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Assistanat, transferts Nord-Sud, entreprenariat… Déconstruction de six clichés sur la Wallonie et la Flandre

Nicolas De Decker
Nicolas De Decker Journaliste au Vif

Depuis des décennies, les mêmes arguments circulent pour expliquer le grand écart entre le sud et le nord du pays. Beaucoup n’ont en réalité qu’une influence marginale sur les états respectifs des deux plus grandes régions belges. Certains sont même carrément faux…

La vidéo a fait mal, parce que les méchantes blagues ne sont jamais si bonnes que lorsqu’elles s’appuient sur des éléments vrais pour conclure à des choses fausses.

Juste avant les élections de mai 2019, le Vlaams Belang publiait sur les réseaux sociaux une courte publicité (photos ci-dessous) dont le succès n’était pas seulement dû aux sommes importantes déboursées par l’extrême droite séparatiste pour la diffuser. Elle correspondait, surtout, à l’air du temps.

Toutes les idées reçues sur la Flandre et la Wallonie s’y trouvaient résumées en quarante-cinq secondes d’un gros cliché animé.

La publicité du Vlaams Belang? Un gros cliché animé sur la Flandre et la Wallonie. Si
La publicité du Vlaams Belang? Un gros cliché animé sur la Flandre et la Wallonie. Si « la Flandre mérite mieux », la Wallonie aussi.© VIDEO VLAAMS BELANG

On y voyait un courageux cycliste, vêtu d’un maillot jaune au lion noir, s’essouffler jusqu’à se faire dépasser par trois athlètes français, néerlandais et allemand. Le Flandrien ne décrochait pas du peloton européen par sa faute, mais parce qu’il roulait en tandem, et que le gros lard qui était assis derrière lui, avec son marcel rouge, son training et ses clapettes Rucanor, préférait manger sa tartine, dont il jetait l’emballage, plutôt que de pédaler avec son pilote flamand. « Vlamingen verdienen beter – Eerst onze mensen » (Les Flamands méritent mieux – Nous d’abord), concluait Tom Van Grieken, le président du parti nationaliste. Ce fut un scandale, et le message était dégoûtant. Mais l’idée que la Wallonie se traîne n’a jamais été aussi vraie.

Rien depuis 2001

La Région wallonne n’a jamais autant stagné depuis que son redressement se claironne. Des décennies de grands accords, de plans, d’aides, d’études, de consultances, de manifestes et d’appels à la mobilisation des forces vives n’y ont rien fait. La Wallonie, et en particulier ses provinces de Liège et de Hainaut, tire les indicateurs économiques et sociaux de la Belgique vers le bas. Début février, la Commisson européenne publiait son « Huitième rapport sur la cohésion« , qui mesure les disparités entre régions et sous-régions, et leur évolution depuis le début du siècle, le confirme encore.

Comme certaines parties du sud de l’Italie, de la Grèce ou de la France dite « périphérique », la Wallonie – à l’exception, notable et importante, du Brabant wallon – se teinte des plus tristes couleurs quels que soient les indicateurs, de la croissance du PIB par habitant au taux d’emploi, et de l’espérance de vie à… la qualité du gouvernement. Aucune évolution positive n’a vraiment été tangible depuis 2001. Depuis 1965, première année où le PIB par habitant flamand a dépassé le PIB par habitant wallon, l’écart s’est creusé pendant plusieurs décennies, au fil des fermetures des vieilles usines wallonnes de la sidérurgie, des mines et de la verrerie, et des ouvertures de nouvelles usines flamandes, notamment, mais pas seulement, autour de ses infrastructures portuaires. Cet écart s’est plus ou moins stabilisé, autour des 25% dans les dernières années avant la pandémie. Mais aucun des contrats d’avenir, des plans Marshall, Marshall 2 .vert, Marshall 4.0 et autres Get Up Wallonia, n’a inversé la tendance.

Dans le même temps, des scandales, révélant des comportements répugnants de mandataires wallons, des jetons de présence des lampistes de Publifin à la chaudière de Claude Despiegeleer, en passant par les retraits de cash luxembourgeois de Serge Kubla et les émoluments de Stéphane Moreau, n’encourageaient pas à considérer les acteurs politiques comme vertueux à défaut d’être efficaces.

Ce qui fait dire à une masse de politiques, d’analystes, d’acteurs, d’éditorialistes, de consultants et de citoyens que ces gens-là avaient préféré s’engraisser plutôt que de mener les réformes nécessaires.

