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Cinq leçons pour les enseignants

Rik Torfs
Rik Torfs Professeur en droit canon (KuLeuven)

Celui qui ne croit plus dans le corps enseignant abandonne la jeunesse à son sort. Rik Torks appelle les enseignants à trouver plus de fierté dans leur travail. « Un véritable enseignant est toujours un peu un artiste. »

Il y a de nombreuses années, probablement vers 1970, j’ai vu une émission télévisée où l’on conseillait aux parents de ne pas exiger l’impossible de leurs enfants. Ainsi, un enseignant ne peut pas demander, espérer ou attendre que son enfant aille aussi loin que lui, et devienne aussi enseignant. Je n’ai jamais retrouvé ces images, mais j’y pense souvent. Depuis, le métier d’enseignant a perdu de son prestige.

Pourtant, celui qui ne croit plus dans le corps enseignant abandonne la jeunesse à son sort et la trouve moins importante que son plaisir immédiat.

Comment l’enseignant peut-il survivre à notre époque? Comment il ou elle, car ce sont souvent des femmes, peut-il exercer le métier d’enseignant avec fierté professionnelle et satisfaction personnelle ? Un plan en cinq points.

1. Connaissez votre matière et aimez-la

C’est la clé de tout. Celui qui se sent comme un poisson dans l’eau dans la matière qu’il enseigne donne mieux cours. C’est justement parce que ces connaissances paraissent si naturelles, qu’elles passent parfois au second plan. La formation pédagogique prend trop de place dans la formation d’enseignant aux dépens des connaissances. Pourquoi maîtriser les subtilités du métier si c’est pour enseigner une matière que vous ne maîtrisez que modérément ?

Le mot de « préparation de cours » est également interprété de manière trop étroite. Un enseignant peut évidemment, le soir à la lumière artificielle, préparer un cours jusque dans les moindres détails. Il dure exactement 48 minutes, après un quart d’heure il y a une blague et la présentation powerpoint est en ordre. Inconvénient majeur : il n’y a pratiquement pas de place pour l’improvisation ou le débat.

Quoi qu’il en soit, la meilleure préparation c’est la vie elle-même. Celui qui aime sa matière s’en occupe en permanence, y compris quand il est dans la salle de sport ou en train de surfer sur des sites internet bizarres.

Bref, la première leçon pour les enseignants c’est : la vraie connaissance de votre matière est la meilleure préparation. Et elle est la clé de votre confiance en vous dans une société qui n’apprécie plus automatiquement les instituteurs et enseignants. C’est le point de départ d’un comportement légèrement subversif que je souhaite à chaque enseignant.

2. Ne suivez pas règles

Pour les enseignants qui le font, donner cours est pratiquement impossible. Un charabia d’objectifs finaux, d’obligations administratives, des tâches éducatives qui reviennent aux parents, de tristes carnets à remplir : ils entravent tout ce pour lequel le véritable enseignant est bon et pourquoi il a opté pour sa matière : le plaisir d’enseigner. Je sais que c’est plus facilement dit que fait, mais un enseignant devrait refuser d’accomplir des tâches absurdes ou de répondre à des exigences absurdes. Et bien pour cette raison : un véritable enseignant est toujours un peu artiste et pas simplement un fonctionnaire. À un fonctionnaire, on peut demander un rapportage un peu strict de ses activités. Quand a eu lieu le précédent contrôle de l’extincteur ? Vous le lisez sur l’appareil. Quand les toilettes de l’aéroport ont-elles été nettoyées la dernière fois ? Un papier paraphé sur la porte vous l’apprend.

Que les enseignants doivent remplir toutes leurs activités, prouve deux choses. Premièrement que pour leurs patrons ils ne sont pas fiables, sinon cette paperasserie serait superflue. Ensuite, et plus fondamentalement, qu’ils sont considérés comme les exécuteurs d’une tâche et pas comme des esprits créatifs. Des fonctionnaires, pas des artistes.

Les patrons se fâchent-ils contre vous ? Peut-être. Mais votre meilleure protection, c’est la qualité de vos cours.

