Jonathan Dehoust

Anticipation politique: le futur paysage politique de la Belgique francophone

Jonathan Dehoust Etudiant en sciences politiques à l'UCL

Sur le Mont Élection, les alpinistes belges gravissent, dégringolent, chutent. Les nationalistes flamands, autrefois aux pieds du pic, sont parvenus en quelques années à dresser leur drapeau au sommet.

Ces derniers temps, au gré des simulations dans l’attente de la grande compétition de 2019, les marxistes montrent une tonicité et les humanistes une atonie qui inspirent plusieurs scénarios d’anticipation. Et si les premiers venaient à dépasser leurs concurrents francophones, même les socialistes, actuellement coincés dans une crevasse ? Un paysage politique n’est jamais figé : ça bouge, ça change, ça se transforme.

Pourquoi le PS et Ecolo sont en danger

De Bernie Sanders au séisme du Brexit en passant par Podemos en Espagne et le Mouvement 5 étoiles en Italie, les peuples occidentaux exècrent les représentants politiques installés dans les arènes exécutives depuis toujours. À mille lieux de l’insurrection sanglante, la révolte « contre les élites » se veut pacifique : voter pour la formation qui n’a pas encore eu sa chance. C’est en ce sens – le désir du « nouveau » – qu’écologistes et socialistes belges sont en danger.

Si les premiers, quelques cumuls de mandats et un dossier photovoltaïque plus tard, ont dérapé quant à leur promesse de « faire de la politique autrement », les seconds ont du mal de défaire l’image de « chasseur de chômeurs » qui colle à Di Rupo lorsqu’il était au « 16 » entre 2011 et 2014. Et quand bien même les deux formeraient un cartel ou pencheraient sévèrement à gauche avec des propositions comme l’allocation universelle, la réduction du temps de travail ou une participation salariale plus active dans les entreprises, l’exercice du pouvoir implique la responsabilité d’encadrer cette « véritable politique de gauche » dans les règles néolibérales de l’Europe…

À partir de cette contrainte institutionnelle ne peut découler que des déceptions électorales au prix très cher à long-terme. Car si l’homme au noeud-papillon retourne dans la majorité fédérale en 2019, même accompagné par le duo Khattabi/Dupriez, comment pourrait-il réaliser ces propositions, intéressantes mais risquées, avec l’appui des partenaires et sans creuser le déficit public, ennemi numéro un de la Commission ? Sauf s’attirer des foudres et des sanctions, sa coalition serait bien obligé d’appliquer une rigueur budgétaire (ou austérité, c’est selon) qui gonflerait encore plus les rangs du PTB, sagement assis dans l’opposition à crier avec ironie « qu’elle est belle [votre] gauche au pouvoir »…

Le puissant PSC devenu le palliatif CdH

Le Parti social-chrétien (PSC), c’est quarante années ininterrompues de pouvoir (1958-1999), preuve en est de la puissance des centristes. À l’aube du nouveau millénaire, renvoyé pour la première fois dans l’opposition par Guy Verhofstadt – ce qui peut sans doute expliquer les innovations sociétales de la coalition arc-en-ciel, la présidente Joëlle Milquet en profite pour donner un nouveau souffle à sa formation politique. C’est que dans une société sécularisée avec ses bouleversements sociologiques, l’étiquette religieuse (et le conservatisme intrinsèquement lié) n’est plus à la mode – surtout chez les jeunes. C’est ainsi que le PSC devient le CdH et la démocratie chrétienne se transforme en « humanisme », concept creux qui transcende toutes les spiritualités.

À mille lieux de l’insurrection sanglante, la révolte u0022contre les élitesu0022 se veut pacifique : voter pour la formation qui n’a pas encore eu sa chance.

Si la décennie 2000 n’est ni catastrophique ni glorieuse, l’année 2014, malgré une participation aux gouvernements régionaux, marque une période de crise chez les centristes : le dossier du survol de Bruxelles de Melchior Wathelet irrite la capitale ; Joëlle Milquet, « la » représentante éternelle du parti est inculpée d’emplois fictifs (nous laisserons à la Justice le pouvoir de décider de sa culpabilité) ; et Benoît Lutgen, plutôt rare dans les médias, ne frappe pas les esprits en tant qu’opposant au gouvernement fédéral de Charles Michel. Quel avenir incertain pour une formation politique qui a pourtant une chance à saisir !

