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« bpost ne fait que suivre la tendance du ‘tout-au-colis' »

Laurence Van Ruymbeke
Laurence Van Ruymbeke Journaliste au Vif

Réduire le nombre de tournées est justifié, estime Jean Vandewattyne, chargé de cours et psychosociologue des organisations à l’UMons. La raréfaction des facteurs et factrices illustre toutefois la disparition progressive d’un métier qui était auparavant lié à la présence de l’Etat dans la vie quotidienne de la population.

Vous avez coordonné un ouvrage consacré aux facteurs en Europe (1). bpost vient d’annoncer que les tournées pour le courrier non prioritaire ne seraient plus assurées que deux fois par semaine. Etait-ce inévitable ?

L’activité postale est confrontée à des changements importants et rapides. bpost est obligée de s’adapter à la réalité et d’essayer d’anticiper les évolutions à venir, non pour tenter de rattraper un train qui aurait déjà quitté la gare – comme c’est souvent le cas – mais pour être en avance. Rester dans une logique de tournées quotidiennes alors que le volume de courrier diminue drastiquement et que le nombre de boîtes aux lettres toujours vides est important n’a pas de sens. bpost doit s’efforcer de trouver des méthodologies plus adaptées à la réalité commerciale et technologique actuelle. Plus fondamentalement, il faut se demander ce qu’on veut faire de cette entreprise : doit-elle être réfléchie en fonction de critères de rentabilité comme dans le secteur privé ou considère-t-on qu’elle constitue un levier de politique publique ? Ce qui se pose, c’est aussi la question du lien social et du maintien d’une certaine humanisation des rapports sociaux à travers le facteur. Il y a là des enjeux très importants, mais qui va les financer ?

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Ce questionnement de fond concerne toutes les entreprises publiques…

Oui, mais pour bpost, le changement est beaucoup plus profond que pour la SNCB, par exemple. N’oublions pas non plus que la situation actuelle de ces entreprises s’explique d’abord par des décisions politiques antérieures. La libéralisation, c’est-à-dire l’ouverture du secteur postal à la concurrence, et la privatisation, tant au niveau de l’actionnariat qu’au niveau des pratiques de gestion, sont des décisions politiques. C’est ainsi qu’il faut observer la désertification de certaines communes où les pouvoirs publics sont de moins en moins présents. La poste illustre la disparition progressive d’un métier qui était auparavant lié à la présence de l’Etat.

Quelles sont les pistes que bpost peut emprunter pour assurer son avenir ?

Ce qu’on observe, c’est une présence dans le secteur des banques et assurances et dans la logistique liée à l’explosion des volumes de colis. bpost le dit elle- même avec une certaine fierté : elle est une multinationale qui réalise une grande partie de son chiffre d’affaires en dehors de la Belgique. Elle ne se consacre plus seulement à l’acheminement du courrier. Elle s’est diversifiée en matière d’activités mais aussi en termes géographiques, notamment via le rachat de la société Radial, aux Etats-Unis. Son idée consiste à suivre les flux de colis, et c’est de bonne guerre. Mais de facto, l’épaisseur belge de bpost est de plus en plus réduite et il y a une volonté de la direction de poursuivre dans cette logique-là.

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Sa marge de manoeuvre n’est-elle pas étroite ?

Je n’ai pas envie de tirer à boulets rouges sur les responsables de bpost. Il y a un stress énorme et une difficulté majeure à piloter une entreprise comme celle-là dans le contexte actuel, avec un acteur politique qui est parfois aux abonnés absents. Il est très compliqué de construire un avenir pour une entreprise qui subit une forte concurrence et dont le métier de base vit un déclin prononcé. En matière organisationnelle, la direction doit en outre parvenir à adapter sa structure et sa logistique à une activité cyclique : la distribution des colis est certes en forte croissance mais elle présente des pics de volume importants. Ce n’est pas une activité lissée avec un même nombre de colis à déposer tous les jours.

En s’éloignant de son métier de base, bpost ne peut faire l’économie d’une importante mutation interne…

En effet. Le métier de facteur est remis fondamentalement en cause. La distribution de colis demande quant à elle des réorganisations énormes sur le plan logistique : il faut des entrepôts pour trier les colis, disposer d’importantes flottes de véhicules pour les distribuer sur le dernier kilomètre, etc. Mais la question de fond est celle-ci : dans quelle mesure a-t-on intérêt à poursuivre le développement de cette économie du colis ? Dans quelle mesure laisse-t-on faire des entreprises comme Amazon et Alibaba, avec l’impact environnemental et sociétal qu’elles occasionnent ? C’est surtout sur ce clou-là qu’il faut taper. La poste, en fait, suit un mouvement général et essaie de se positionner pour en tirer un certain parti. Dans tout cela, elle est un acteur secondaire.