3. Les élèves ne vont pas loin, ou pas assez, avec rien que leurs connaissances techniques.

Chacun est d’accord là-dessus. Les études ne sont qu’un début, la formation permanente est considérée comme évidente. En même temps, on entend tout le temps des plaidoyers pour l’instauration de matières spécifiques qui ciblent justement les détails, qui incarnent donc la pensée contraire. Une matière de sécurité sociale, premiers secours, alphabétisation financière : d’après certains il faudrait enseigner tout cela en secondaire. Ces matières ne sont pas inutiles, mais ce sont des dérivés, des applications, elles ne ciblent pas les connaissances générales larges ou le sens critique. Alors que l’école doit former les jeunes à devenir des personnes résilientes capables de gérer une déception et qui ne s’arrêtent pas trop longtemps à leurs propres succès.

La pensée critique ne s’atteint pas en imposant, de manière à peine cachée, une idéologie aux élèves. Un cours de citoyenneté comporte un piège. Les jeunes doivent apprendre à réfléchir de manière critique, aussi. Cela inclut déjà une contradiction cachée. L’obligation de réfléchir de manière critique fait un objectif de ce qui devrait être une attitude.

Un conseil aux enseignants: n’imposez pas ces idées aux élèves, certainement si vous les soutenez politiquement. Les jeunes comprennent vite la manipulation idéologique et vont vite penser le contraire. Osez choquer et surprendre. Laissez les élèves débattre de sujets sociétaux sensibles tels que la migration et l’égalité et incitez-la à prendre une position qui n’est pas la leur. Parfois aussi une position limite qui entraînera plus d’empathie pour les autres. Bref, le contraire d’une vision étroite, maîtrisable et rassurante du global citizenship, mais un regard sur le monde comme il est vraiment, complexe et ambigu, y compris dans la rue de chacun.

4. Stimulez de nouvelles compétences, mais n’oubliez pas les anciennes

Ces dernières années, les dirigeants font tout pour convaincre les jeunes d’opter pour des études scientifiques, technologiques, d’ingénieur ou de mathématiques. L’avenir. Les mathématiques et les sciences. Il est vrai qu’on peut développer une belle carrière professionnelle avec ces matières. Cependant, il est faux que ces connaissances mathématiques exigent une approche et une évaluation mécanique de la matière. Qu’elles créent un homo mathematicus. Ce n’est pas parce quelqu’un a suivi une formation mathématique que sa vie doit prendre des dimensions mathématiques. Parler et écrire convenablement est important pour un mathématicien aussi. Obtenir un diplôme après avoir fait uniquement des examens à choix multiple n’est pas digne d’une formation générale.

Un enseignant intelligent ne se laisse pas aveugler par le changement, mais s’arrête aussi à ce qui demeure inchangé. Ce n’est pas simple : on nous rebat tellement les oreilles d’histoires sur « la société de connaissances qui évolue à une rapidité fulgurante », que nous commençons à croire que les connaissances que nous acquérions le matin sont dépassées le soir.

Cependant, tout ne change pas. Il faut avoir à l’oeil ce qui reste constant, dans certains cas même intemporel. À cela s’ajoute le besoin humain de continuer à communiquer, plus, plus souvent, plus intensément qu’il ne le parait nécessaire depuis un point de vue purement pratique. L’e-commerce et les magasins de quartier font fureur au même moment. Ce qui semble contradictoire, est au fond simplement humain.

5. Stimulez l’inégalité entre les élèves

Je ne veux pas dire par là que les barrières sociales soient acceptables ou qu’il faut laisser tomber l’égalité des chances. Au contraire, que ce soit particulièrement clair, à ce niveau nous ne pouvons absolument pas faire de concessions.

Cependant, il y a aussi une version crispée de l’égalité des chances qui se transforme lentement en égalité de fond. Et qui fait primer l’idéologie sur l’importance de l’élève individuel.

Reconnaissez simplement que les gens ont d’autres talents, l’un n’est pas meilleur que l’autre, mais ils diffèrent les uns des autres. Ne les aplanissez pas. La différence entre les gens est la clé de leur succès personnel, mais aussi de progrès sociétal. Stimulez donc les jeunes à déployer leurs talents qui leur permettront de se différencier des autres. Ne leur rognez pas les ailes en instaurant l’uniformité.

L’inégalité est une donnée. Et le moteur de toute dynamique. Chérissez-la, après vous aurez encore plus qu’assez de temps et d’espace pour redistribuer, le sujet de tous les débats de société, qu’il s’agisse d’égalité, de justice, de climat, de diversité ou d’égalité des chances. Fondamentalement, il s’agit toujours de redistribution, mais celle-ci n’est possible que par la grâce de l’inégalité, de talents inégaux, qui comme on l’exprime de manière parfois simple « font la différence ».

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