Carte blanche

Combien d’étudiants étrangers croupissent dans les centres fermés belges ? (carte blanche)

Ces dernières semaines, plusieurs étudiants étrangers, disposant de visas tout à fait valides, ont été détenus dans des centres fermés belges. Les faits invraisemblables que ces affaires ont mis en lumière montrent que les droits démocratiques en Belgique sont régulièrement bafoués. Il faut impérativement et rapidement changer les règles et imposer un véritable contrôle des pratiques de l’Etat, selon le PTB et Amitié sans frontières.

Rafaël N. C., 27 ans, voyage de l’Angola vers le Portugal où une famille d’accueil l’attend pour qu’il puisse étudier. Il fait une escale de quelques heures à Zaventem. A sa descente d’avion, il est mis en isolement toute la journée et interrogé en néerlandais, sans traducteur. Puis, direction le centre fermé. A l’heure où nous écrivons ces lignes, il est toujours enfermé. Il devait passer son examen d’entrée à l’université de Porto section informatique, une opportunité désormais ratée. Mais plus grave encore est son état de santé : Rafaël est porteur d’un handicap. Sans soin et sans exercice physique, la souffrance devient intenable et des séquelles risquent de devenir irréversibles.

Junior M. W., étudiant de 20 ans à l’UCL en provenance du Congo, a quant à lui passé plus de deux semaines en centre fermé. Même schéma : à son arrivée à l’aéroport, la police des frontières l’isole et l’interroge sur des éléments de culture générale scientifique. Il subit trois tentatives d’expulsion auxquelles il décide de résister. Il est finalement libéré, grâce aux actions de sa famille qui vit ici en Belgique, à un large mouvement étudiant et à une pétition citoyenne de 18 000 signatures. A peine un mois plus tard, l’histoire se répète : même drame pour Yves Y. K., étudiant à l’UCL venant de la Côte d’Ivoir : deux semaines en centre fermé avant d’être libéré.

Ces affaires ne sont pas des cas isolés et les étudiants ne sont pas les seuls à être touchés. La presse vient de relayer d’autres cas tout aussi invraisemblables : celui d’Omar M., professeur sénégalais invité à un séminaire aux Pays-Bas ; celui de Ragini U. G., artiste népalaise de 62 ans mariée à un Belge ; celui d’une scientifique thaïlandaise, invitée pour un séjour d’une semaine sous l’égide de l’agence atomique ; celui de Fouad, bruxellois de 20 ans et porteur d’un handicap mental, mais expulsé seul vers la Turquie d’où il revenait de vacances avec sa maman, sans possibilité de retour depuis 3 mois.

Tous ces cas ont en commun des retraits de visas pourtant valables, avec détentions et tentatives d’expulsion forcée qui ont de graves conséquences sur la santé mentale et parfois physique. Une violence injustifiable. Que se passe-t-il donc au niveau des procédures ?

Les visas sont octroyés sur base d’une longue et coûteuse procédure auprès des ambassades, avec enquêtes et conditions strictes à remplir, notamment de solvabilité. Mais lorsqu’une personne entre sur le territoire, la police des frontières peut décider de mener un interrogatoire et juger qu’il y a un doute sur le motif du visa ou sur le respect des conditions.

Les témoignages montrent que ces interrogatoires sont menés à charge. Concernant Junior, la police écrit dans son rapport que « l’intéressé n’est pas en mesure de répondre à des questions basiques en lien avec la formation susmentionnée ». La police lui a demandé ce qu’avait inventé Dimitri Mendeleïev. Junior, qui connaît bien ce célèbre chimiste, n’a pas su donner d’emblée la réponse attendue, « le tableau de Mendeleïev », puisque celui-ci est en fait dénommé « le tableau périodique »… Les témoins relatent aussi avoir fait l’objet de remarques déplacées, voire discriminatoires. Pour Ouïam, étudiante en médecine dentaire, le policier lui a demandé : « j’ai une carie, y a-t-il moyen de s’arranger ? ». Il faut se rappeler que, suite à la mort de Jozef Chovanec et au salut nazi de la policière à l’aéroport de Charleroi, le comité P lui-même a épinglé « un problème de culture » au sein de la police des frontières…