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bpost est-elle de taille à affronter des concurrents surpuissants ?

La concurrence vient d’acteurs mondialisés, qui disposent d’une puissance financière et technologique que n’a pas bpost. Tout l’enjeu est de savoir comment une multinationale comme Amazon va se positionner dans les prochaines années. Sur le secteur stratégique des colis, où il y a une valeur ajoutée intéressante, la concurrence risque d’être dure pour bpost, notamment parce que celle-ci est tenue de travailler avec des salariés alors qu’Amazon, par exemple, recourt à des indépendants. Sur la durée, on assiste d’ailleurs à une dégradation phénoménale des conditions de travail, pas seulement chez bpost. Auparavant, le métier de facteur était perçu comme valorisant. C’était, pour des personnes issues de milieux populaires, une opportunité de monter dans l’ascenseur social, avec un emploi stable, qui permettait parfois une seconde journée de travail après leur tournée. Il y avait aussi au départ, pour les facteurs, une idée de proximité avec la population, via les petits bureaux de villages. Nous n’en sommes plus là.

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Il n’y a guère eu de réactions à l’annonce de la réduction du nombre de tournées. Les consommateurs avaient-ils déjà intégré que ces tournées n’avaient plus l’importance ni le sens social de jadis ?

Cette annonce s’inscrit dans une longue évolution qui a vu le rôle social du facteur s’amenuiser, voire disparaître totalement, notamment du fait de Georoute (NDLR : ce logiciel de gestion des tournées des facteurs, conçu par la poste canadienne et entré en application en Belgique en 2004, se fonde sur le chrono- métrage précis de chacune des opérations que doivent quotidiennement effectuer les factrices et les facteurs et vise à rentabiliser au mieux leur travail). S’il n’y a plus de courrier qui arrive dans la boîte aux lettres et si le facteur n’a plus le temps de dire bonjour, il se produit une invisibilisation du travail de celui-ci et de son rôle social. On a par contre entendu beaucoup de réactions sur la Grapa (garantie de revenu aux personnes âgées), pour laquelle les facteurs doivent assurer une forme de contrôle auprès des bénéficiaires. A ce propos, bpost continue à parler de proximité entre le facteur et la population alors que dans la réalité, le lien a disparu. Mais l’entreprise joue sur cet argument pour vendre des services de proximité. Elle a par exemple lancé le service bclose dans plusieurs communes belges, en collaboration avec les services sociaux locaux. Il s’agit pour les facteurs de rendre visite aux personnes âgées, à leur domicile, afin de déterminer, à l’aide d’un questionnaire et pour autant que ces personnes soient d’accord, ce dont elles pourraient avoir besoin. On voit bien à travers cet exemple que ce qui préoccupe la direction de bpost, c’est de trouver le moyen de rentabiliser l’emploi du temps du facteur et la flotte de véhicules en proposant de nouveaux services. Cette réflexion sur la diversification des activités du facteur est en cours depuis quelque temps.

Face à des rivaux aussi puissants qu’Amazon, la poste historique pourrait-elle se faire écraser ?

Je pense que l’écrasement est un scénario possible et Réaliste. Mais il n’y a pas de fatalité. D’un côté, une logique économique est à l’oeuvre; de l’autre, on observe des oppositions et des résiliences sociétales qui permettent d’inventer d’autres manières de fonctionner. Regardez les librairies : on avait le sentiment qu’Amazon allait toutes les engloutir. Beaucoup ont disparu mais il en reste, il y a de petites poches de résistance. Idem dans le secteur bancaire, avec la naissance de NewB, réponse sociétale à une autre évolution lourde.

(1) Facteurs en Europe. Le syndicalisme face à la libéralisation et aux mutations des activités postales en Belgique, Bulgarie, Espagne, France et Royaume-Uni, sous la direction de Paul Bouffartigue et Jean Vandewattyne. Octares Editions. A paraître en mai prochain.

Le timbre, sacrifié

Depuis le 1er janvier dernier, poster une lettre en Belgique coûte nettement plus cher à son expéditeur. Le timbre prior se vend en effet au prix unitaire de 1,21 euro, soit 21 % de plus qu’un an plus tôt et 53 % de plus qu’en 2017. Le timbre non prior coûte 1,01 euro, en hausse lui aussi, de 6,32 %.  » L’augmentation tarifaire sera notamment sensible au sein du segment des lettres en déclin « , pronostique l’IBPT (Institut belge des postes et télécommunications). L’envoi des colis domestiques n’est, en revanche, pas concerné par cette augmentation de prix. En tenant compte des nouveaux tarifs des courriers recommandés, des colis et du courrier international, utiliser les services de bpost coûtera quelque 11,4 % de plus que l’an dernier. Par rapport à 2017, les consommateurs particuliers paieront entre 100 et 150 millions d’euros supplémentaires à bpost.

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