Et ce qui a renforcé l’idée reçue des idées reçues, sous-jacente à cette vidéo qui fit si mal: l’idée que la Wallonie ne faisait rien pour arrêter de stagner, et que si elle ne roulait pas assez vite, c’est parce qu’elle refusait de pédaler. Parce que la Région wallonne ne serait, somme toute, qu’un gros lard sur un tandem attardé qui l’a bien cherché.

Or le problème, c’est en fait ce lien établi entre valeur morale et efficacité politique, entre excellence administrative et prospérité économique. Parce qu’il y a plus triste que l’état économique et social de la Wallonie: il y a les idées reçues sur les raisons de l’état économique et social de la Wallonie.

Erreur de diagnostic

Parce qu’il est aussi faux de laisser croire que le cycliste wallon préfère se laisser tirer par son pilote flamand que c’est parce que les transferts Nord-Sud sont trop importants/que les exportations wallonnes sont trop faibles/que les chômeurs wallons seraient assistés/que les Wallons exigeraient de trop fort salaires/que les fonctionnaires wallons seraient trop nombreux ou que les entrepreneurs et les investisseurs ne seraient pas assez aidés que la Wallonie ne parvient pas à combler le dramatique retard qu’elle a pris sur sa gaillarde voisine du nord.

Les politiques menées en Wallonie sont peut-être mauvaises depuis des décennies.

Elles le sont sans doute.

Mais les ériger en cause motrice de la déprime wallonne est une erreur de diagnostic.

Une erreur aussi bête que de faire croire que puisque la Flandre va mieux, ses dirigeants sont nécessairement vertueux, alors que les malversations de mandataires courent autant les colonnes de leurs journaux que des nôtres.

Une faute aussi idiote que de laisser penser que, puisque le Brabant wallon est la deuxième province de Belgique où les revenus sont les plus élevés, c’est parce que les politiques provinciales sont plus adéquates que celles menées par le Limbourg, dont les habitants gagnent en moyenne près de trois mille euros de moins par an.

Cette fixation du débat public sur des éléments parfois faux, parfois à moitié vrais, répétée depuis de longues années, enferme chacun dans ses certitudes

Cette fixation du débat public, et donc de la décision politique, sur des éléments parfois faux, parfois à moitié vrais, souvent objectivement anecdotiques, et presque toujours simplement non pertinents, répétée depuis de longues années, enferme chacun dans ses certitudes, et empêche à la fois de réfléchir aux vraies causes, et, éventuellement, de trouver de vraies solutions.

Pas qu’il ne faille, attention, s’interdire de réduire l’administration wallonne /d’augmenter les aides wallonnes aux entreprises /de limiter encore davantage les coûts salariaux /de faire baisser davantage les transferts Nord-Sud/ d’activer plus durement les chômeurs ou d’accroître les exportations régionales.

On peut même les considérer comme des objectifs vertueux en soi, pourquoi pas? Mais il faudrait vraiment arrêter d’en faire dépendre le bien-être wallon autant que la prospérité flamande.

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Ainsi constata Bart De Wever, dans son dernier discours du Nouvel An. C’est non seulement faux du strict point de vue mathématique, mais c’est aussi, et surtout, d’une effroyable mauvaise foi.

Les mathématiques, d’abord: selon les chiffres officiels de l’Institut des comptes nationaux (ICN), en 2019, la dernière année normale avant la pandémie, les exportations flamandes représentaient 67,6% des exportations totales de la Belgique. Pour atteindre le niveau avancé par Bart De Wever, il faudrait ajouter la part bruxelloise à sa part flamande. Peut-être voulait-il par là insister sur le statut de capitale de la Flandre de Bruxelles, et rendre ainsi honneur au dynamisme des exportations bruxelloises, qui sont passées de 14,5% à 18,6% du total belge entre 2009 et 2019. Il a là le bénéfice de la bonne foi: bon historien et ardent patriote, le bourgmestre d’Anvers ne peut ignorer les racines flamandes de Bruxelles.

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Mais, les yeux posés sur l’embouchure de l’Escaut, il ne peut pas non plus ignorer les contraintes de la géographie physique.