En effet, à l’heure où les socialistes virent à gauche toute par peur d’être dépassé par le PTB et où le MR s’affirme en tant que parti de droite décomplexée, un boulevard est laissé à leur fameux compromis entre « les archaïques de la lutte des classes » et « les défenseurs du capitalisme sans frein »… Si l’année 2019 marque la déroute, on donnera raison au député européen Louis Michel qui, en septembre 2016 dans une interview de La Libre Belgique, prédit que le CdH serait à terme « phagocyté » par un « grand parti du centre dirigé par le MR ». Ou comment un parti autrefois traditionnel et puissant se ferait manger tout cru par un autre parti toujours traditionnel et puissant.

Rappel : l’heureux MR n’a rien à sa droite

Les bleus francophones, de leur côté, ont de beaux jours devant eux. En guerre contre « l’assistanat », « la gréviculture » et la « rage taxatoire », ils centralisent en toute quiétude les plus acerbes critiques du PS. Et le cordon sanitaire médiatique, cette règle informelle condamnée en 2010 par Reporters Sans Frontières (RSF) comme étant un déni de démocratie, trop rarement évoqué dans les analyses politiques, y est pour quelque chose. Si la gauche radicale – nous utiliserons ce terme pour qualifier le PTB et non « extrême-gauche » afin de le différencier d’une organisation terroriste comme les CCC – a droit à une tribune médiatique quasi quotidienne, faisant concurrence à la gauche institutionnalisée, social-démocrate, la droite radicale, elle, a du mal de se faire entendre.

Surtout qu’une partie de l’électorat du MR, plutôt tendance Alain Destexhe qu’Olivier Chastel bien sûr, celui avide des sorties zemouriennes et admirateur de Théo Francken, n’aurait aucun mal à cocher la case d’un candidat lepéniste wallon s’il venait à se présenter. Ceux-là seraient même rejoints, non sans paradoxe, par quelques électeurs PTbistes, avant tout « anti-establishment ». Oh il y a bien des pourparlers entre le Parti Populaire de Modrikamen et La Droite de Mungo, mais les frictions entre les deux hommes et les difficultés d’une harmonisation programmatique annihilent toute possibilité de voir un jour la « Droite Populaire » gêner les réformateurs.

Rien n’est encore joué : sur le Mont Élection, ce n’est pas parce qu’on est en plein ascension entre deux courses qu’on est à l’abri d’une descente en rappel un peu secouée le jour J.

En France, les Républicains courent après le Front National. En Belgique, le MR ne court après personne. Jusqu’à quand ? En pleine rentrée parlementaire, les politologues Carl Devos et Dave Sinardet exprimaient que l’on devait pouvoir « gouverner avec le Vlaams Belang ». Peut-être le début de la fin du cordon sanitaire et de sérieux ennuis pour les libéraux, peut-être.

Un PTB institutionnalisé est un futur PS

Les marxistes sont attendus au tournant. Leur stratégie de critiquer et uniquement critiquer ne tiendra pas éternellement. 2019, sans doute. 2024, nous verrons. Et le jour où Raoul Hedebouw sera dans une majorité, au régional comme au fédéral, il sera également confronté à certaines règles qui l’obligeront à modérer sa radicalité ; et les élus tous azimuts, à gauche comme à droite, ne le rateront pas. Mais d’ici là, peut-être que l’Europe aura changé, peut-être qu’un scandale éclatera, peut-être que la droite radicale aura été dédiabolisée, invitée dans les débats dominicaux pour voler la vedette au liégeois et à d’autres.

Surtout qu’un sondage est un sondage. Rien n’est encore joué : sur le Mont Élection, ce n’est pas parce qu’on est en plein ascension entre deux courses qu’on est à l’abri d’une descente en rappel un peu secouée le jour J. Seul l’avenir nous dira qui plantera son drapeau au sommet et qui restera ou sera retombé au pied du pic tant convoité.

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Contenu partenaire