© Anthony Dehez

Capter les évidences, le portrait de Vanina Ickx, multiple championne

Pilote automobile, d’avion et ancienne cavalière, Vanina Ickx a déjà une longue carrière derrière elle. Multiple championne, elle est aussi la première en Belgique à avoir attiré l’attention sur ces femmes qui se mesurent aux hommes.

Pour commencer, balayons le premier cliché, non, ce n’est pas son papa qui lui a appris à conduire. Ensuite, enchaînons directement sur le second, Jacky n’a jamais poussé sa fille à se lancer dans la course automobile. Enfin, et pour terminer, Vanina n’a pas été biberonnée à la Formule 1, encore moins aux victoires de son père, car quand il revenait avec un trophée à la maison, pas de flonflons, il le rangeait directement dans l’armoire du salon. Les victoires n’étaient même pas un sujet de conversation.

D’ailleurs, Vanina a 10 ans seulement lorsque son père, « monsieur Le Mans » dit aussi « le maître de la pluie », range définitivement le casque au placard. Pas d’acte fondateur ou d’espérance paternelle de voir ses filles reprendre le flambeau, seulement un beau souvenir pour Vanina lorsque Jacky Ickx emmenait ses deux filles en bivouac dans le désert du Niger et qu’il les plaçait l’une après l’autre derrière le volant. Une enfance « tout ce qu’il y a de plus normal », mis à part, parfois, l’un ou l’autre reportage quand son père faisait du rallye-raid en Afrique, et que ses filles suivaient derrière le petit écran.

L’apprentissage de la conduite? C’est le chauffeur du grand-père qui s’y est collé pour Vanina. A l’époque, elle a 17 ans et déjà dix ans de compétition – en ce compris en équipe nationale – dans les lattes: le poney est son coéquipier, le saut d’obstacle leur spécialité. Son univers de petite fille, ce sont le cheval, les poupées, les Barbie. Son objectif de vie: ressembler à sa maman.

Son plus gros risque : Faire un enfant. Même si c’est l’essence de la vie, c’est une responsabilité vertigineuse. Et aussi adopter Khadidja: on se demande toujours si on sera à la hauteur. »

Compétitrice dans l’âme, Vanina considère qu’une bonne note à l’école, c’est le maximum des points, pas la moyenne. Elle se met la pression toute seule et déchantera lorsqu’arrivent les grèves de l’enseignement. C’était l’époque de la fameuse réforme qui poussait profs et élèves à crier dans la rue « Laurette, si tu savais, ta réforme où on se la met ». Pas question de perdre une année pour autant, Vanina suit les cours et la méthode de Rudy Bogaerts. Elle réussit haut la main son jury et gagne une année au passage. A 17 ans, adieu le cheval « après avoir dormi cheval, mangé cheval et rêvé cheval » et lui avoir tout sacrifié pendant dix ans. S’ouvre alors l’époque « ma voiture, ma liberté ».

Bienvenue à l’université. Et là, pour la première fois et contre toute attente, les choses se passent vraiment mal. Un raté à l’allumage à Solvay, un crash en médecine et une sortie de route à Louvain, après trois ans passés à se chercher et tout autant à être mal conseillée, Vanina a perdu la flamme. L’arrêt du sport, la malbouffe et l’angoisse de ne pas trouver sa voie participent à une spirale infernale. Vanina déprime. Seule la vitesse en voiture compense un peu. Assise dans son jardin cet après-midi, elle ne semble pas prête d’avouer jusqu’à quelle vitesse elle roulait, juste un « très, très vite » appuyé d’un regard complice. Les courses sur circuit, elle n’en a jamais fait, juste une fois, une course amateur sur un karting à l’initiative d’une boîte d’événements. Rien de plus, rien de moins. Vanina ajoute d’ailleurs: « Toute ma vie n’est qu’une suite de hasards, de rencontres et de coïncidences. » Question études, elle finit par entreprendre la biologie dans une école supérieure: le bon choix. L’avenir s’éclaircit.