Et c’est là que survient la pure mauvaise foi. Car si Bart De Wever et sa Flandre ont raison d’être fiers de leur économie, prospère et tournée vers l’extérieur (le taux d’ouverture de l’économie flamande, soit la moyenne des exportations et des importations divisée par le PIB, est, avec 91%, plus de deux fois plus élevé que celui de la Wallonie), il a tort, et une certaine Flandre avec lui aussi, d’appuyer cette fierté sur une comparaison interrégionale, comme si les Flamands exportaient plus de biens et de services parce qu’ils sont plus courageux, ou plus forts, ou plus beaux que les Wallons. L’ économie mondialisée, aujourd’hui encore davantage qu’hier, vogue sur les océans, et si la Flandre domine les mers, c’est parce qu’elle borde celle du Nord. Ce n’est pas l’esprit industrieux de nos nordistes ni la paresse congénitale de nos sudistes qui ont précipité la mort de l’industrie wallonne. C’est l’inévitable basculement vers la mer de tout un appareil productif tourné vers l’exportation.

L’atout portuaire

Sur les quelque 120 000 emplois directs pourvus par l’économie portuaire en Belgique, plus de 100 000 le sont dans les ports flamands d’ Anvers (près de 70 000), de Gand (30 000), de Zeebruges (10 000) et d’Ostende (5 000). Ces infrastructures sont, en tout ou en partie, publiques, leurs patrons sont des élus locaux et les emplois y sont très encadrés: le pouvoir syndical des dockers rendrait jaloux le plus influent délégué CGSP d’une municipalité hennuyère. Autour de ces ports, équipés par des milliards d’euros de travaux publics, investis très judicieusement depuis plusieurs décennies, par la Flandre un peu et par la Belgique beaucoup plus, notamment en contrepartie des sommes déboursées pour accompagner socialement les innombrables fermetures dans la vieille industrie wallonne, se sont implantées les entreprises les plus modernes et les plus tournées vers l’exportation, ainsi que les centaines de milliers d’emplois qu’elles procurent.

Les économistes appellent ça « l’effet d’agglomération », et il se fait qu’aujourd’hui c’est autour des ports maritimes, surtout celui d’Anvers – qui fusionnera cette année avec celui de Zeebruges, pour égaler celui de Rotterdam comme premier port d’Europe – que bat le coeur de l’appareil productif belge, si loin des collines et de l’eau douce des provinces wallonnes.

Voir Bart De Wever railler la maigreur des exportations wallonnes, c’est entendre un voisin qui a un jardin se plaindre que vous, qui n’en avez pas, ne contribuiez pas assez à l’achat de sa propre tondeuse à gazon.

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Ainsi prolongea Bart De Wever le mince, dans ses voeux 2022, la légende du Bart De Wever le moins mince de 2005, qui fit sensation en débarquant au pied des ascenseurs de Strépy avec un camion bourré de faux billets de cinquante euros. Cette monumentale infrastructure wallonne construite, déplore la Flandre depuis des décennies, avec un argent belge pourtant incommensurablement plus employé à élargir des ports flamands et des autoroutes flandriennes. Bref, les transferts Nord-Sud sont, en Belgique, une grande passion septentrionale, où ils sont vus comme un ignoble manque de respect.

Ces transferts existent, et sont incontestables autant qu’inévitables: dans un pays donné, les régions les plus prospères contribuent toujours plus à la redistribution que les territoires les plus pauvres.

En septembre 2021, un article passionnant de la Revue économique de la Banque nationale de Belgique (« Les transferts interrégionaux par le biais du pouvoir fédéral et de la sécurité sociale »), cosigné par quatre économistes, chiffrait pour 2019 la contribution nette flamande à 6,2 milliards d’euros, tandis que la région bruxelloise, elle, contribuait à hauteur de 900 millions d’euros à des transferts qui, au total, s’élevaient donc à 7,1 milliards en faveur de la Wallonie et de ses résidents. De quoi souffler un grand vent du nord dans les voiles nationalistes? Pas vraiment, en réalité. C’est d’ailleurs pourquoi on a si peu parlé de cette publication. Elle mériterait pourtant bien de bourrer la benne d’un camion qui viendrait décharger au port d’ Anvers.

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D’abord parce que ce qui est présenté comme des transferts interrégionaux sont, en fait, majoritairement des transferts interpersonnels. Ce sont les actifs qui, individuellement, contribuent le plus, et les inactifs qui, personnellement, reçoivent le plus. Agréger cette solidarité interpersonnelle par régions est intéressant, mais pourrait tout aussi bien être fait par provinces: on s’apercevrait alors que le Brabant wallon est une province proportionnellement plus contributrice que celles d’Anvers et de Flandre-Orientale, et que la Flandre-Occidentale et le Limbourg sont bénéficiaires nets de transferts interprovinciaux, pour partie venus, donc, de Wallonie.

