Thierry Fiorilli

C’est beau comme au comptoir dei miracoli (chronique)

Thierry Fiorilli Journaliste

« Va beh! E la ricotta aussi, piace tanto à mon frère ». Un endroit où ce qu’on entend fait aimer les gens. Par les temps qui grondent, è un miracolo.

C’est un de ces endroits où ce qu’on entend fait voyager. Jusque dans le temps. Des comme ça, il y en a plein vers Manage, Binche, La Louvière, Morlanwelz… Juste avant aussi, quand c’est encore officiellement le Brabant wallon mais qu’en vrai, c’est déjà le Hainaut. Le ciel a beau pleurer, le froid gercer, dès qu’on y entre, c’est soleil sur tous les rayons. On est rue Reine Astrid, ou rue de la Déportation, mais c’est un alimentari d’une ville provinciale italienne. Il y a du frais et des conserves, il pane et des huiles, des cannoli et des carciofi, des trucs amers et d’autres trop sucrés, un Carmelo qui sert, une Rosella qui prend les appels, un Giuseppe qui donne les ordres, une Franca qui apporte un ravier de burrata, un Domenico qui passe la coppa à la trancheuse.

Tout le monde a son masque, on dit « sto virus, il finira jamais, Dio mio », c’est fin 2021, mais les conversations renvoient à des étés d’enfance, dans la cuisine où Nonna préparait les melanzane en énumérant le reste du menu (les polpete, la pasta in brodo, la ciambella), et en annonçant que Zia avait portato l’uva et le susine. Une dame arrive, on lui lance « Ciao Angelina! », elle répond « buona sera a tutti! L’avete la Simmenthal? » On l’a mais seulement version piquante. « Va beh! E la ricotta aussi, piace tanto à mon frère. » Un monsieur lit le faire-part collé sur la vitre du comptoir, devant les salaisons. C’est une Maria qui est morte, et dans la longue liste de membres de la famille qui ont la profonde douleur, mais sa gentillesse, son humanité et sa douceur continueront de rayonner, il y a des noms qui respirent clairement le sud mariés à des noms qui indiquent résolument le nord.

A droite, à hauteur des fromages, ça parle foot. « Hai visto la Squadra? Il iront pas, hein, à la Coupe du monde. Provolone, ancora o bene comme ça? » « Mah, c’est leur faute. Hanno giocato male. Mets encore un peu, e il Taleggio anche. » Une jeunette demande quelle charcuterie pour une raclette, la patronne, la mère des lieux on parie, recommande « il kroudo, cé jiambonn ici, coupé très finé, c’est très légié, très bonn pour la raclètté », la fille vérifie sur son téléphone les proportions qu’elle a notées, ce sera donc « 250 grammes de crudo ». Un gars, pour qui on remplit un grand casier de légumes, de fruits, de pâtes et de vin, regarde des sachets en promotion, près de la caisse. « C’est quoi ça? Biscotti per il tiramisu? » « No, son’ foglie per pasticceria, comme en Sardaigne, è la preparazione, pour faire le gâteau. » « Dammi uno, pour ma femme. » « Pour ta femme? Cazzo, tu veux un emballage cadeau aussi!? »

Ça rigole, mais ça trime. Ils sont six, à s’activer tout en discutant. Des pas très vieux aux plus du tout jeunes. Le reste de la tribu doit être là-bas, da i cugini, à charger le camion des produits à ramener. Ou à trier sur le grand filet les olives, queste quà pour le pressoir, quelle lì pour les bocaux. C’est de la vraie Belgique et de la vraie Italie. L’une dans l’autre.

Un endroit où ce qu’on entend fait aimer les gens. Par les temps qui grondent, è un miracolo.

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