Hugues Malonne, directeur général de l'Agence fédérale des médicaments. © Belga

Affaire DiaSorin: rétention d’informations à l’Agence des médicaments

Thierry Denoël
Thierry Denoël Journaliste au Vif

Une étude du CHU de Liège commandée par l’Agence des médicaments confirmerait la fiabilité du controversé test sérologique de la firme DiaSorin. Or l’Agence ne veut pas rendre cette étude publique. Une réunion de crise est prévue ce jeudi avec les labos concernés.

Une réunion de crise concernant le test sérologique controversé de la firme italienne DiaSorin est programmée ce jeudi à 10h30, au siège de l’Agence du médicament (AFMPS) à Bruxelles. Objectif: faire le point sur la validation de ce test permettant de détecter les anticorps anti-SARS-CoV-2, et « aligner » les communications de l’Agence et des différents laboratoires impliqués dans cette validation. Le directeur post-autorisation de l’AFMPS, Hugues Malonne, qui a négocié au printemps dernier avec DiaSorin l’achat d’un million de tests pour la Belgique, en a visiblement marre des clashes avec certains labos par médias interposés…

Inspection corsée à Roulers

Le responsable du laboratoire clinique de l’AZ Delta, à Roulers, a en effet récemment déclaré dans la presse flamande que son labo avait été « puni » par l’AFMPS pour avoir simplement fait son boulot. L’Agence lui a en effet infligé une inspection corsée après que le laboratoire ait réalisé une évaluation négative, en avril, du test DiaSorin… que la Belgique venait tout juste d’acheter dans des conditions pour le moins particulières. Comme Le Vif/L’Express et Knack l’ont révélé début juin, la Belgique a payé ces tests 7 euros pièce hors TVA alors que le même test était vendu au prix de 4 euros en Italie. De plus, un potentiel conflit d’intérêts a été mis au jour dans le chef d’Hugues Malonne qui a confié l’étude de validation du test italien au labo des Hôpitaux Iris Sud (HIS) dirigé par… son épouse.

Cette dernière avait validé le test DiaSorin en le qualifiant d' »excellent ». Mais l’étude comparative de l’AZ Delta était arrivée ensuite à des résultats bien différents sur la fiabilité du produit, qui arrivait… en queue de tableau. L’AFMPS avait alors rapidement diligenté une inspection auprès de ce labo flamand, affirmant ensuite avoir découvert plusieurs anomalies dans la procédure suivie. Récemment, une étude danoise, pointée par Le Vif et Knack, a toutefois confirmé les résultats de l’AZ Delta.

Une étude secrète

Dans un communiqué en réaction à la couverture médiatique de cette étude danoise, l’AFMPS a fait savoir qu’outre les labos HIS et AZ Delta, une troisième étude belge avait été effectuée en mai-juin, à sa demande, par le CHU de Liège et que celle-ci avait confirmé les données de validation des HIS. Le Vif et Knack ne demandaient évidemment qu’à voir. Malgré notre insistance, l’Agence a refusé de nous donner ne fut-ce que le nom de l’auteur et le titre de cette nouvelle étude qui nous était inconnue. Le CHU nous a bien confirmé avoir évalué le test DiaSorin mais n’a pas été autorisé à partager ses résultats. L’AFMPS justifie son refus par son souci « d’éviter toute nouvelle controverse inutile ».

Ce manque de transparence est surprenant : il s’agit d’une étude financée par le contribuable et qui permettrait en outre à l’AFMPS et à DiaSorin de marquer des points dans un contexte qui leur est défavorable. En effet, dans la foulée de nos révélations, Hugues Malonne a été auditionné début juillet par la commission santé du parlement fédéral, et le parquet de Bruxelles a confirmé avoir ouvert une information judiciaire pour suspicion de corruption visant Malonne et DiaSorin.

« Chipotage » méthodologique

Il aurait été néanmoins intéressant de pouvoir nous pencher sur cette évaluation liégeoise, ne fut-ce que pour comprendre la manière dont le test DiaSorin a été, ici, validé. En effet, la validation du HIS est critiquée, car Marie Tré-Hardy, l’épouse de Hugues Malonne et première auteure de l’article scientifique publié sur le sujet, a adapté les cut-offs, c’est-à-dire les seuils de valeur à partir desquels un dépistage peut être défini comme positif. Ce « chipotage » méthodologique a permis d’améliorer les performances du test.

Malonne a même cosigné avec son épouse un article dans le Journal of Infection pour expliquer cette adaptation des cut-offs… De son côté, la firme DiaSorin nous a déjà dit n’être pas au courant de ces changements de cut-offs, ajoutant que « chaque produit de diagnostic in vitro devait être utilisé selon les instructions du fabricant ».

Un test sensible mais non conforme?

« C’est problématique, nous dit un biologiste clinique, car si on s’écarte des valeurs seuils établies par la firme productrice du test, le marquage de conformité européen (CE) devient caduque. » En d’autres termes, si les instructions du fabricant avaient été respectées, on peut se demander si la sensibilité du test aurait répondu aux critères minimaux de l’AFMPS. Sans l’adaptation des cut-offs, il n’est en effet pas certain que le test tel qu’évalué par HIS aurait répondu aux critères de l’Agence.

Le labo de l’AZ Delta n’avait, lui, pas adapté les cut-offs et était arrivé à des résultats qui ne satisfaisaient pas aux critères. D’où l’intérêt de voir ce que donne la troisième étude réalisée à Liège. Sera-t-elle enfin rendue publique à l’issue de la réunion prévue demain et qui s’annonce houleuse? Selon nos informations, Hugues Malonne a convoqué Geert Martens (AZ Delta), Pieter Vermeersch (UZ Leuven), Béatrice Gulbis (LHUB-ULB) et vraisemblablement quelqu’un du CHU de Liège. Etienne Cavalier, le président de la Société royale belge de médecine de laboratoire, a également été invité. Mais il a décliné.

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