Philippe Van Parijs

Citoyens, dessinons ensemble un état fédéral qui fonctionne

Philippe Van Parijs Philosophe et économiste

L’économiste et philosophe Philippe Van Parijs invite les citoyens des trois régions du pays à imaginer une réforme profonde de la Belgique.

Réformer en profondeur le fonctionnement de notre état fédéral est indispensable. Faire d’un engagement à s’y atteler une condition de la participation au prochain gouvernement est légitime. Mais faire du contenu de cette réforme un élément de l’accord de gouvernement ne peut que conduire à un compromis bricolé qui aggrave les problèmes au lieu de les résoudre. Pour contribuer à créer les bases d’une réforme féconde, je suggère à chaque citoyen(ne) belge motivé(e) de procéder comme suit.

  • Profitez d’un moment tranquille pour écrire posément sur une feuille A4 toutes les formules de scission du pays. Scission en deux, trois ou quatre morceaux, rattachement ou non d’une région à un pays voisin partageant sa langue, élargissement ou non de Bruxelles-Capitale.
  • Eliminez de votre liste les formules qui ne vous semblent pas servir suffisamment les intérêts des trois régions du pays pour pouvoir espérer se réaliser un jour sur un mode « évolutionnaire », c’est-à-dire en recueillant une super-majorité dans les deux chambres du parlement fédéral.
  • Réintroduisez dans votre liste, le cas échéant, la ou les formules qui vous semblent servir tellement les intérêts d’une des régions pour que son gouvernement ose un jour prendre le risque de tenter de la réaliser sur un mode « révolutionnaire », c’est-à-dire par la méthode « catalane » d’un referendum unilatéral.
  • Pour vous aider à réfléchir aux implications de ces diverses formules, j’ai préparé un petit syllabus : le premier chapitre de mon livre Belgium. Une utopie pour notre temps (version française disponible à l’Académie royale de Belgique, version néerlandaise désormais téléchargeable gratuitement). N’hésitez pas à l’exploiter.
  • Plus utile encore, essentiel même : réfléchissez collectivement aux implications de chacune des formules, en veillant à inclure dans votre groupe des citoyens belges situés des deux côtés de la frontière linguistique.
  • Au terme de cet exercice, il y a alors fort à parier que toutes les formules de votre liste auront été barrées. NB : Il y a parfois une grande distance entre ce qu’affirment les statuts d’une formation politique et ce à quoi la lucidité force ses dirigeants à se résigner.
  • Une fois cette conclusion suffisamment établie, le vrai travail peut commencer. Sachant qu’il demeurera un état membre de l’Union européenne appelé Belgique, comment pouvons-nous le faire mieux fonctionner, dans l’intérêt de chacune de ses trois régions ? Faut-il tenter de l’imaginer et de l’organiser comme une confédération de deux nations monolingues ? Y a-t-il d’autres voies plus prometteuses ? Sans doute. Mais pour les préciser et leur donner toutes leurs chances, il importe qu’elle soient pensées, discutées et défendues conjointement par des citoyen(ne)s belges des trois régions.
  • Que le blocage actuel débouche ou non sur de nouvelles élections, place donc aux initiatives conjointes de ce type. Et bienvenue, en guise d’illustration, au prochain débat organisé par Re-Bel. Après le confédéralisme binational défendu par Sander Loones (N-VA), ce sera à la circonscription fédérale défendue par Alexander Croo (Open VLD) et Jean-Marc Nollet (Ecolo) d’être soumise à une discussion critique. Comme idée et comme type d’initiative, ce n’est là qu’un exemple parmi bien d’autres de ce dont nous avons aujourd’hui besoin. A vous de jouer.

Certes, une vision concrète d’un avenir désirable et réalisable n’offre pas une solution-miracle à des négociations bloquées. Mais elle est susceptible de transformer le paysage mental de toute négociation future, et il y en aura beaucoup : l’histoire du fédéralisme belge ne fait que commencer. Pour que cette histoire ne tourne pas à la tragédie, des citoyen(ne)s ordinaires comme vous et moi ont plus et mieux à faire que de critiquer les politiques de l’un ou l’autre camp. Mais ils ne pourront le faire efficacement que s’ils se donnent d’emblée la peine de traverser la frontière linguistique.

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