Dans ces différentes affaires, la police a alors conseillé à l’Office des Etrangers de retirer le visa, de délivrer un « ordre de quitter le territoire » et de prendre une décision de détention. Et l’office, qui est seule compétente et qui sous la tutelle directe du Secrétaire d’Etat, a obtempéré, sans chercher à connaître la version des personnes concernées. Le visa ainsi retiré peut même être un visa délivré par un autre pays. C’est le cas pour Rafaël qui ne pourra jamais arriver au Portugal pour passer son examen d’entrée, de même que pour Ouïam dont les stages prévus sont désormais impossibles.

Les personnes sont ensuite mises en détention dans un centre fermé, sans qu’un juge ne soit saisi, et pour des délais qui sont remis à zéro à chaque nouvelle tentative d’expulsion ; ce qui permet de détenir une personne de façon quasiment illimitée. Pour faire accepter le retour, il y a un processus de pressions psychologiques et physiques qui peut durer de longs mois.

Lorsqu’un avocat souhaite intenter un recours, il est confronté à des délais extrêmement courts et à des procédures particulièrement complexes et hasardeuses. Un recours est à introduire auprès du Conseil du Contentieux des Étrangers. Il s’agit d’une juridiction administrative qui ne s’attache qu’au respect des procédures et donc à la légalité sur la forme. Elle ne se penche pas sur le bien fondé des dossiers. D’ailleurs les personnes ne sont même pas auditionnées. Rappelons-nous que dans le cas de Junior, finalement libéré, le Conseil du Contentieux a donné raison à l’Office des Étrangers. Et dans le cas d’Yves, qui a gagné son recours, l’Office a quand même décidé de poursuivre la procédure d’expulsion…

Un autre recours est à introduire devant la Chambre du Conseil. Ici aussi le pouvoir du juge est réduit à la seule question de la légalité, sans pouvoir se prononcer sur le fond. Lorsque la Chambre du Conseil décide que la détention est illégale, l’Etat peut aller en appel : la décision de libération n’est alors pas effective, ce qui veut dire que la procédure d’expulsion se poursuit quand même et rien n’empêche l’Etat d’expulser la personne avant même l’audience.

Malgré toutes ces affaires, le Secrétaire d’Etat Sammy Mahdi maintient sa ligne : « la loi c’est la loi » et on ne peut pas remettre en question « l’Etat de droit » ! Pourtant, de nombreuses interrogations s’imposent. Comment se fait-il qu’une décision aussi grave que la détention, a fortiori de longue durée, ne soit pas prise par un juge, mais par un agent de police ou une administration ? Qu’est-ce qui est mis en place pour que les victimes puissent réellement se défendre ? Comment est contrôlé le bien fondé de l’interrogatoire mené par la police et des décisions de l’Office ? Comment se fait-il qu’il ne soit pas prévu d’interprète ? Pourquoi les décisions de libération et les recours ne sont-ils pas effectifs ? Pourquoi les juridictions n’examinent-elles pas le fond du dossier et n’entendent-elles pas les personnes ? Pourquoi l’Office s’obstine-t-il à poursuivre les procédures dans des cas où il sait qu’il a tort ? Pourquoi la loi ne prévoit aucun dédommagement pour le préjudice subi lorsqu’il est attesté que les détentions étaient non justifiées ? Et plus fondamentalement : est-ce que ces mesures sont justifiables et proportionnelles ? Une remise en question profonde de ce système est nécessaire.

En annonçant à plusieurs reprises sa volonté de construire de nouveaux centres fermés, le gouvernement montre qu’il entend bien poursuivre cette politique. Nous avons la conviction que, dans le cadre du droit administratif dont fait partie la question du séjour, un système basé sur la détention et l’expulsion forcée ne se justifie aucunement. Nous constatons tous les jours qu’il mène inévitablement à des violations des droits humains. Nous rappelons que depuis des années, la société civile propose suffisamment d’alternatives crédibles en la matière. Cette politique doit cesser !

Greet Daems et Nabil Boukili, députés PTB

Loïc Fraiture et Riet Dhont, Amitié Sans Frontières

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