Claude Demelenne

Carton rouge pour Emir Kir

Claude Demelenne essayiste, auteur de plusieurs ouvrages sur la gauche

Un socialiste peut-il copiner avec des maires turcs d’extrême droite ? Bien sûr que non. Emir Kir, député-bourgmestre de Saint-Josse, mérite un carton rouge, car c’est un récidiviste.

C’est la première crise interne sous l’ère Magnette. C’est aussi le baptême du feu pour Ahmed Laaouej, le nouveau président du PS bruxellois. Les socialistes peuvent-ils sortir par le haut de la lamentable « affaire Kir » ? Ce ne sera pas simple. La commission de vigilance du PS examine le dossier. Il n’est pas bon pour Emir Kir.

Emir Kir, un récidiviste

Le député-bourgmestre de Saint-Josse est un récidiviste. Le 4 décembre dernier, il a reçu une délégation de maires turcs, dont deux font partie d’un parti d’extrême droite. Kir n’en est pas à son coup d’essai. En été 2018 déjà, lors d’un de ses fréquents voyages en Turquie, il avait copiné avec un autre maire d’extrême droite. Le même Kir n’a pas toujours été très net sur la question du génocide arménien. Ni sur la répression des Kurdes par l’armée turque.

La dérive autocratique du président turc Erdogan ne semble guère troubler Emir Kir. Pas davantage les geôles qui débordent d’opposants, d’intellectuels, de journalistes. Beaucoup de ses électeurs belgo-turcs soutiennent Erdogan, donc Kir regarde ailleurs. La Turquie en délicatesse avec les droits de l’Homme ? Circulez, il n’y a rien à voir. Par conviction ou par électoralisme, Kir se garde de dénoncer celui qui déclara, en 1997 : « Les mosquées sont nos casernes, les coupoles nos casques, les minarets nos baïonnettes, les croyants nos soldats ».

Des méthodes dignes du vieux PS

Le contraste est saisissant entre le Kir, mielleux, policé, complaisant, quand il évoque les dirigeants turcs, et le Kir ombrageux vindicatif, cogneur quand il s’adresse aux dirigeants belges. En mai 2019, interviewé par la chaîne TV Al Arabiya, Emir Kir a comparé l’action du gouvernement belge dans le cadre de la mise en place du Plan Canal – pour lutter contre le terrorisme – à « une autre période sombre de notre histoire européenne où les Allemands avaient commencé à faire du fichage pour connaître l’identité des Juifs avant de les envoyer dans les camps de la mort ». Un amalgame au goût douteux.

Emir Kir est un homme politique autoritaire, voire brutal. A Saint-Josse, fort de sa majorité absolue, il méprise l’opposition – essentiellement écologiste – qui tente vaille que vaille de résister au bulldozer Kir. Celui-ci gouverne « à l’ancienne », gérant ses petites affaires de façon hyper clientéliste. L’administration communale engage à tour de bras ses partisans, vouant un culte absolu au chef. Kir, c’est le vieux PS, des méthodes dignes des pires errements du parti à Charleroi, au début des années 2000.

Champion de la victimisation

Sur ses terres, rares sont ceux qui osent le contredire. La combative cheffe de file écolo, Zoé Genot, s’est fait traiter de raciste, un comble pour cette militante historique du droit des réfugiés et des étrangers . « Votre projet, c’est un message teinté de xénophobie, c’est dire ‘débarrassons nous du métèque, de l’étranger’ « , lui a lancé Emir Kir. Lorsqu’il est en difficulté, le bourgmestre de Saint-Josse a une arme imparable : il accuse son interlocuteur d’être « raciste » ou « turcophobe ». Il est le champion de la victimisation, l’une de ses armes favorites.

L’attitude d’Emir Kir à l’égard des travailleuses du sexe (TDS) du quartier Nord est également révélatrice. Il veut les jeter à la rue pour concrétiser divers projets immobiliers. Pour les discréditer, il les accuse de « manquer de dignité ». Il refuse tout dialogue avec les associations de terrain qu’il accuse de « rouler pour les proxénètes ». Emir Kir ne recule devant aucune fake news.

Un bidonville au coeur de la capitale

Emir Kir a laissé le quartier des petites rues derrière la gare du Nord se transformer en véritable bidonville, terrain de chasse de toutes les petites mafias : dealers, trafiquants, marchands de sommeil… Le bourgmestre joue la carte du délabrement et rachète, souvent à des propriétaires turcs – à des prix surévalués – des immeubles avec vitrine de prostitution qu’il s’empresse de murer. Pour bien signifier sa volonté de « chasser les putes » de sa commune, il ouvre… une crèche en plein quartier de prostitution. Chez Kir, la fin justifie toujours les moyens.

Un parti dans le parti

Emir Kir constitue un cas d’école. Parce qu’il est une machine à voix – plus de 18.000, en région bruxelloise, lors du dernier scrutin – il se pense intouchable. Homme-sandwich d’une grande partie de la communauté belgo-turque, il estime n’avoir de comptes à rendre à personne, et surtout pas à la direction de son parti. Le PS de Kir, c’est un parti dans le parti, avec ses fréquentations douteuses (le copinage avec l’extrême droite turque), ses obsessions (il surjoue à Calimero), ses méthodes (il écrase ceux qui critiquent sa politique.

Le député-bourgmestre de Saint-Josse a sans doute trop tiré sur la corde. Au sein de l’appareil socialiste, ses soutiens se raréfient. Emir Kir est en train de devenir un repoussoir, y compris pour l’électorat de gauche. Le doute s’installe, dans les hautes sphères du PS : et si, au bout du compte, Kir faisait perdre des voix au parti ? La commission de vigilance décidera-t-elle son exclusion ? Peu suspects de sympathie pour l’homme fort de Saint-Josse, Paul Magnette et Ahmed Laaouej savent que le PS est au pied du mur : sa cohérence et ses valeurs sont en jeu.

Le PS en sortira grandi

Rappelé à l’ordre à plusieurs reprises par le passé pour son comportement anti-socialiste, Emir Kir mérite un carton rouge. Ce sera dur – son matelas de voix reste impressionnant – mais le PS sortira grandi de l’épreuve. Et gagnant dans l’opinion qui appréciera que les socialistes mettent leurs actes en accord avec leur discours.

Claude Demelenne, essayiste, auteur de plusieurs ouvrages sur la gauche

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