Ensuite parce que, observent les auteurs, ces transferts ont eu tendance à diminuer depuis la très médiatique livraison de Bart De Wever: ils sont passés de près de 2% du PIB flamand en 1995 à un peu plus d’1,2% en 2019. En raison du vieillissement plus important de sa population, la Flandre reçoit même, depuis 2003, plus d’argent belge qu’elle n’en donne pour financer les pensions et les soins de santé. Cette tendance est appelée à se poursuivre, et même à s’accentuer dès lors que la sixième réforme de l’Etat prévoit, à partir de 2024, une diminution progressive d’une série de contributions au budget wallon.

Enfin, et surtout, les quatre économistes, s’appuyant sur des données européennes, ont comparé la hauteur des transferts entre la région la plus riche et la région la plus pauvre des Etats membres de l’Union(voir infographie ci-dessus). Et ils sont en Belgique moins élevés qu’en Pologne et en Allemagne, qu’en France et en Roumanie, qu’en Espagne et au Portugal, qu’en Hongrie et aux Pays-Bas, et qu’en Grèce et en Suède. Mais personne ne le dit jamais. Peut-être parce qu’on respecte trop la Flandre, en fait?

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Ainsi parla l’économiste Rudy Aernoudt dans une chronique parue le 17 février dans Trends-Tendances, et il est en effet d’un savoir commun que « l’assistanat » est une tradition wallonne, surtout vivace dans les anciens bassins charbonniers, tandis que la Flandre, grâce à des politiques beaucoup plus strictes de mise au travail des inactifs, était parvenue à réduire le chômage à un taux ridiculement faible.

La véracité de ce savoir si répandu est pourtant minée par deux énormes fautes de raccord.

La première est une impossibilité logique: les Régions n’ont reçu de substantielles compétences en matière de formation, de contrôle, d’activation et de sanction des chômeurs que progressivement, au rythme des différentes réformes de l’Etat entre 1989 et 2012, et ces matières sont aujourd’hui encore pour partie fédérales. C’est ainsi que la Flandre a résorbé son chômage de masse en ne pouvant mettre en oeuvre que des politiques sociales parfaitement identiques à celles qui avaient cours en Wallonie. Sur l’activation et les sanctions, sur la formation des chômeurs, sur la durée et le montant de leurs allocations, la Flandre n’a été ni plus sévère ni plus laxiste que la Wallonie, parce que la loi était la même pour tous les Belges. Une même cause ne pouvant produire des effets parfaitement opposés, il est donc logiquement impossible de soutenir que ce qui aurait permis le plein emploi au nord du pays aurait provoqué le chômage massif et structurel au sud.

La seconde est une erreur matérielle: depuis 2016 en effet, à la suite de la sixième réforme de l’Etat, ce sont les services régionaux de l’Emploi (VDAB en Flandre, Forem en Wallonie), et non plus l’Onem, qui se chargent du contrôle de la disponibilité des chômeurs. Chaque Région peut désormais appliquer ses propres recettes afin de remettre ses inactifs au travail. Or, si l’air du temps autant que les configurations électorales respectives pourraient laisser croire à des choix politiques plutôt sévères d’un côté, et plutôt laxistes de l’autre, l’examen des faits démontre l’inverse. Ainsi, alors que la Wallonie radiait, en 2019, dernière année avant la pandémie, pas moins de 3 619 demandeurs d’emploi, la Flandre, elle, n’en radiait que 23, pour un nombre de respectivement 128 000 et 125 000 chômeurs complets en décembre 2019.

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Assistanat, transferts Nord-Sud, entreprenariat... Déconstruction de six clichés sur la Wallonie et la Flandre

Ainsi s’exprima un fiscaliste anonyme, dans un dossier consacré à la persistante déprime économique wallonne par Trends-Tendances, le 25 novembre 2021. Encore une histoire de respect. Cet anonyme en colère, comme tant d’autres avec lui, dénonçait des politiques publiques régionales indifférentes, voire hostiles, à la création d’entreprises, à leur croissance, et à la prospère accumulation du capital que favoriseraient, par des aides aussi judicieuses que généreuses, les gouvernements flamands.

