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« Bientôt, on aura les premiers morts parmi le personnel soignant »

Jeroen De Preter Rédacteur Knack

Dans la crise actuelle, le groupe le plus vulnérable semble être oublié. « Le grand drame se déroule aujourd’hui dans les résidences pour personnes âgées. »

C’est le Limbourgeois Eddy Awouters qui a lancé l’alerte la semaine dernière. Il a raconté, au magazine Knack, l’histoire de son père, un nonagénaire qui vit dans le centre de soins résidentiel Katharinadal à Hasselt. Tout comme un certain nombre d’autres résidents, il présentait clairement des symptômes d’infection. Mais la communication précise du centre d’hébergement avait fait défaut jusqu’alors.

Cela a changé lorsque Eddy a présenté son histoire aux médias. Coïncidence ou non, le jour même, le centre d’hébergement a communiqué clairement. La situation : neuf résidents présentaient des symptômes liés au coronavirus, mais n’avaient pas encore été testés à ce moment-là. Deux résidents infectés sont morts depuis. Le personnel infirmier n’a pas été épargné. Sur les quarante et un membres du personnel, onze s’étaient déclarés malades avec des symptômes liés au coronavirus ; huit d’entre eux ont entre-temps été testés positifs au covid-19.

Les situations comme celles-ci ne sont certainement pas uniques. « Environ un quart du personnel s’est déclaré malade », explique une employée d’un petit centre de soins à Anvers. Les membres du personnel sont-ils infectés par le virus ? « Je ne saurais le dire », dit-elle. « Il n’y a pas de communication, et la direction se montre à peine. Au début de la crise, nous avons reçu un briefing quotidien sur la décision du gouvernement et les règles à suivre. Le 20 mars, cela s’est soudainement arrêté. Notre direction n’a plus communiqué depuis ce jour-là ».

Les informations sur les éventuelles infections parmi les résidents faisaient également défaut au départ. « Quand je suis arrivée dans mon service ce matin (NDLR : vendredi dernier), j’ai vu trois pièces dont les portes étaient fermées. Sur les portes était accroché un A3 mentionnant que les personnes à l’intérieur étaient placées en isolement. Devant ces portes, se trouvait soudain une petite table avec toutes sortes de vêtements de protection. Quand je suis arrivé à mon bureau, j’ai immédiatement consulté mes e-mails, espérant obtenir plus d’informations. Mais il n’y avait rien. Après, j’ai accès à Geracc, une sorte de journal médical des résidents. Il indique que ces trois résidents souffrent d’une forte toux, d’une légère fièvre et de douleurs thoraciques. Mais le médecin n’est pas encore venu. Par contre, il a été décidé que ces trois résidents ne sont pas autorisés à quitter leur chambre ».

Deux jours après son témoignage, l’employée a de nouveau contacté Knack. Entre-temps, sa direction avait envoyé un e-mail. « Huit des quatorze résidents de notre département sont probablement infectés », déclare l’employée. « Les deux plus jeunes, encore sexagénaires, sont autorisés à se rendre à l’hôpital. Manifestement, ils ont renoncé pour les six autres ».

« Honteux »

Paul Cappelier, président de BEFEZO Fédération belge des professionnels de la santé, n’est guère surpris. « Dans les médias, on entend les virologues, les hôpitaux et les unités de soins intensifs. Mais le grand drame se déroule dans les résidences pour personnes âgées. Je reçois tellement de signaux, tellement que je ne peux plus donner de réponse. Ce sont toujours les mêmes histoires ».

La semaine dernière, BEFEZO a réalisé une enquête auprès du personnel soignant. Les résultats de cette enquête sont incontestablement inquiétants. Plus de la moitié d’entre eux n’ont pas de masques de protection, ou pas assez. L’enquête a également révélé un grand besoin de lignes directrices et d’instructions claires. Ce besoin ressort également du témoignage de l’employée citée plus haut. « Lors d’un briefing le 17 mars, il a été soudainement déclaré, en grosses lettres rouges, que les masques buccaux étaient obligatoires pour tous », raconte-t-elle. « J’étais contente. J’ai eu mal à la gorge pendant quatorze jours. Je ne voudrais pas infecter nos résidents. Mais le lendemain, nous avons reçu une note du médecin coordinateur disant qu’il était « honteux » que tous les gens de notre service portent un masque buccal. J’ai alors appelé notre directrice, et elle m’a dit de ne pas m’inquiéter. « Nous en portons un aussi. » Peu de temps après, notre infirmière en chef m’a fait la leçon. « Tu te prends pour qui, avec ton masque buccal ? Bientôt, nous n’en aurons plus. Tu donnes un très mauvais exemple « .

Cappelier confirme que le besoin de directives claires sur les équipements de protection est particulièrement important. BEFEZO a reçu l’aide de la VRT ces derniers jours pour réaliser des vidéos d’instruction. « L’intention est d’informer enfin le personnel soignant sur la manière d’agir dans cette situation. Il existe des lignes directrices, oui. Vous pouvez les trouver sur le site de l’Agence des soins et de la santé. Mais vous devez d’abord vous débattre avec une énorme quantité d’informations techniques, que vous devez ensuite traduire au niveau de votre personnel de santé. Les directions et les gestionnaires des centres n’ont pas le temps de s’en occuper aujourd’hui. En outre, dans de nombreux cas, ils ne disposent pas de l’équipement de protection nécessaire pour adopter ces lignes directrices. Tout a été réquisitionné par les hôpitaux. Je reçois constamment des messages de centres qui n’ont plus de gants, de masques ou de tabliers. Je ne comprends pas ».

Pas de tests

Les témoignages des centres de soins résidentiels révèlent un autre point douloureux majeur : les résidents présentant des symptômes ne sont pas testés. Pour éviter des épidémies majeures dans les centres, le virologue Marc Van Ranst a plaidé pour plus de tests la semaine dernière. Mais pour l’instant, cet appel semble rester lettre morte. Le résultat est que le personnel soignant nage dans le flou. « Le personnel est frustré et anxieux », témoigne notre source. « Il n’est plus possible d’adopter une attitude professionnelle. Cet après-midi, il y a eu un autre incident au cours du service de repas. Lorsque j’ai fait remarquer à mes collègues que deux résidents toussaient beaucoup, ils ont été immédiatement envoyés dans leur chambre. L’un d’entre eux s’est mis à pleurer. Ensuite, on a flanqué la nourriture sur l’assiette des huit habitants restants. « Personne n’a pu avaler quoi que ce soit. »

La peur règne parmi le personnel des centres d’hébergement, dit Paul Cappelier. Ils savent qu’il est très probable qu’ils soient eux-mêmes porteurs du virus. Il y a déjà beaucoup de malades parmi le personnel soignant. Je prédis que la situation ne fera qu’empirer et que l’on nous annoncera bientôt les premiers décès parmi le personnel ».

La question demeure de savoir combien de résidents des centres de soins résidentiels ont déjà été infectés ou sont peut-être même morts du virus. Ces résidents ne sont pas inclus dans les chiffres quotidiens communiqués par le gouvernement fédéral. Pour reprendre les termes de Paul Cappelier : « Nous n’avons aucune idée de l’ampleur exacte du problème ».

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