Au bon moment, au bon endroit

Premier tournant, en 1996, à la salle de sport. Vanina court sur son tapis lorsqu’elle croise Isabelle Van de Velde, une coureuse automobile qui vient de terminer sa saison Peugeot et s’apprête à en commencer une autre chez BMW. Sauf qu’elle est enceinte. Isabelle lui lance alors: « Et si tu me remplaçais? » Un quart de seconde plus tard, Vanina – elle confie être un esprit rationnel qui pèse et sous-pèse la moindre de ses paroles et plus encore le moindre de ses choix -, réplique du tac au tac: « Pourquoi pas? » Son mantra.

« Etre au bon moment au bon endroit, c’est l’histoire de ma vie, si j’avais voulu faire de la course plus tôt, je suis certaine que j’aurais passé mon temps à monter des dossiers ou à chercher des sponsors, cela n’aurait pas marché. En revanche, la course est sans doute l’une des seules choses pour lesquelles je n’ai jamais douté, c‘était une évidence« . Elle ne demande d’ailleurs pas conseil à son père mais l’informe: « Je vais faire ma première course. » Lui tombe de son fauteuil et reste sceptique, mais il l’inscrit à un stage de conduite de deux jours pour que sa fille ait une notion « des trajectoires » et sache gérer les « tête-à-queue ».

Son mantra: Pourquoi pas? »

Pour la première course, son copilote s’appelle Stéphane De Groodt, le comédien et humoriste, et le duo s’amuse beaucoup. « Déjà là, il faisait rire tout le monde. » Vanina termine « bonne dernière » mais l’important, c’était de participer. Au-delà du plaisir, Vanina découvre aussi sur ce circuit la personnalité de son père. Tous les cinq mètres, un quidam l’arrête pour lui demander des nouvelles de Jacky et lui rappeler ses victoires. Ce qu’elle retient et qui l’impressionne encore aujourd’hui, c’est « son panache et l’éthique qu’il avait autant dans l’adversité que dans la victoire ».

Au bout de la saison, le duo Vanina Ickx-Stéphane De Groodt termine troisième. La même année 1996, Vanina court les 24 heures de Spa-Francorchamps, elle termine deuxième de sa classe de voitures et c’est là « que tout s’enchaîne ». Ce jour-là, son père se rend compte que la passion de sa fille n’est pas une tocade et que les choses sérieuses commencent vraiment. Vanina a 21 ans, elle a trouvé sa voie au grand désespoir de sa maman qui, après s’être inquiétée pendant des années pour son mari – rappelons qu’à cette époque, les autos et les circuits étaient moins sécurisés et les décès tristement courants -, se retrouve à nouveau à angoisser, pour sa fille cette fois. La fan numéro un de Vanina, sa soeur Larissa, artiste-peintre, qui l’accompagne, lui porte son casque et sa combinaison.

Peu de femmes au départ

« Fille de » et l’une des rares femmes sur les circuits, elle se voit interrogée sur la faible présence féminine dans le secteur de la course automobile. « Entre mes débuts et aujourd’hui, elle reste globalement la même, en général aux 24 heures du Mans, elles sont entre trois et six sur 165 pilotes et, à mon époque deux sur vingt en DTM (NDLR: voitures de tourisme). Néanmoins, il existe désormais une série uniquement réservées aux femmes en Allemagne où, dit-on, « la lutte fait rage ». » Question ambiance, Vanina explique que « tant que les femmes sont à l’arrière dans les courses, elles sont les chouchous, quand elles passent devant, elles deviennent des cibles. C’est le milieu de la compétition qui veut ça. L’avantage, c’est qu’un chrono ne ment jamais. Maintenant, si les femmes sont moins nombreuses, c’est sans doute parce que les voitures et les sports automobiles les intéressent beaucoup moins, moins de femmes au départ, moins de femmes au sommet. »

Capter les évidences, le portrait de Vanina Ickx, multiple championne
© Anthony Dehez

