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Collections fédérales : la stratégie de la N-VA dévoilée

Olivier Rogeau
Olivier Rogeau Journaliste au Vif

La N-VA veut faire aboutir la grande réforme des institutions scientifiques fédérales début 2017, juste avant la fin des mandats de leurs directeurs. Le patrimoine national menacé ?

« Une nette rupture avec le passé », avait prévenu Elke Sleurs dans sa note de politique générale, présentée fin 2014. La secrétaire d’Etat N-VA à la Politique scientifique persiste et signe. Ses intentions ont été confirmées et précisées, et le gouvernement Michel fait toujours référence à son texte. La première étape de la réforme est le démantèlement total de Belspo à l’horizon 2018. Il se concrétise déjà : l’administration de la Politique scientifique perdra dès cette année la gestion de la participation belge aux programmes de l’Agence spatiale européenne. L’équipe Belspo est, en outre, déstabilisée par les départs en cascade de cadres dirigeants et d’experts. Elle est aussi fragilisée par l’incertitude qui pèse sur la réorientation et la responsabilité de la gestion future des programmes de recherche en Belgique et à l’échelle internationale.

La seconde étape est la restructuration complète des établissements scientifiques fédéraux (ESF). Elle est prévue, d’après nos sources, au début de l’année prochaine. La N-VA tient à profiter de la longue période en cours sans élection – sauf chute du gouvernement et scrutin anticipé – pour mettre en place le nouveau système. Les prochaines élections, communales, auront lieu en octobre 2018, suivies, en 2019, par les fédérales et les européennes. Les campagnes électorales étant peu propices aux grandes réformes, le projet doit aboutir dès 2017, selon l’agenda des nationalistes flamands. L’idée serait de le mettre en route deux ou trois mois avant avril 2017, date du terme des mandats des directeurs généraux des institutions concernées.

Nouveaux directeurs, nouvelles structures

Proches de l’âge de la retraite, Guido Gryseels (Musée de Tervuren) et Patrick Lefèvre (Bibliothèque royale) ne devraient pas rempiler, le mandat de directeur étant de six ans. Pour les DG nommés en 2005, rien n’oblige le pouvoir fédéral à renouveler – pour la seconde fois – leur mandat. Sont directement concernés le francophone Michel Draguet (Beaux-Arts), la Française Camille Pisani (Sciences naturelles) et les Flamands Karel Velle (Archives de l’Etat) et Ronald Van der Linden (Observatoire). Les autres directeurs généraux, arrivés plus récemment (en 2011 et 2015), ont été nommés ad interim et peuvent donc être aisément remplacés eux aussi. Le printemps 2017 sera dès lors le moment clé pour un profond renouvellement des structures des institutions scientifiques fédérales et des hommes qui les ont dirigées.

Discuté à plusieurs reprises en réunions inter-cabinets, le projet d’Elke Sleurs et de son ministre de tutelle, le N-VA Johan Van Overtveldt (Finances), a été recalé à au moins trois reprises depuis décembre dernier. Ce document de quelque 60 pages n’a donc pas encore reçu le feu vert du Conseil des ministres. Certains partis de la majorité considèrent que le texte n’est pas tout à fait mûr. En clair, il suscite des réticences au CD&V et au MR, qui ont renvoyé le document à ses auteurs en réclamant retouches et amendements. « Certains, au sein des institutions scientifiques fédérales, estiment que le cabinet Sleurs est composé de  »bricoleurs », glisse le patron d’un de ces établissements. Certes, le chef de cabinet de la secrétaire d’Etat été remplacé à plusieurs reprises et tout indique que la N-VA tire les ficelles de la réforme. Mais l’équipe Sleurs s’est étoffée ces derniers mois. J’ai la certitude que le projet poursuit son chemin et finira par atterrir, à l’instar du plan stratégique du ministre N-VA de la Défense. »

Ne dites plus « pôles », mais « clusters »

Le plan Sleurs prévoit de créer trois nouvelles entités, autonomes par rapport à l’Etat. La première est une agence spatiale « interfédérale ». Ce nouvel organisme est jugé par beaucoup inutile et coûteux. Il inquiète surtout les industriels du secteur, qui travaillent directement avec l’Agence spatiale européenne (ESA). Les deux autres entités, nommées « clusters », sont des structures faîtières appelées à regrouper les dix établissements scientifiques et culturels fédéraux.

L’une de ces coupoles serait dirigée par un francophone (un MR ?), l’autre par un Flamand (N-VA, Open-VLD, CD&V ?). Ces « clusters » auront le statut de sociétés anonymes de droit public à finalité sociale, sur le modèle de Bozar, haut lieu culturel bruxellois. Ils seront dotés d’un conseil d’administration, qui négociera un contrat de gestion spécifique avec l’Etat. Dans ce CA siégeront, outre le gouvernement fédéral, des représentants des milieux scientifiques, des entreprises et des entités fédérées. Les Régions et Communautés seront donc associées aux organes de gestion d’institutions fédérales. Elke Sleurs a même évoqué la perspective, sous la prochaine législature, d’une cogestion directe de ces établissements par les entités fédérées.

