Depuis 2012, Decathlon développe son propre webshop. Sans menacer pour autant la rentabilité de ses quarante magasins. © FRED GUERDIN/REPORTERS

Ces enseignes qui misent sur les magasins

Mélanie Geelkens
Mélanie Geelkens Journaliste, responsable éditoriale du Vif.be

Le magasin est mort, vive le magasin ! Il y a les enseignes qui ne jurent que par lui. Celles qui pensaient pouvoir s’en passer mais qui se mettent désormais à en ouvrir. Et celles qui se diversifient en ligne, mais qui continuent à miser sur leur historique point de vente physique.

On ne sait jamais, qu’un pauvre aurait une connexion Internet. Et qu’il lui prendrait la folle idée de consacrer ses maigres revenus à l’achat en ligne d’un sac à 1 500 euros pour aller faire ses courses chez un hardiscounter. Non non non, pas de ça chez Chanel. Pour préserver le prestige de sa marque, la maison de haute couture – contrairement à d’autres – refuse de s’abaisser à ouvrir un webshop. Une exclusivité toute relative, qui ne s’applique pas aux parfums et autres cosmétiques accessibles, eux, via une e-boutique. Mais pour le prêt-à-porter, no way.

Ironiquement, cette stratégie commerciale est partagée… par plusieurs enseignes low cost. Ce qui se vend chez Aldi, Primark ou Action ne s’achète qu’en magasin. Comme chez Chanel. Pas pour faire chic. Mais parce que leur modèle économique est basé sur l’achat compulsif, peu compatible avec la vente online, où les clients se montrent plus réfléchis. C’est l’histoire typique du gars qui va acheter des chaussettes chez Primark et qui ressort avec une casquette, un sac de sport, des bougies, des rouleaux de papier cadeau, et un ticket de caisse de 50 euros alors qu’il n’avait prévu que d’en dépenser 5.

Chez Action, par exemple, 1 500 références sur les 6 000 proposées par ces bazars des temps modernes coûtent moins d’un euro. Bonne chance pour les écouler en ligne en gagnant un peu d’argent.  » Un webshop rentable avec des produits à trois euros, c’est quand même compliqué. Qui voudrait payer trois euros de frais de port pour dix euros d’achat ?  » questionne (rhétoriquement) Benoît Lefebvre, managing director pour la Wallonie et Bruxelles de Flying Tiger, une enseigne danoise qui propose aussi bien des gourdes que des bouchons d’oreilles, et qui investit les centres-villes et les grosses galeries commerçantes.  » Effectivement, ces lieux attirent moins de monde. Mais, avec un bon concept, ça fonctionne toujours, car il y a des flux naturels, des étudiants, des travailleurs qui doivent occuper leur temps de midi…  »

La chaîne s’est répandue comme une épidémie de grippe. 280 points de vente il y a cinq ans, près de 1 000 aujourd’hui, dans 29 pays (et 24 en Belgique). Sans doute encore quatre ou cinq ouvertures prévues chez nous. Primark et Action non plus ne semblent pas vraiment tabler sur la fin du magasin. En France, le second en a ouvert plus de 400 ces six dernières années. Et toujours pas de site de vente.

« On vent plus que des produits »

Flying Tiger, en revanche, commence à s’interroger. Depuis le 1er janvier, au Danemark, un site de vente est en phase de test.  » Rien ne dit qu’on va le développer et, si c’est le cas, ce sera davantage pour une raison de présence que par volonté d’augmenter le chiffre d’affaires « , nuance Benoît Lefebvre. L’un des recherches les plus fréquentes sur Google est  » Flying Tiger webshop « …  » Dans nos rayons, il y a des gens qui dansent, qui chantent… On considère qu’on vend plus que des produits. Notre principale difficulté est de reproduire cette expérience en ligne.  »

Chez Alterego, c’est tout l’inverse. En 2006, les fondateurs de ce site Web belge de vente de meubles design pensaient qu’ils n’auraient jamais besoin d’une présence physique. Trois ans plus tard, ils inauguraient leur premier showroom à Liège, puis à Bruxelles, et désormais à Namur, Gand et Paris. Leur objectif est d’en ouvrir sept en Belgique, et de poursuivre le développement dans le nord de la France.  » Nous avons adopté une stratégie omnicanal à la demande de nos clients, explique Xavier Leballue, administrateur délégué. Un tabouret, on peut le trouver joli sur écran, mais on a besoin de le toucher, le voir, le tester.  »

La livraison, première source d’insatisfaction chez les e-clients.

Et puis l’e-commerce pur se heurtait à la question de la livraison. La première source d’insatisfaction des e-clients. Expédier un meuble coûte entre 10 et 12 % de sa valeur. Difficile à offrir… et à payer. Les points de vente font donc aussi office de points de retrait et de service après-vente.  » Plus personne n’a peur de ne pas être livré. Savoir qu’il y a un magasin à maximum trente minutes de chez soi peut être décisif.  » Même pour ceux qui n’y mettront jamais les pieds. Savoir que de vrais vendeurs sont là, pas loin, ça rassure. Et ça incite à acheter. L’expérience a montré que le chiffre d’affaires dans les zones autour des showrooms a tendance à augmenter.  » Ça nous permet également d’atteindre de nouveaux clients, comme les PME et les professions libérales pour l’aménagement de leurs bureaux.  »

Chez Flying Tiger, dans les rayons,
Chez Flying Tiger, dans les rayons, « il y a des gens qui dansent, qui chantent… Notre principale difficulté est de reproduire cette expérience en ligne. »© JEFF GREENBERG/GETTY IMAGES

Les pure players débarquent

Xavier Leballue dégaine son téléphone pour faire la démonstration d’une application de réalité augmentée. Une table basse virtuelle se retrouve sur l’écran en train de filmer le décor réel du bureau.  » Les nouvelles technologies, comme celles-ci, devraient faire passer le marché européen du meuble à 35 % de ventes en ligne, contre 15 aujourd’hui. Et 1 % quand nous avons commencé ! Mais nous ne prévoyons pas du tout que le magasin va disparaître.  » Pas plus qu’Amazon, Zalando ou le vendeur de chaussures Spartoo, qui se mettent, eux aussi, à ouvrir des points de vente.

Les  » anciens « , les commerçants traditionnels, se sentent encore davantage menacés par ces pure players qui grappillent leurs centres commerciaux. Alors eux-mêmes tentent de riposter en s’imposant en ligne. Comme Decathlon qui, depuis 2012, développe son propre webshop. Sans tirer une balle dans le pied de ses quarante points de vente.  » Etre complémentaire sans devenir concurrent, résume Nicolas Deltenre, responsable du digital. Notre but est d’amener les clients en magasin vers le site, et ceux du site vers le magasin. Ce qui est important, c’est de faire du commerce, n’importe où.  »

Le système  » click&collect « , où le panier est constitué en ligne puis retiré en boutique, amène la clientèle à effectuer d’autres dépenses sur place. Si un produit n’est plus disponible en rayons, il pourra être commandé sur le Web, via les smartphones dont sont désormais équipés chaque vendeur. Les primes des managers récompensent les bons chiffres d’affaires en et hors ligne. Le digital progresse  » plus que la moyenne belge, qui est de 20 % « . Mais des ouvertures physiques restent prévues. Comme les récents 6 000 mètres carrés inaugurés à Charleroi, avec terrain de sport sur le toit, salle d’escalade à l’extérieur, etc.  » On offre une expérience.  » Le foot ou la grimpette virtuelle, c’est quand même moins marrant.

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