Trois ans plus tard, Vanina a terminé ses études et se trouve face au choix de se spécialiser en biologie et de « vivre au rythme des cellules toute sa vie » ou faire de la course son vrai métier. « Là aussi, une évidence! » répond-elle. D’autant que les six mois de recherche pour son mémoire n’avaient pas été concluants, tandis que de l’autre côté, les propositions et les projets s’enchaînent avec tant de facilité. On dit souvent que lorsqu’on est sur la bonne route, les planètes s’alignent. Et pour Vanina, ce fut une constellation. Spa-Francorchamps, Le Mans, les plus beaux championnats, elle les a tous à son palmarès. Sa spécialité à elle, c’est l’endurance.

En 2006, Vanina se lance dans la compétition DTM, une épreuve physique et mentale à une époque où managers, préparateurs, coachs ou nutritionnistes étaient plutôt rares. « En DTM, il fallait une mentalité de guerrière et moi je courais avec le coeur, pour la beauté du sport et non pour écraser l’autre. C’était très difficile physiquement, mais plus encore mentalement, car je n’arrivais pas à performer en sprint. Moins je performais, plus je me renfermais et plus mon moral baissait. » Pourtant, c’est cette année-là que son père lui dit pour la première fois à quel point il est fier d’elle mais c’est trop tard, Vanina s’use à petit feu. 2008, retour donc à l’endurance, une résurrection avant de quitter définitivement la compétition en juin 2011. Sur un coup d’éclat, au Mans justement, septième en Lola Aston Martin, consciente qu’elle ne pouvait pas aller plus loin et que la boucle était bouclée.

Sa plus grosse claque: Une sortie de route alors que mon père m’avait fait le cadeau de participer à Francorchamps, je voulais absolument rattraper les minutes que nous avions perdues suite à un problème technique. On aurait pu terminer quatrième. Je m’en veux toujours. »

Nouveau tournant, six mois plus tard, au Nouvel An, elle rencontre Benjamin de Broqueville, un journaliste féru d’aviation. Pour Vanina, « une évidence », là aussi. Ado, leur fils, arrive rapidement. Vanina entreprend alors une licence en management pour réorienter sa vie, ce qu’elle fera en 2017 avec son mari en se lançant dans le projet un peu fou d’offrir une nouvelle vie à l’aérodrome de Namur et ce, avec Olivier de Spoelberch, un partenaire passionné. C’est durant cette période que Vanina passe sa licence de pilote, « sans doute la chose la plus impressionnante que j’ai dû faire, bien plus qu’un record de 350 km/h sur circuit où l’on garde toujours un certain contrôle sur les choses ; dans le ciel en revanche, qu’est-ce qu’on fait quand le moteur explose? Ce lâcher-prise m’a beaucoup coûté« , confie-t-elle encore.

La même année, une petite Khadidja arrive dans la vie du couple alors famille d’accueil et aujourd’hui en pleine procédure d’adoption. Vanina – dont le prénom est un hommage à la fameuse chanson de Dave – s’est retirée du projet d’aérodrome et attend son prochain « tournant ». Là aussi, n’en doutons pas, sa prochaine « évidence ».

Ses 5 dates clés

  • 1985: « Mon premier voyage dans le désert, une ouverture sur le monde et sur la réalité de ces enfants qui n’ont rien et qui, malgré tout, sourient tout le temps. »
  • 1996: « Mes débuts en sport automobile au volant d’une BMW Compact Cup que je partage avec Stéphane De Groodt. »
  • 2000: « Mon premier vélo Eddy Merckx, il m’aide à professionnaliser mon approche du sport et mon hygiène de vie. Mon premier Paris-Dakar avec mon papa. »
  • 2011: « Ma dernière et plus belle participation aux 24 heures du Mans, sur une Lola Aston Martin. Avec Bas Leinders et Maxime Martin, nous terminons septième. »
  • 2013: « Mon métier de maman commence avec la naissance d’Ado suivie de l’arrivée de Khadidja en 2018. »

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