Carte blanche

Candidats du MR, dites « STOP » à la démagogie

Celui qui est appelé aux responsabilités a le devoir d’expliquer les dangers auxquels nous faisons collectivement face. Il a l’obligation de ne pas travestir les faits, d’avoir le courage de la vérité. Celui qui travestit le discours de peur de déplaire à son électorat est indigne de diriger.

Il est donc urgent pour notre démocratie que le MR sorte de la démagogie.

En effet, ce 8 mai, le MR a divulgué une vidéo dans laquelle il instrumentalise un boucher et un agriculteur pour leur faire dire qu’ils s’opposent à une « taxation de la viande par Ecolo« [1]. Les journalistes ont immédiatement vérifié cette allégation. Elle est mensongère : le fait est qu’Ecolo n’a pas inscrit cette mesure dans son programme. Cette manière de manipuler l’électeur est donc non seulement dangereuse pour le débat public, mais aussi indigne d’un parti démocratique qui se revendique des philosophies libérales.

Mais le problème est encore plus profond. Car que prétend révéler cette mauvaise vidéo de propagande, en instrumentalisant l’idée d’une taxation de la viande ? Qu’il existerait une sorte de clivage entre les défenseurs d’une agriculture dite « moderne » et prétendument respectueuse de la « souveraineté » du consommateur, incarnée par le MR, et les fanatiques d’une agriculture punitive pour les agriculteurs et les consommateurs, incarnée par Ecolo.

Cette caricature est grotesque et masque mal un déni de réalité. L’irresponsabilité du MR est d’omettre d’expliquer à ses électeurs la vérité du diagnostic scientifique sur le système agro-alimentaire industriel, qui ne devrait pas faire l’objet d’un débat politicien : la dégradation catastrophique du climat, de la biodiversité et des sols, l’épidémie d’obésité causée par l’excès de viande, de graisse, de sucre et de sel dans notre alimentation, son coût insupportable pour le budget de la santé publique, la détérioration constante des conditions de vie et de travail dans l’agriculture, et la responsabilité écrasante et scientifiquement avérée de ce modèle agro-alimentaire industriel et de notre régime alimentaire dans l’émergence de ces problèmes[2]. Sur ce point, silence radio du MR. Circulez, il n’y a rien à voir.

Nous appelons les responsables du MR à bannir d’urgence de leur parti la démagogie et le nihilisme.

Le MR ment donc à son électorat, qui n’est peut-être pas assez au courant de ce diagnostic scientifique, lorsqu’il omet de l’évoquer. Car que propose le MR pour répondre à cette situation dramatique, si ce n’est le parfait statu quo ? le MR ne formule rien d’autre que le voeu pieux d’un technologisme vert qui est la réponse favorite de nos élites dirigeantes aux problèmes environnementaux depuis que Rachel Carson a évoqué en 1962 dans son livre Silence Spring les dégâts causés à notre environnement par le recours massif aux pesticides. C’était en 1962 et aujourd’hui, en 2019, soit 57 ans plus tard, les scientifiques à l’origine du dernier panel de l’IPBES[3] nous disent que la sixième extinction massive du vivant est en cours, et notre modèle agricole y contribue fortement.

Quand la science n’autorise plus le business as usual, quand notre modèle d’agriculture et d’alimentation doit changer, défendre le statu quo n’est-il pas criminel, voire nihiliste ?

Ceux qui bafouent le principe de réalité en refusant ce diagnostic scientifique constituent une menace inacceptable pour notre démocratie, ils détruisent le sens des mots et la possibilité même d’un débat éclairé.

Est-il possible d’imaginer que les candidats du MR n’ont pas lu le dernier rapport du GIEC et de l’IPBES ? Il est certes plus facile d’instrumentaliser une prétendue taxe sur la viande – qui voudrait d’une nouvelle taxe ? Même un Ecolo n’en veut pas – que de débattre d’une nouvelle vision du système agro-alimentaire à la hauteur de l’enjeu. On laisse ainsi aux écologistes la tâche ingrate de repousser les lignes du débat public, d’oser proposer des alternatives, de prendre le risque de se tromper et de heurter les intérêts électoraux et industriels établis. Une fois des marges d’action politiques dégagées, il est ensuite aisé pour les autres partis de récupérer le débat à leur profit, après avoir soigneusement éviter de se mouiller. Il faut espérer que les électeurs finiront par voir clair dans ce petit manège.

Le défi est gigantesque et nous avons peu de temps pour changer. Certes la Belgique ne peut sauver le monde. Mais devons prendre notre part de responsabilité. Mettre en oeuvre toutes les mesures nécessaires pour expérimenter et déployer de nouvelles pratiques agricoles, de nouveaux modes de transformation et de consommation alimentaires. Il s’agit ni plus ni moins de ne pas détruire notre capital naturel, sans lequel aucune économie ne peut subsister et prospérer.

Pour cela, nous avons besoin d’un partenariat renforcé avec l’ensemble des parties prenantes : les agriculteurs, les distributeurs, les consommateurs et les pouvoirs publics. Aucun changement ne sera possible sans un partenariat renforcé et la confiance entre toutes les parties prenantes. En particulier, le changement ne se fera pas sans, ni contre les agriculteurs, que du contraire.

Nos futurs dirigeants politiques portent la lourde responsabilité de conduire ce changement. Nous appelons donc les responsables du MR, si le principe de réalité et la vérité scientifique ont le moindre sens pour eux, à bannir d’urgence de leur parti la démagogie et le nihilisme. Nous les appelons à ne pas saborder le débat public sur ce sujet ô combien crucial pour notre avenir à tous : l’émergence d’une démocratie qui prend au sérieux la menace existentielle que fait peser sur elle la destruction irréversible du capital naturel.

Thibault de la Motte et Cédric Chevalier, membres du Comité Déclarons l’état d’urgence environnemental et social

[1] Voir la vidéo sur : https://www.rtbf.be/info/belgique/detail_le-mr-accuse-ecolo-de-vouloir-taxer-la-viande-que-disent-les-programmes?id=10214617

[2] A ce sujet, lire le rapport de la Commission Lancet, The global syndemic of obesity, Undernutrition, and climate change, 23 février 2019. Disponible sur : https://www.ncbi.nlm.nih.gov/pubmed/30700377

[3] Intergovernmental science-policy Platform on Biodiversity and Ecosystem Services. L’IPBES est le pendant du GIEC en matière de biodiversité. Lire les conclusions du rapport dans cet article paru dans « Le Soir » en Ligne du 06 mai 2019 : https://plus.lesoir.be/222479/article/2019-05-06/biodiversite-dernier-rappel-avant-liquidation?referer=%2Farchives%2Frecherche%3Fdatefilter%3Dlastyear%26sort%3Ddate%2520desc%26word%3DIPBES

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