Carte blanche

« Ce qui a été possible avec le christianisme pourrait, peut-être, l’être avec l’islam mais le chemin sera extrêmement difficile » (carte blanche)

L’Eglise catholique a pu évoluer et devenir compatible avec la laïcité, estime Guy Schmitz, professeur à l’Ecole polytechnique de l’ULB. Qui s’interroge : cette évolution sera-t-elle également possible avec l’islam ?

François Desmet a publié un article très intéressant dans la rubrique « Opinion » du 25 octobre. Il écrit notamment « Le meilleur moyen de défendre la laïcité, est de ne pas la laisser [sa défense] une seconde aux extrémistes, et de rappeler qu’elle est la condition du vivre-ensemble et la meilleure protection de toutes les convictions. » Et plus loin :  » ainsi, quand Zemmour explique que l’islam est une religion, une civilisation et aussi un code juridique, pénal comme civil, et qu’il déduit de cette assertion – vraie – que l’islam serait insoluble dans la République, il oublie de rappeler que toutes les religions, en vérité, constituent des codes de comportement sanctionnés par des textes sacrés … Pourquoi ce qui a été possible avec le christianisme ne le serait pas avec l’islam ? » Pour répondre à cette question, il faut commencer par quelques rappels historiques.

Le christianisme tel que créé par Jésus-Christ n’est pas un code juridique. Aux environs des années 30, Jésus prêche une nouvelle religion en Galilée et en Palestine faite d’amour et d’espérance. Il s’adresse aux pauvres et aux malheureux et est en opposition avec le pouvoir politique local de l’époque. Un jour où il rentre à Jérusalem avec quelques disciples, il est arrêté, jugé et exécuté. Son message continue cependant à se répandre dans l’empire romain et finit par déranger les autorités de Rome. Les chrétiens sont persécutés et assassinés. Cette opposition entre le christianisme et le pouvoir politique ne cessera qu’en 312 lorsque l’empereur Constantin se convertit au Christianisme et le reconnait comme religion officielle. Ce n’est qu’à ce moment qu’apparait l’Eglise catholique qui lie pouvoirs politiques et religieux. Il faut éviter soigneusement la confusion fréquente entre christianisme et catholicisme.

L’empire romain étant devenu instable, Constantin fonde en 330 une nouvelle capitale à l’endroit de la cité grecque de Byzance et lui donne son nom, Constantinople. L’Empire romain est partagé en deux parties en 395 : l’Empire romain d’Occident et l’Empire romain d’Orient. Celui-ci couvre toute la partie est de la Méditerranée de la Grèce à l’Egypte. Les pouvoirs religieux vont également se séparer et la religion dominante dans cette partie du monde devient la religion chrétienne orthodoxe.

L’histoire de l’islam est très différente. Mahomet prêche une nouvelle religion à partir d’environ 610 à La Mecque. Il y est très mal vu par les autorités et il est contraint de se réfugier à Médine en 622. C’est l’Hégire, le début du calendrier de l’islam. A Médine, Mahomet monte des expéditions contre les caravanes commerciales de mecquois, s’enrichit et ses disciples deviennent de plus en plus nombreux. Lorsqu’il se sent assez puissant, il part à l’assaut de La Mecque et conquière la ville militairement. Ses successeurs vont attaquer l’Empire romain d’Orient, le grignoter progressivement et les populations chrétiennes locales vont être converties à l’islam. L’étape décisive se produira en 1453 avec la prise de Constantinople par les musulmans.

Contrairement au christianisme d’avant Constantin, l’islam a toujours mélangé politique et religion. Mahomet a utilisé sa religion au service de son pouvoir politique et son pouvoir politique au service de sa religion. Le Coran est aussi un code juridique, ce que les Evangiles ne sont pas. Il en résulte que les régimes musulmans supportent mal les autres religions. Les coptes, chrétiens orthodoxes d’Égypte, sont considérés comme des citoyens de seconde zone. Ils ont pourtant raison, d’un point de vue historique, de dire qu’ils sont les seuls vrais Égyptiens. Ils sont descendants des chrétiens de l’Empire romain d’Orient.

Ces rappels historiques donnent des éléments de réponse à la question initiale, « pourquoi ce qui a été possible avec le Christianisme ne le serait pas avec l’islam ? ». L’Eglise catholique qui avait mélangé politique et religion a pu évoluer et devenir compatible avec la laïcité et le vivre ensemble en revenant à ses fondements, le message de Jésus-Christ et les évangiles. Jésus avait dit lors de son procès à Jérusalem « Mon royaume n’est pas de ce monde ». Les fondements de l’islam sont totalement différents. La vie de Mahomet et le coran lient intimement politique et religion. Le seul état musulman et laïc fut la Turquie après la création de la république par Atatürk mais cela change avec Erdogan. Beaucoup de pays musulmans sont des théocraties et ceux qui ne le sont pas peuvent difficilement être qualifiés de laïcs. Nous avons vu le cas de l’Egypte et le roi du Maroc est simultanément Commandeur des croyants.

Néanmoins, des intellectuels musulmans ont tenté de montrer que l’islam est compatible avec la laïcité. Un exemple célèbre est l’égyptien Ali Abderrazik. Théologien à la prestigieuse université Al-Azhar au Caire, il a publié en 1925 un livre fondateur de la pensée séculière « L’islam et les fondements du pouvoir ». Il y démolissait point par point l’idée que les musulmans ne sauraient être gouvernés par des états laïcs. Cette oeuvre audacieuse lui a valu des vagues de dénigrements et de réfutations. Le Conseil des grands oulémas d’Al Azhar a engagé une procédure judiciaire contre lui avec un acte d’accusation accablant. D’autres intellectuels musulmans ont également défendu cette thèse mais ils sont peu nombreux et leurs voix sont vite étouffées.

Ce qui a été possible avec le christianisme pourrait, peut-être, l’être avec l’islam mais le chemin sera très long et extrêmement difficile car impliquant de faire accepter une réinterprétation des fondements de l’islam.

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