Albert Ier, étonnant roi de la com’

Pierre Havaux
Pierre Havaux Journaliste au Vif

Comment à la veille de la Grande Guerre, ce roi timide est parvenu à réconcilier les Belges avec leur dynastie en se rapprochant du peuple.

Le Roi s’est cassé un bras en tombant de cheval, et la nouvelle défraie la chronique. Le Soir consacre à la chute royale une demi-colonne en première page, relève l’historienne et spécialiste d’Albert Ier, Laurence Van Ypersele (UCL). En 1914, Albert Ier n’est pourtant rien d’une star. Il n’est pas encore statufié de son vivant en Roi Chevalier. Mais ce souverain timide, renfermé, « parfois considéré comme un benêt, lorsqu’il était encore héritier du trône », comme le rapporte l’historien Vincent Dujardin (UCL), a rapidement pris de l’étoffe.

L’héritage laissé par son oncle Léopold II en 1909 n’est pas un cadeau. Les frasques du Roi bâtisseur ont fait des dégâts. La dynastie souffre alors d’une « désaffection certaine », selon Marie-Rose Thielemans (ULB).

Albert Ier s’emploie à redorer le blason terni de la monarchie. « Dès les premières années de son règne, il cherche à se rapprocher du peuple: il supprime l’escorte armée de sabres et de lances qui le séparait de la foule et autorise les journalistes à le suivre dans ses déplacements », relate Laurence Van Ypersele.

Albert Ier imprime sa marque. Il fait table rase du passé par une révolution de Palais qui éjecte tout l’entourage de son prédécesseur. Il impose son style. Il descend dans la mine, fréquente expos scientifiques et culturelles. Sa méthode: « tout voir et tout essayer par lui-même », et surtout le faire savoir. La presse se répand en termes plutôt bienveillants sur ce roi campé, aux côtés de son épouse Elisabeth, en mari et père de famille irréprochable. En modèle de vertus bourgeoises.

Sa popularité intéresse prodigieusement les catholiques, reprend Laurence Van Ypersele. « Ils en font leur monopole, un élément fondamental de leur propagande. »

C’est mal connaître le Roi. « Il monte sur le trône avec des idées somme toute bien arrêtées. Il n’aime pas les extrémistes, de gauche comme de droite. Il est partisan d’une intégration des socialistes à la société, à l’économie et, en définitive, à l’Etat », écrit Michel Dumoulin (UCL). « Le roi n’a ni ami ni ennemi. Il n’a que des associés occasionnels », abonde le spécialiste de la monarchie Mark Van den Wijngaert.

Albert Ier reste ainsi au-dessus de la mêlée, « quoique intellectuellement proche des libéraux » selon Laurence Van Ypersele. C’est un roi avare en interventions royales publiques, mais actif dans la coulisse pour pousser au suffrage universel ou au réarmement du pays. Qui se rend sympathique à la partie flamande du pays en se montrant compréhensif pour ses exigences culturelles. Et dont la fibre sociale ne laisse pas insensibles les socialistes.

A la veille de la guerre, Albert Ier a réussi son pari. « La dynastie est fortement implantée dans les esprits, la popularité du jeune roi est grande. » Le conflit va la faire exploser.

L. Van Ypersele, Le Roi Albert, histoire d’un mythe, Labor, 2006 M. van den Wijngaert, L. Beullens, B. Brants, Pouvoir et monarchie, Luc Pire, 2002

Le dossier « Comment la Belgique a changé en 100 ans » dans Le Vif/L’Express de cette semaine, numéro spécial restant en librairie durant un mois. Avec :

– Politique : la crainte du « Rouge »

– Communautaire : les flamingants montrent les dents

– Diplomatie : Ne se fâcher avec personne

– Armée : un faux air d’opérette

– Economie : la course en tête

– Social : pour un salaire de misère

– Finances publiques : paradis fiscal pour grosses fortunes

– Religion : « calotins » ou « suppôts du diable »

– Enseignement : tous en classe jusqu’à 14 ans

– Société : la femme, tout sauf l’égale de l’homme

– 1914 en photos

– Les chiffres d’hier et d’aujourd’hui : population, ministres, élus, indemnités parlementaires, liste civile et dotations royales, militaires, actifs et chômeurs, allocations, dette publique, mariages et divorces, élèves et étudiants.

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