Certes, le respect ne se mesure pas uniquement par des montants. D’ailleurs, observait l’Iweps (Institut wallon de l’évaluation, de la prospective et de la statistique) en décembre dernier, « entre 2008 et 2020, le taux de dynamisme entrepreneurial moyen en Wallonie s’élève à 1,27. Il se crée donc en moyenne un peu plus de 12,7 entreprises pour dix disparitions. En Flandre, ce taux s’élève à 1,45. » Pourtant, la dernière comparaison systématique des budgets régionaux flamand et wallon, portant sur l’exercice 2015, indique qu’entre l’économique et le social, et entre les entreprises et les allocataires, c’est plutôt la Wallonie qui se consacre surtout au premier, et la Flandre qui investit davantage dans le second.

Cette année-là, en effet, la Wallonie avait affecté 5,41% de ses dépenses à des politiques économiques, qui consistent en différents types d’aide et de soutien aux entreprises régionales (à l’exportation, à la recherche, à l’expansion économique, à la modernisation technologique, etc.) contre 3,77% pour la Région flamande. « En Wallonie, l’importance des dépenses régionales par rapport à la Flandre s’explique principalement par la part budgétaire de trois sous-catégories: les dépenses liées l’économie (1,4 fois plus importantes en parts relatives), à la formation (trois fois plus de moyens proportionnellement à la Flandre) et à l’énergie (sept fois plus importantes en parts relatives) », écrivaient les quatre économistes de l’UNamur, auteurs de la comparaison. En revanche, la Flandre consacrait davantage d’argent public à des politiques d’action sociale et de santé (28,54%) que la Wallonie (24,75%), observaient les mêmes. Mais qui est donc le plus respecté, alors?

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Depuis le processus de régionalisation, entamé par la deuxième réforme de l’Etat en 1980, les Régions ont progressivement disposé de plus en plus d’autonomie en matière d’aides aux entreprises, ce qui rend toute autre comparaison que budgétaire presque impossible: il faudrait compiler tant de dispositifs, de montants, de clauses et de conditions que les plus minutieux économistes des services d’études, syndicaux comme patronaux, s’y sont vainement essayés avant de s’y user les yeux. La Région wallonne n’est du reste que moyennement transparente sur la ventilation des différents moyens dont elle peut faire profiter les propriétaires de moyens de production, entre les aides à l’emploi, les subsides, les prêts et les participations (qu’un rapport de la cour des comptes estimait en 2017 à 7,5 milliards d’euros dans des entreprises privées).

Mais les plus petites entreprises y sont quantitativement plutôt davantage cajolées qu’ailleurs, grâce en particulier à l’incitant Sesam (soutien à l’emploi dans les secteurs d’activité marchands), qui offre à chaque entrepreneur qui engagerait un demandeur d’emploi un forfait de quelque 25 000 euros sur trois ans, et que l’on jalouse jusqu’en Flandre. Le budget, qui s’élevait à 38 millions d’euros en 2018, augmente à 92 millions pour 2022. Il y a, incontestablement, de quoi remettre en question l’efficacité de tout cet argent offert par la collectivité wallonne à ses entrepreneurs. Mais il ne faudrait pas non plus prendre cette remise en question pour un manque de respect.

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Ainsi lança le patron des patrons wallons, Olivier de Wasseige, dans une interview de rentrée accordée en septembre dernier à Trends-Tendances. Le travailleur wallon gagne-t-il trop? Le demandeur d’emploi wallon exige-t-il un trop gros salaire? Des syndicats trop puissants, une réglementation trop rigide, et une main-d’oeuvre trop gourmande empêchent-ils les entreprises d’embaucher, et les investisseurs d’investir? On sait que le « coût du travail » est une des raisons de la désindustrialisation massive des pays occidentaux, au profit de pays où les salaires sont plus faibles. A l’échelle de la Belgique, pourtant, c’est le contraire qui se produit: c’est dans la Région où les salaires sont les plus élevés qu’on crée le plus d’emploi, et dans celle où ils sont les plus faibles qu’on chôme le plus. En effet, alors que les allocations et les conventions collectives sont les mêmes partout en Belgique, les salaires offerts par le secteur privé sont, en fait, un peu plus faibles dans le sud morose que dans le nord prospère, ce qui limite d’autant la différence entre revenu de remplacement et salaire, et augmente, donc, les « pièges à l’emploi ». La différence interrégionale Nord-Sud du salaire brut moyen croît en fonction du niveau de diplôme, ce qui tend donc à léser davantage la classe moyenne wallonne que son homologue flamande, et elle est parfois très importante dans certains secteurs: en 2019, un salarié flamand de l’industrie manufacturière gagnait en moyenne 3 895 euros bruts, contre 3 708 pour son homologue wallon, l’écart interrégional s’élevait à plus de cent euros dans la construction (3 367 euros bruts en Flandre contre 3 252 en Wallonie et… près de 500 dans la branche du « commerce de gros et de détail, réparation de véhicules automobiles, de motocycles et d’articles domestiques » (3 561 euros contre 3 078).

