presse à laquelle Alexander De Croo participait, à Namur. © belga image

Comment la Région wallonne va encaisser financièrement le coût de la réparation-reconstruction

Nicolas De Decker
Nicolas De Decker Journaliste au Vif

La Région wallonne, dont les finances étaient déjà en mauvais état avant même la pandémie, va voir sa situation budgétaire encore empirer. La Belgique et, surtout, l’Europe devraient être appelées à l’aide.

N’en avoir jamais assez tout en en ayant toujours trop: les finances de la Région wallonne ne sont pas qu’un malheur de comptable, elles sont aussi un cauchemar pour logicien. « On sait déjà que ça ne suffira pas », avait dit le ministre-président Elio Di Rupo en annonçant les deux milliards d’euros prévus dans la première réponse wallonne, et, incontestablement, il avait raison. Il n’avait pas dit que ce qui était déjà insuffisant serait sans doute de trop plus tard, et il avait raison aussi: toute vérité n’est pas toujours bonne à dire, tant la dette régionale est vouée à de très hauts développements, et tant les finances wallonnes vont sortir d’un équilibre déjà incertain.

Pour la Région wallonne, dont la dette a doublé en six ans, cette catastrophe climatique est également une calamité financière.

Les comptes régionaux avaient déjà été gravement compromis par la crise sanitaire. Fin juin, la Cour des Comptes, dans son rapport sur le premier ajustement budgétaire wallon de l’année, le résumait implacablement: les recettes ayant augmenté beaucoup moins vite que les dépenses, l’endettement wallon ne pouvait qu’exploser: « La dette directe de la Région wallonne est passée de 7,9 milliards au 31 décembre 2015 à 17,4 milliards au 31 décembre 2020, soit une augmentation de + 120% au cours de cette période. Elle résulte principalement des déficits budgétaires récurrents de ces dernières années. Entre 2015 et 2020, la croissance des dépenses atteint 26,6% alors que celle des recettes est limitée à 4,4%. Au cours de la période 2020-2021, caractérisée par le contexte de la crise sanitaire, les dépenses afficheraient, selon les prévisions, une hausse de 13,6%, alors que les recettes n’évolueraient que de 7,6%. Les recettes seraient inférieures aux dépenses pour un montant de 4,6 milliards d’euros en 2021, à comparer à celui de 3,3 milliards d’euros en 2020 et de 0,6 milliard d’euros en 2015. Cet écart a pour conséquence une aggravation du déficit budgétaire et une augmentation corrélative de la dette directe« , établissait le rapport.

Territoire miné par la désindustrialisation, sans accès direct à la mer, politiquement enclavé entre des grandes puissances plus influentes et donc plus attractives, la Wallonie cumulait déjà les désavantages comparatifs. Ceux-ci devaient la pousser à faire beaucoup plus avec beaucoup moins. Elle ne peut manifestement faire qu’un peu moins avec moins, comme le montra sa réponse à la crise sanitaire: elle aura été à la fois moins généreuse pour les bénéficiaires et plus coûteuse pour ses finances qu’ailleurs, en particulier en Flandre.

Les dépenses vont exploser… les recettes pas

Les inondations qui la frappent vont, inévitablement, empirer cette situation. Cette catastrophe climatique inédite, et dont elle a été la seule victime belge, va encore accroître ses dépenses, réduire ses recettes, et, inévitablement, gonfler son endettement. Pour la Région wallonne, cette catastrophe climatique est également une calamité financière.

Des milliers de maisons ravagées à rebâtir, des centaines d’infrastructures abattues à redresser, des dizaines de milliers d’automobiles et des millions d’objets à remplacer: les milliards, publics et privés, qu’il va falloir investir dans l’économie de la reconstruction vont pourtant inévitablement profiter au PIB. Souvent, après une guerre s’envole la croissance. Mais les dépenses de reconstruction régionales auront surtout des effets positifs pour les autres. Ce qu’elle doit dépenser ne lui rapportera rien, quand bien même l’ensemble serait avantageux pour l’économie, et même pour d’autres pouvoirs publics.

La Wallonie devra elle-même reconstruire et rénover ses routes, ses ponts, ses trottoirs, ses stations d’épuration, ses barrages, ses digues ou ses tunnels, les compétences des travaux publics et de l’aménagement du territoire, comme les politiques de l’eau et de l’énergie, ayant été largement régionalisées. Le fédéral n’est aujourd’hui plus compétent que pour le ferroviaire, via Infrabel, et pour les bâtiments que possède encore sa Régie. Les sociétés privées à qui ces investissements vont profiter pourraient être wallonnes, mais c’est au budget fédéral qu’ira l’éventuel surplus d’impôt sur leurs bénéfices. Et, wallonnes, elles ne le seront même peut-être pas: le secteur de la construction belge, dont les plus gros acteurs sont flamands, s’était avant les intempéries déjà montré très circonspect sur ses capacité d’absorption des différents plans de relance annoncés par les pouvoirs publics.

Les citoyens qu’elle va aider, notamment via un Fonds des calamités régionalisé depuis la sixième réforme de l’Etat, souvent parmi les ménages les plus modestes, vont immédiatement consommer les aides apportées. Il n’est pas certain que les biens qu’ils acquerront alors seront de production wallonne. La TVA dont ils devront s’acquitter, sur leur nouvelle voiture ou leur habitat rénové, fût-elle réduite comme l’a déjà annoncé le Premier ministre, sera, elle aussi, allouée au budget fédéral. Le gros des ressources fiscales wallonnes provient de l’impôt des personnes physiques. Or, le revenu des Wallons, lui, ne devrait pas beaucoup augmenter avant quelques petites années, selon les projections les plus optimistes.

Combien de francs flamands pour les sinistrés wallons?

La Région wallonne devra donc compter, encore plus qu’avant, sur l’emprunt. Et sur la solidarité. Celle de ses concitoyens entre eux et celle des nombreux Flamands et Bruxellois venus se retrousser les manches à leurs côtés ces dernières semaines est inestimable, parce qu’elle est gratuite. Celle de l’Etat fédéral, elle, laisse pour le moment une impression mitigée aux édiles wallons, sachant qu’elle sera toujours trop faible pour les sinistrés wallons, et toujours trop lourde pour certains nationalistes flamands. « Nous sommes là pour aider au maximum« , a dit Alexander De Croo, le mardi 27 juillet, à Namur, aux côtés des ministres wallons. Mais, dans les couloirs namurois, beaucoup s’interrogent sur ce qu’aurait été ce soutien (21 millions d’euros pour les CPAS, l’activation du droit passerelle pour les indépendants, des bâtiments de la Régie mis à disposition, et la défiscalisation des dons au-delà de la limite actuelle des 500 000 euros) si les éléments s’étaient déchaînés plus au nord.

Si bien que c’est d’un autre quartier de Bruxelles que devrait venir l’aide la plus importante. La Wallonie espère notamment de la Commission européenne qu’elle sorte les dépenses liées aux inondations du périmètre de la dette régionale, comme elle l’a fait pour celles liées à la pandémie. Les inondations qui ont frappé certains Länder allemands pourraient aider Ursula von der Leyen à considérer favorablement ce genre de requêtes. Ainsi la Région wallonne, aujourd’hui, doit-elle au fond davantage compter sur l’Allemagne que sur la Belgique pour ne pas sombrer.

Encore un coup à mettre un logicien en colère.

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