Un « mammouth » pour les ESF à patrimoine

Le cabinet Sleurs souhaite que le premier « cluster » réunisse les trois établissements scientifiques du plateau d’Uccle, appelés « ESF météo » : l’Observatoire royal, l’Institut royal météorologique (IRM) et l’Institut d’aéronomie spatiale. Ce regroupement forme un ensemble cohérent, appelé sans doute à se rapprocher, à terme, de la future Agence spatiale interfédérale. Le second cluster rassemblerait, selon le voeu de la secrétaire d’Etat, les autres institutions scientifiques et culturelles, nommées « ESF à patrimoine » : les Musées des Beaux-Arts, les Musées d’Art et Histoire (Cinquantenaire, Musée des instruments de musique…), l’Institut du patrimoine artistique (Irpa), la Bibliothèque royale, les Archives de l’Etat, le Museum des Sciences naturelles et le Musée de l’Afrique centrale à Tervuren. Objectif du regroupement : créer des synergies (tickets communs…) et faire des économies d’échelle par la mise en commun des départements ressources humaines, finances, informatique. Mais bon nombre de responsables de ces institutions jugent inappropriée la constitution de ce véritable « mammouth ».

Rien ne filtre des ultimes tractations entre partis. Sauf que, d’après certaines indiscrétions toutes récentes, on s’orienterait finalement vers deux « clusters » chapeautant chacune cinq institutions. Le Museum des Sciences naturelles et le Musée de Tervuren seraient rattachés aux trois ESF du plateau d’Uccle ; les cinq autres (Beaux-Arts, Cinquantenaire, Irpa, Bibliothèque royale, Archives de l’Etat) formeraient ensemble le second « cluster ». Que la majorité opte pour la formule « 3 + 7 » ou «  »5 + 5 », la réforme aura une tout autre dimension que celle imaginée naguère par Philippe Mettens, ex-patron de Belspo évincé par Elke Sleurs, et Michel Draguet, directeur des Musées des Beaux-Arts, lui-même cible de critiques flamandes. Mettens et Draguet plaidaient pour la création de « pôles » : un Pôle Art issu de la fusion des établissements du Mont-des-Arts et du site du Cinquantenaire, avec une direction unique confiée à Draguet ; un Pôle Espace sur le plateau d’Uccle (IRM, Observatoire, Aéronomie spatiale), piloté par Ronald Van der Linden ; un Pôle Nature, un Pôle Documentation.

Cagnotte gelée jusqu’en 2019

Le concept de « pôle », trop associé à l’époque où Philippe Mettens et le PS avaient la main sur les instituts scientifiques fédéraux, laisse donc la place à celui de « cluster ». Sur un budget global de plus de 500 millions d’euros affecté à la Politique scientifique fédérale, environ 125 millions sont affectés aux dix ISF. C’est ce dernier montant qu’auront à gérer les deux clusters. Car la coalition au pouvoir n’entend pas refinancer les musées et autres institutions scientifiques. Elle n’a pas remis en cause les mesures d’austérité drastiques imposées à ces établissements depuis l’époque du gouvernement Di Rupo : budgets de fonctionnement et d’investissement réduit de 20 %, budget de personnel diminué de 4 %. « Résultat, déplore un directeur, les départs à la retraite ne sont quasiment plus remplacés, des expositions passent à la trappe, le budget communication a fondu comme neige au soleil et la cagnotte que nous parvenions à constituer au fil des ans, et qui servait à financier des projets de modernisation, est gelée jusqu’en 2019, au nom des économies budgétaires. Cagnotte qui n’est plus alimentée, à force de racler les fonds de tiroirs. »

Surtout, la réforme, sous couvert de rendre les établissements autonomes, conduit à une forme de déresponsabilisation de l’Etat. Les sociétés anonymes créées auront la maîtrise du projet, du personnel et des collections des institutions. Jusqu’ici, le ministre de tutelle était juridiquement responsable de ces entités. Une fois les SA créées, c’est elles qui disposent de la personnalité juridique. « Il n’y a plus de recrutement statutaire et le personnel engagé reçoit un nouveau type de contrat, indique un responsable d’un des établissements visés. De même, chaque institution remet en dépôt ses collections à la société anonyme, gestionnaire autonome, à charge pour celle-ci de les gérer en bon père de famille. » Quant aux oeuvres acquises ultérieurement en vue de développer l’institution, elles n’entreront pas dans le patrimoine de l’Etat, mais dans celui de la société anonyme. Voilà qui rappelle le statut de la Fondation Roi Baudouin : en cas d’achats, de dons et legs orchestrés par la fondation dans le cadre de sa politique de dépôt, il n’y a pas de transfert en propriété à l’Etat de l’héritage culturel national quelle sauvegarde.

Une régionalisation des collections ?

« C’est précisément là où est le danger, épingle l’un des directeur actuels. Si un musée acquiert ou reçoit par donation un Magritte, ce tableau ne fera pas partie du patrimoine national. » L’implication des Régions et Communautés dans la gestion des institutions fédérales désargentées pose aussi question. Les entités fédérées leur lanceront-elles des bouées de sauvetage en échange d’une forme d’allégeance ? Les représentants des Régions pourraient exiger que des oeuvres des musées fédéraux servent désormais à valoriser le rayonnement régional. Un cas de figure parmi d’autres cités par notre source : « Si la société anonyme estime que les Rubens des collections fédérales seront mieux présentés à Anvers qu’à Bruxelles, il n’y aura pas d’obstacle à la mise en dépôt de ces tableaux au Musée des Beaux-Arts d’Anvers. Vingt ou trente ans plus tard, on considérera que ces oeuvres y ont toujours été. »

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