Olivier Mouton

Combien de temps…

Olivier Mouton Journaliste

Devra-t-on accepter de se poser toutes ces questions au lendemain d’un drame abject?

Combien de temps devra-t-on encore accepter que des élus français nous traitent de « naïfs » ou que d’autres, du Likoud israélien, nous demandent avec ironie de « combattre la terreur plutôt que de manger du chocolat » (sic)?

Combien de temps devra-t-on éponger nos émotions dans la douleur, au rythme des minutes de silence sur des places parsemées de bougies et de fleurs?

Combien de temps acceptera-t-on sans broncher que l’on annule un match de football de l’équipe nationale ou que l’on confine nos enfants dans les écoles?

Combien de temps regardera-t-on jusqu’à l’écoeurement des images indicibles, en boucle, en jouant par moments le jeu de terroristes devenus de sombres héros de l’amer?

Combien de temps devra-t-on encore entendre des experts décliner à l’infini les raisons complexes de ce radicalisme qui nous attaque?

Combien de temps verra-t-on défiler les noms des villes européennes tour à tour tachées de sang, souillées de haine?

Combien de temps entendra-t-on des populistes cracher au visage du dessein européen en mentant à ceux qui les croient?

Combien de temps restera-t-on immobiles, comme résignés, face à cette ignominie que l’on devrait accepter au quotidien?

Combien de temps baisserons-nous les bras pour céder, insidieusement, aux menaces venues d’ailleurs en changeant nos modes de vie?

Combien de temps verrons-nous des leaders d’opinion regretter que les musulmans modérés ne dénoncent pas assez des actes commis au nom d’un Dieu trahi?

Combien de temps entendrons-nous l’union nationale s’exprimer politiquement du bout des lèvres au lendemain de ces actes ignobles, avant de voler rapidement en éclats?

Combien de temps resterons-nous là à écouter ces mots: « niveau 4 », « menaces d’attentats », « alertes à la bombe »?

Combien de temps regretterons-nous que nos écoles ne préparent pas assez des citoyens ou peinent à donner du sens au savoir?

Combien de temps serons-nous les otages d’enjeux géopolitiques qui nous dépassent en Syrie, en Irak, en Libye ou en Turquie?

Combien de temps restera-t-on sans réagir, sans descendre des millions dans la rue de toute l’Europe pour clamer un « no pasaran » libérateur?

Combien de temps verra-t-on des larmes perler sur des visages défaits ou, pire encore, des traits se serrer dans une rage contenue?

Combien de temps devra-t-on encore lire des témoignages aussi forts que ce « Je.Ne.Suis.Pas.Morte! » sur ce site ou des lettres de regrets adressées à nos enfants?

Combien de temps devra-t-on se plonger dans un « Indignez-vous! » pour traduire notre dégoût du monde tel qu’on le construit, trop souvent?

Combien de temps restera-t-on coincé dans des embouteillages à entendre des nouvelles qui nous plongent dans des abîmes de perplexité?

Combien de temps écouterons-nous d’une oreille distraite ou hyper-attentive des litanies de noms, d’enquêtes, d’appels à témoins, avec la course à la primeur?

Combien de temps devra-t-on imaginer que le désespoir est dû à un modèle où la notoriété bling-bling est inaccessible à certains « paumés »?

Combien de temps verra-t-on des trajectoires fauchées et des espoirs anéantis en raison de manipulateurs sans foi ni loi?

Combien de temps criera-t-on aux étoiles les noms de victimes de Londres, Paris, Ankara, Bamako, Bombay, Madrid ou aujourd’hui notre Bruxelles?

Combien de temps refusera-t-on par pudeur de dire que c’est une guerre pour défendre la démocratie, ce modèle certes imparfait, mais qui défend nos libertés?

Combien de temps devra-t-on se laisser entraîner dans un voyeurisme malsain?

Combien de temps devra-t-on dire à nos enfants que c’était mieux avant ou qu’ils devront se battre pour tout: réduire la dette, enrayer le chômage, combattre le terrorisme et sauver la planète?

Combien de temps nos messages d’un monde meilleur seront-ils balayés par les cyniques rêvant de domination et de richesse, au Proche-Orient ou ailleurs?

Combien de temps cèderons-nous au court-termisme sans avoir toujours le cran de prendre les problèmes à bras-le-corps?

Combien de temps devrons-nous vivre dans des pays unis dans l’épreuve, pas toujours dans le combat ?

Combien de temps serons-nous contraint d’appréhender cette réalité incompréhensible, même en cherchant à comprendre, de personnes se faisant exploser, oui, exploser ?

Combien de temps serons-nous les spectateurs incertains de ce que certains appellent un « choc des civilisations », d’autres un « conflit idéologique »?

Combien de temps passera-t-on sans offrir des promesses de lendemain suffisamment fortes que pour faire barrage à ce nihilisme abject?

Combien de temps ne ferons-nous pas vraiment front commun, en retrouvant cette union confiante qui a fait notre force?

Combien de temps devra-t-on mettre nos drapeaux en berne trois jours sous un ciel de plomb?

La guerre que nous poursuivons sera longue encore. Dans le tapis des fleurs et des bougies bruxelloises, tant de rages et de questions. Mais une certitude: nous devons rester debout, nous lever et marcher en criant !

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