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Ce déficit de compétitivité témoigne de la moindre robustesse de l’appareil productif wallon, comparativement à son homologue et rival flamand. Des industries qui périclitent ou qui disparaissent, et des investissements plutôt timides, couplés à des salaires restant plutôt élevés à cause de ou grâce à un cadre normatif et réglementaire restant majoritairement fédéral, minent, en revanche, la productivité du travail wallon, beaucoup plus faible que celle des autres pays. Le coût salarial unitaire, qui rapporte le coût de la main-d’oeuvre à sa productivité, est donc beaucoup plus élevé en Wallonie. « Le déficit en matière de coût salarial unitaire vient surtout de la productivité, inférieure de 14% à la moyenne belge et ce, depuis de très longues années alors qu’en matière de coût salarial la différence n’est que de 8% », déplorait, fin 2021, une note de l’Iweps. Le problème n’est donc pas que le travailleur wallon demande trop. Mais plutôt que son entreprise produit trop peu.

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Ainsi parla tout le monde, depuis des années et des années, le patron du Voka en 2011, les différents partis lorsqu’ils étaient dans l’opposition, et ceux qui étaient au gouvernement ne les contredisaient pas. Avec son méchant déficit et son énorme dette, la Région wallonne tente en effet de satisfaire des besoins sans que ses moyens propres ne le lui permettent réellement.

En 2021, ses dépenses s’élevaient à 17,8 milliards d’euros et ses recettes à 13,8 milliards. Gaspille-t-elle trop d’argent pour son administration quotidienne, comparée à une Flandre frugale? Incontestablement. Afin de réduire les dépenses de 150 millions d’euros, cumulatifs, par an, le « budget base zéro » lancé par Jean-Luc Crucke, et que se chargera d’introduire son successeur Adrien Dolimont, devra traquer les dépenses inutiles. Et on sait qu’il y en a. « Les dépenses administratives et les dépenses de dettes se révèlent quant à elles proportionnellement beaucoup plus importantes dans le sud du pays et à Bruxelles qu’au nord du pays », lisait-on déjà dans le Cahier du Cerpe cité plus haut: les dépenses administratives représentaient 6,2% des dépenses wallonnes de 2015, contre 3,8% des flamandes. Est-ce pour autant que trop de fonctionnaires ou d’employés du secteur public travaillent en Wallonie? Probablement pas. Le taux d’emploi public, dont on rappelle chaque année qu’il est plus élevé au sud qu’au nord, mais qui ne concerne pas spécifiquement les services publics régionaux, témoigne plutôt d’un dénominateur trop petit – le trop faible nombre d’emplois créés dans le secteur privé – qu’un numérateur trop grand: personne de sensé ne soutiendrait que trop de policiers, de juges, d’enseignants, de soignants ou de pompiers travaillent en Wallonie, et il n’est pas tout à fait stupide d’affirmer que certains de ceux-là sont trop peu nombreux, même en Flandre.

Improbable

De l’augmentation de l’emploi privé wallon dépendront les moyens dont disposera la Région wallonne pour satisfaire ses besoins. Les énormes investissements publics annoncés et consentis, d’abord pour la relance d’après-Covid, ensuite pour la reconstruction d’après-inondations, vont à coup sûr creuser la dette régionale. Mais les effets retour de cette dépense publique inédite finiront-ils par rendre l’endettement soutenable? C’est en réalité tout à fait improbable. Car, d’une part, les entreprises qui en profiteront le plus ne seront pas nécessairement wallonnes: le secteur régional de la construction, par exemple, n’est pas loin de la saturation, et cette capacité d’absorption limitée pourrait bénéficier à de plus grosses sociétés, flamandes notamment. D’ autre part, les conséquences fiscales et sociales se ressentiront surtout aux autres échelons de pouvoir, principalement fédéral. C’est ainsi que les contribuables wallons pourraient devoir payer, pendant plusieurs années, le renflouement avec leur argent des caisses de l’Etat fédéral… et de grandes entreprises flamandes. Et si la dette wallonne était finalement un transfert Sud-Nord?

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